Avez-vous pensé à ramoner la planète ?

 

Le premier à saluer mon retour fut le ramo­neur. Jean Petitjean pour les intimes. Non qu’il me voue un culte particulier, mais parce qu’à son avis il était grand temps de décrasser la che­minée. Ces retrouvailles étaient de bon augure. Un porte-bonheur à domicile. Je lui ai dit que je l’appellerais dès que j’aurais un moment. Un mois plus tard, je ne lui ai toujours pas fait signe. La che­minée s’engorge. Et je re­prends l’avion dans moins d’une heure.

En un mois, je ne me suis pas encore fait à l’idée d’être revenu dans mon village. Et, maintenant que je commence à peine à reprendre le pouls des heu­res, des saisons, des bour­geonnements et des floraisons, je vais de nouveau tout bousculer. Tout à l’heure, ce sera New York. Une nuit. Le temps d’aller courir avec les gosses de Harlem. Décalage horaire. Décalage mental. Au matin, cap sur Cara­cas. Puis Buenos Aires et la Terre de Feu. Dé­but d’automne en terre aus­trale. Ensuite ? Allez savoir !

Ah, j’allais oublier, j’ai ren­dez-vous dans quinze jours. A San Francisco. Au restaurant des Alpes. Spécialités bas­ques. Isabelle Cornet, qui partira dans quelque temps pour la Californie, sinon en transit, du moins pour «Tran­sit» (une émission de la radio suisse), devra y déposer pour moi un Na­gra. Enregistreur gros modèle. Jusque-là, j’aurai travaillé avec des miniatures, histoire de ne pas attirer l’attention de MM. Videla, Pinochet et con­sorts.

Ne pas oublier de passer prendre la clé. La clé de la Chine. Sous forme d’un visa, qui doit m’attendre à l’ambas­sade chinoise de Tokyo. Ne pas oublier non plus de passer à Aranya Pratet, Thaïlande, où un ami photographe m’attend. Ne pas oublier non plus de rentrer puisque dans quatre se­maines, j’ai rendez-vous à Sar­tène, en Corse.

Et Crittin, où sera-t-il à ce mo­ment-là? Je l’ai eu l’autre jour au téléphone. A Cotonou. Il de­vrait être revenu, maintenant. Et même reparti. Cap sur Bali, ou quelque chose comme ça. Nous ne nous reverrons quasi­ment plus avant la mi-juin. Est-il heureux? Vous surprend-il, un matin sur deux? Et moi? Est-ce bien la peine d’aller si loin?

Voilà. Nous avons décollé. Il y a même un bout de temps que nous sommes dans les nua­ges. L’hôtesse est d’accord. Je lui donnerai mon papier juste avant l’atterrissage, elle retour­nera ensuite à Zurich, d’où elle le postera à l’intention du «Ra­dio-TV-Je vois tout», qui le publiera aussitôt. Moi, je se­rai déjà dans la nuit de Harlem. Ensuite, je tâcherai d’envoyer l’article suivant en passant à Caracas. Sinon, Inch Allah!

C’est fou ce qu’il faut être méticuleux pour avoir droit à la poésie! Au bout du voyage, il va y avoir des rencontres, des émerveillements, des ten­dresses. A l’oreille d’un enregistreur et d’une bande magnétique, si possible. Alors, pour que les contingen­ces du voyage, les inquiétudes des pratiques n’oblitèrent pas la joie des découvertes, il m’a fallu instaurer une hiérarchie dans mes bagages:

  1. La grande valise de cuir. Celle-là, je peux l’égarer. Pour un jour. Ou pour toujours. Elle ne contient que deux panta­lons, des slips, des chaussettes et des chemises. Elle voyage dans la soute et se moque d’éventuelles correspondan­ces ratées.
  2. La petite valise d’équipage, style commandant de bord. Elle contient bandes magnéti­ques et films de rechange, ma­tériel de montage des bandes, attestations. Au pire, je pour­rais m’en passer quelques jours. Mais, par précaution, elle voyage avec moi, en ca­bine.
  3. Le sac à épaule. Trésors. Passeport, vaccins, assurance, billets d’avion, adresses. Un appareil photo. Trois objectifs. Un enregistreur miniature. Des bandes pour quatre heures d’enregistrement. Ce sac-là, je ne m’en sépare jamais, sous aucun prétexte. Ce qui me per­mettra, j’espère, d’alimenter deux ou trois fois par semaine une petite émission de rien du tout, cinq minutes à peine, nichée dans un repli du «Jour­nal du matin». Dérisoire et pas­sionnant.

 

Alex Décotte et Gérard Crittin présentent alternativement, du lundi au vendredi, dans «Top matin» (RSR 1 à 6 h. 40) un instantané sonore de leur pé­riple autour de la planète.

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