Algérie

Algerie Carte 

Algérie. La hantise de notre adolescence. Pourvu que la guerre finisse avant. Avant que ce soit mon tour. Pour y échapper, l’arsenal était maigre. Afin de se faire réformer, se dire fou au point de le devenir ? S’inventer illico les pieds plats que seul l’âge a fini par m’offrir ? Devancer l’appel avec l’espoir de pouvoir choisir son affectation, planqué à Paris pendant que les copains joueraient leur vie dans les Aurès ?  S’accrocher à des études sans grand intérêt, histoire de repousser le sursis le plus tard possible ? Se déclarer objecteur de conscience, passer des mois au trou, des années à l’écart, et perdre à jamais, disait alors la loi, ces droits civiques qui accompagnent en démocratie l’accession à l’âge adulte? Déserter, la frontière suisse était si proche, mais pour quel chemin sans retour ?

L’Algérie était ma hantise mais les Algériens n’étaient pas mes ennemis. Pas même mes adversaires. Parmi mes proches, intellectuels genevois, il y avait même des passeurs de valises pour le FLN. Je ne sais pas si j’aurais eu le cran d’être des leurs mais je les admirais et leur donnais raison dans le combat pour leur indépendance.

Même si la guerre d’Algérie s’est arrêtée trop tard pour des milliers de morts, de disparus, de torturés, d’exilés, elle s’est arrêtée assez tôt pour moi, ouf ! Egoïsme honteux mais inévitable. Les derniers appelés du contingent sont rentrés avant que je doive les rejoindre. Au passage, par leur présence même, ils avaient fini par faire échouer le coup d’Etat des généraux d’Alger. Ne fût-ce que pour cela, je ne pouvais pas être totalement opposé au service militaire obligatoire.

Ma première visite en Algérie est intervenue près de dix ans après l’indépendance. Projet de reportage plus ethnographique que politique, dans le sud. Mais, dès Alger, séquestre de notre matériel, appareils photo pour mon ami Maximilien, enregistreur pour moi. Un ministre, que je connaissais un peu pour avoir partagé avec lui à Genève, chez des amis juifs, le porc et l’alcool, me fait dire à son ministère, alors que je viens de croiser son regard au fond de son bureau, qu’il est en voyage à l’étranger et que je ne dois donc rien attendre de lui. D’ailleurs, il ne me connaît pas…

Les appareils saisis, nous irons les récupérer à l’improviste à l’aéroport, la nuit suivante, avant repartir pour le sud, de nous y croire sauvés, d’être retrouvés par des policiers à Timimoun, de réussir à leur échapper encore, sans doute avec leur tacite complicité, et de passer dans la crainte permanente les ultimes journée, les ultimes nuits, les ultimes kilomètres de ce voyage que nous avions voulu fraternel et bienveillant.

Pourquoi ces désagréables souvenirs me reviennent-ils en mémoire ? Peut-être pour expliquer que le voyage de 2009 fut d’abord, pour moi, une façon de tourner la page. Ici, pour la grande Histoire comme pour la petite, les cicatrices mettent longtemps à se refermer. Cette page, je ne suis pas sûr que tous les Algériens (ni tous les Français, d’ailleurs, aient réussi à la tourner mais moi, je l’ai tournée. Les amis de Djanet et du Tassili m’ont aidé à la tourner. Aujourd’hui, je me sens enfin le bienvenu en Algérie.

Alex Décotte (Tamentite, Algérie) Photo Maximilien Bruggmann

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