04 Les accents de la vie

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Allez donc dire le drame avec un accent comme celui-là. Impossible. Ce chant dans chacune des syllabes, cette pointe de garrigue dans les hémistiches, ces envolées de fin de verbe donnent aux visages les rides de la complicité, du rire, du plaisir, de la gourmandise, de la galéjade et de la joie, pas celles de l’ennui, de la tristesse ou de la mort. Rien ne semble sérieux, à entendre les récits de Provence, et les Provençaux eux-mêmes s’ingénient à ce que les difficultés, les échecs, les mélancolies et les rancoeurs soient absents de la confession. Au coeur du drame, on se croirait encore au deuxième acte de l’opérette.

Tenez ! De Mistral j’avais lu les Mémoires et Récits, mais pas Mireille. Informé de cette lacune, un vieil ami arlésien s’était mis en devoir de me la conter, Mireille. Le mas des Micocoules et le vannier de Valabrègues, la fuite jusqu’aux Saintes-Maries-de-la-Mer.

Doutez de ma parole si vous voulez, je l’ai jamais pu croire à la mort des amants. L’accent chantait trop, fleurait trop la farigoule et, même lorsque l’Arlésien mon ami roulait les gros yeux de la méchanceté, je n’y voyais encore qu’une pitrerie de plus. Il me faudra, quelques années plus tard, me pencher avec obstination sur le texte original pour déceler la profondeur, le désespoir de Mireille. Et me forcer à lire sans imaginer l’accent pour vivre vraiment sa mort.

J’ai le sentiment que Mistral lui-même, auteur et spectateur du drame, eut parfois, en l’écrivant,les mêmes difficultés. Jugez plutôt: Elle est morte!… Morte? Ce n’est pas possible! Un démon doit me le siffler… Parlez, au nom de Dieu, bonnes gens qui êtes là, vous avez vu des mortes: dites-moi si, en passant les portes, elles souriaient ainsi… Ne dit-on pas d’un mourant qu’il s’en va « fumer les mauves » ?

Voyageur, tu peux adorer l’Alsace ou la Bourgogne, des mois passés sur tes terres d’élection ne te laisseront pas un brin d’accent, alsacien ou bourguignon. Mais passe quelques jours, envoûté ou irrité, dans quelque bourgade provençale et tu te surprendras à commander le pastis, commenter la partie de pétanque et même lire le journal avec les intonations du lieu.

Le parler de Provence, « prouvençau » ou français, porte en lui l’enfance et ses facéties, l’adolescence et ses ritournelles, la maturité et ses épanouissements, sans l’ombre d’une aigreur, d’un regret, d’un jugement ou d’un malheur. Certes, le quotidien n’a pas l’insouciance du verbe mais ça, voyageur, tu n’en as cure puisque le verbe est porteur de bonheur. Tu l’adoptes, tu l’ap­privoises comme un oiseau de bon augure et, de retour au pays du parler pointu, tu le nourriras encore de tes souvenirs jusqu’à ce que, malgré tes soins attentifs, il s’éteigne, faute de soleil.

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