Je devrais avoir avec le Brésil beaucoup d’affinités. D’abord, il semble bien que mes parents m’aient conçu à Rio, à quelques mois de la fin de la Deuxième guerre mondiale, avant de rentrer en France où je suis né. Peu avant la mort de mon père, en 1973, j’ai même fait un long crochet brésilien jusqu’à l’Avenida Atlantida, sur Copacabana, pour lui rapporter une photo Polaroïd de l’immeuble où il avait partagé avec ma mère un bel amour, évanoui dès le retour en Europe. J’étais très fier de mon exploit, à peine salué par une moue indéfinissable.
Depuis la gauche, ma mère (2) et mon père (4) en 1944
Trente ans plus tard, Copacobana et l’Avenida Atlantida
Ensuite, bien plus tard, escale à Rio au retour du Chili. J’ai encore dans le bouillonnement des sens cette explosion sensuelle vécue avec une Vénus plus que callipyge, dans la nuit interlope d’un quartier mal famé où on ne s’aventurerait plus aujourd’hui sans risquer sa vie. Mais peut-être ai-je risqué la mienne, cette nuit là. Les plaisirs n’en ont été que plus pénétrants.
De la même époque j’ai conservé de la plage de Copacabana deux souvenirs, l’un nocturne et émouvant, l’autre diurne et brutal. La nuit, je m’installais volontiers sur le sable, seul, observant la lumière des bougies que de jeunes couples amoureux, impatients mais sans logis, allumaient à proximité du lit de sable propice à leurs ébats. Histoire de faire savoir aux promeneurs qu’il n’était pas utile de trop s’approcher… Le jour revenu, sûr de ma souplesse et de ma force, j’étais allé me baigner dans l’Atlantique, à deux pas des bougies désormais éteintes. Les vagues étaient formées mais pas vraiment inquiétantes. J’y ai plongé et plongé encore, jusqu’à ce qu’un rouleau, plus violent que les autres, déferlant à contretemps, m’arrache, me fasse perdre pied, me jette à travers le ressac sur le sable, et que la vague suivante, tout aussi perverse, m’aspire à nouveau avant de me jeter, plus fort encore, sur le sable déchirant où j’ai cru vivre mes dernières secondes.
Comment m’en suis-je sorti ? Ecorché mais vivant. Conçu sur la plage de Copacabana, j’y ai dont aussi vécu une seconde naissance. Je devrais donc avoir avec le Brésil beaucoup d’affinités. Mais non.
Vidéo