g. Abrivado et bandido

 

Plus qu’un sport, la course camarguaise est une fête populaire. Aussi les réjouissances ne débu­tent-elles, pas plus qu’elles ne se terminent, avec la course elle-même.

Autrefois, alors que les chars ou les camions n’existaient pas, le manadier à qui avait été achetée une course de village devait amener à pied les six taureaux de combat prévus par contrat, – à pied, c’est-à-dire à cheval… -, jusqu’au lieu de la fête. La distance pouvait être impor­tante et les six taureaux devant être «triés» (retirés du reste du troupeau) le matin-même du com­bat, on imagine que la journée des gardians com­mençait avant le jour. L’usage des camions n’a d’ailleurs abrégé que le parcours, le triage des taureaux restant le fait d’un ou deux gardians armés de leur pique.

Il était donc de tradition que les six taureaux, tenus de près par le rempart de sept ou huit che­vaux et de leurs cavaliers, arrivent au village en fête à la fin de la matinée. Des groupes de jeunes les y attendaient mais leurs intentions n’étaient pas toujours amènes. Excitant les chevaux, cou­rant après les taureaux, les tirant par la queue, ils s’efforçaient de faire échapper les fauves. Peu d’es­poir pour le manadier, dès lors, d’arriver à temps pour la course. Peu d’espoir de toucher le maigre salaire qui lui permettrait d’acheter la nourriture des animaux et des hommes.

Aujourd’hui, un camion amène les taureaux de combat jusqu’au bouvau qui jouxte les arènes; la course aura lieu en toutes circonstances. Mais la jeunesse, qui n’a pas oublié le temps des arrivées agitées, demande souvent au manadier de maintenir la tradition en organisant, à l’entrée du village, l’abrivado de six autres taureaux que gardians et «aficiounados» (amateurs-amis) de la manade s’ef­forcent de faire avancer en ordre entre leurs mon­tures, à charge pour les jeunes de tenter de les en empêcher. Cette coutume de l’«abrivado» est donc à nouveau pratiquée lors de presque toutes les fêtes votives.

La «bandido» (le lâcher) du soir est un moment assez différent et autrement dangereux, pour le public comme pour les cavaliers. Il s’agit en effet, à l’issue des courses, de libérer ensemble, dans les rues de la cité, les six taureaux «arrivés» le matin. Enervés, effrayés par les cris du public, ils n’ont qu’une hâte, s’enfuir le plus vite possible. Ils fon­cent droit devant eux, poursuivis au galop par les gardians. La foule grimpe sur les gradins, les appuis de fenêtres, les escaliers, les voitures, pour éviter les coups de cornes, les ruades et la pointe des tridents. Mais les accidents sont nombreux et certaines municipalités ont dû interdire la ban­dido. C’est pourtant un des moments les plus den­ses. Ayant assisté – et même participé – à plu­sieurs bandides, je me permets de recommander celle qui, à la mi-octobre, se déroule au pied des murailles d’Aigues-Mortes. Le décor est splendide et les courses de l’après-midi se déroulent au milieu de gradins disparates, appartenant aux anciennes familles du lieu. La fête dure une semaine et, lorsque le crépuscule rougeoie sur les murailles, la bandido voit taureaux et cavaliers, dans un nuage de poussière, galoper au pied des fortifications, s’engouffrer dans la cité par la porte ouest, traverser à grande allure les ruelles pavées, ressortir à l’ouest et se perdre dans les marécages et les vignes, où les gardians donnent souvent la chasse aux fauves à cornes jusque tard dans la nuit.

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