Caramba !

 

Vers midi, départ en voiture vers Tepoztclan, cap plein sud,  avec Horacio. Dès la sortie de Mexico, l’avenue Insurgentes se transforme en autoroute payante. On monte encore. Mexico est à 2400 mètres, Cuernavaca doit être aux alentours de 2600 et Tepoztclan 2800. On quitte le smog qui recouvre, assombrit et rafraîchit Mexico au profit d’un climat plus tropical, végétation avec bananiers, fleurs en tous genres, pins aussi.

Tepoztclan est un gros bourg où ont convergé des artistes mexicains ainsi que quelques étrangers, tendance écolo mystique. Mais la grande majorité de la population est autochtone, indienne. La commune compte sept villages qui totalisent 15.000 habitants mais le bourg principal doit en compter 7 ou 8000.

Nous sommes ici dans les terres d’Emiliano Zapata, la région dite de Morelos. Dans les champs, quelques ares de maïs, des chevaux maigres, des mules. Au-dessus du village, montagne splendide faite de canons juxtaposés de terre rouge, surmontés d’un dôme de verdure. Hélas, le temps tourne à la grisaille. Sur l’église, il est écrit « ex-couvent ». Jusqu’à ces dernières années, les rapports étaient très tendus entre le Mexique et le Vatican. Aujourd’hui encore, un prêtre n’a pas le droit de se déplacer en soutane sur le domaine public, au point que le pape lui-même était en infraction lorsqu’il a visité le Mexique en tenue de travail. Des dizaines de gosses convergent vers l’ex-couvent, que nous ne visiterons pas et où a lieu répétition d’un concert philharmonique.

Le marché, 100 ou 200 étals, compte beaucoup l’artisanat: masques de poterie polychrome, parchemins peints par de vieilles indiennes, statues peut-être précolombiennes, bambous de pluie (bambous bouchés aux deux bouts et qui font un bruit de pluie quand on les renverse), bagues de bronze, vêtements tissés, sandales de cuir tressé avec semelles de pneus. On y vend aussi des fruits et légumes, petites bananes locales, tomates minuscules, citrons verts ainsi que de la viande (poulets, têtes de porc, peau de porc grillée, viande rouge coupée en fines tranches et que survolent des mouches noires, tripes et boyaux).

Certains font restaurant. Nous mangeons ainsi un taco de maïs bleu dans lequel une vieille femme glisse une ration de tuna (oreilles de cactus coupées en segments) mélangée à de la tomate, de l’oignon et du cilantro. Plus loin, nous dégustons du mole, repas traditionnel à base de cacao, mais salé et poivré

Ensuite, juste avant la nuit, escapade vers Santo Domingo et Amatlan. C’est là, au pied des splendides montagnes, que le gouvernement prévoit de construire une autoroute qui rejoindrait Mexico par l’est. Les habitants de Tepoztclan y sont opposés puisque l’autoroute directe leur a déjà apporté leur manne de leurs lots de touristes, qu’ils ne veulent pas partager avec d’autres. Du coup, on utilise l’argument de l’environnement, d’ailleurs pas dénué de fondement.

Pour aller à Santo Domingo, il faut d’enfoncer entre les collines pauvres, rarement cultivées et parsemées, à cette saison, d’arbustes en fleurs. Les paysans rentrent à pied, un outil sur l’épaule, parfois un bourricot bâté à leur côté. Pauvreté, misère même. Les collines ne doivent pas produire grand-chose et les rares terrains plats sont plutôt arides. Petite église coloniale et essais de haut-parleurs devant la mairie.

Redescente à Amatlan, situation plus confortable mais sans rapport avec la relative opulence du bourg principal. Toutes ces terres, qui appartenaient jusqu’à présent collectivement aux paysans, via l’ejidio issu de la révolution, sont désormais à vendre ou du moins peuvent l’être. A moyen terme, un risque pour les paysans pauvres mais peut-être un dynamisme nouveau pour une agriculture plus libérale et plus entreprenante. Le vrai problème de la nouvelle loi porte sur les zones de littoral, où les paysans seront tentés de vendre à des entités touristiques qui pourraient bien les chasser ensuite, ainsi que sur les forêts, qui risquent d’être outrageusement exploités par des entrepreneurs sans scrupules.

Soirée à Mexico avec Horacio, Carlos et sa voisine, jolie jeune femme avec qui il semble entretenir des rapports d’amour amitié. Sur Reforma, de nombreux immeubles effondrés lors du tremblement de terre n’ont pas été reconstruits. La ville semble riche mais les différences sociales sont énormes. Aux carrefours, des clowns jonglent devant les voitures. Une façon plutôt drôle de mendier. Mais comment vivent ceux qui ne sont pas assez lestes ou plus assez jeunes? Jusqu’à ces dernières années, les mendiants s’étaient faits cracheurs de feu mais, après quelques accidents, la police le leur a interdit.

Les policiers en uniforme n’ont que de petits moyens, parmi lesquels quelques moyens d’extorsion. Ils observent les automobilistes et guettent une ampoule défectueuse, un comportement plus ou moins prohibé, et arrêtent le conducteur. Le choix est alors simple: accepter de se rendre avec eux au commissariat, ce qui peut durer une journée entière et n’est pas exempt de risques, ou accepter de leur payer sur le champ une amende qu’ils conserveront bien sûr pour eux.

Les policiers en civil sont plus dangereux. Dans des voitures banalisées (mais aujourd’hui le pouvoir a obligé les voitures de police, même banalisées, à porter un signe distinctif), ils arrêtent le piéton sur les trottoirs, exhibent une carte de police et un revolver et le font monter avant de partir vers la périphérie. En chemin, ils cuisinent leur passager, d’abord pour lui faire remettre tout ce qu’il possède, ensuite pour obtenir des renseignements sur le lieu où il aurait caché de l’argent, dans sa voiture ou à son domicile. Cette pratique fleurit en particulier en fin d’année, lorsque les Mexicains reçoivent leur treizième mois et que les policiers ont envie de faire des cadeaux à leurs propres enfants.

Sur la place Garibaldi, il pleuvine et les groupes de mariachis sont à l’affût des rares visiteurs. Vêtus de blanc, des bottes au chapeau en passant par le pantalon décoré de métal et le gilet serré à la torero, ils viennent du sud et du centre du Mexique et jouent de la guitare, du gros guitarron, de la trompette et du violon en chantant des airs plutôt romantiques. Les mariachis vêtus de noir viennent du nord. Ils jouent de l’accordéon et chantent des histoires sordides de drogue, de crimes, d’enlèvements et de passages clandestins de la frontière avec les Etats-Unis.

Contre quelques pièces, des amuseurs vous proposeront de prendre à pleines mains deux cylindres de laiton dans lequel un homme à mine patibulaire fera passer des décharges électriques de plus en plus intenses, histoire de montrer votre courage à la belle qui vous accompagne. Cette pratique remonte aux débuts de l’électricité, lorsque les paysans et même les citadins refusaient de croire à son existence et à ses effets. Caramba!

 

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