09 Ferdinand 1er

 

ferdinand (2)

Carol 1er meurt sans héritier direct le 14 octobre 1914, deux mois après le début de la Première guerre mondiale. Jusqu’au dernier moment, son cœur a balancé entre l’Allemagne de ses origines, avec laquelle il a passé un accord secret dès 1883, et la France, pour laquelle les Roumains éprouvent une véritable attirance. Il a fini par couper la poire en deux, déclarant que l’accord de 1883 n’engageait la Roumanie qu’en cas de guerre défensive et affirmant du même coup la neutralité de son pays.

Le trône n’est pas vacant pour autant. Depuis plus de vingt ans, Carol a jeté son dévolu sur un autre Hohenzollern, Ferdinand, fils de son frère Léopold. Elevé en Allemagne, Ferdinand a suivi de brillantes études en sciences politiques et économiques. Fin lettré, il parle couramment plusieurs langues mais il est surtout passionné de botanique. Histoire de tâter le terrain, il est venu s’installer en Roumanie à l’âge de vingt-quatre ans et s’est pris d’un véritable amour pour le pays. Quatre ans plus tard, en 1893, il est officiellement reconnu comme successeur de son oncle. La même année,  il a épousé Marie d’Edimbourg, tout juste âgée de dix-huit ans, princesse belle et indépendante, petite-fille de la reine Victoria d’Angleterre par son père et du Tsar Alexandre II par sa mère. Avec un tel caractère et de tels ancêtres, elle ne se contentera pas, c’est certain, du rôle d’épouse et mère.

C’est le sens du devoir qui a poussé le futur roi Ferdinand 1er à accepter la succession de son oncle ; c’est un véritable écartèlement qui l’attend. De son mariage avec Marie sont nés deux enfants, Carol et Elisabeth. Marie est protestante mais, lors de leur mariage, Ferdinand a promis d’élever ses enfants dans la foi catholique. Hélas, la Constitution roumaine prévoit qu’un prince de sang royal né en Roumanie, s’il veut un jour accéder eu trône, doit être orthodoxe. Contre sa conscience, contre son cœur, au risque d’excommunication papale, Ferdinand, qui n’est encore que prince héritier, accepte le baptême orthodoxe de son fils Carol. Rome a le bon goût de fermer les yeux mais, lorsque Elisabeth voit le jour, le conseil de la Couronne exige à nouveau un baptême orthodoxe. Ferdinand se plie à la décision. Il est aussitôt excommunié et privé de tous les sacrements par le Pape. Véritable crève-cœur pour un homme aussi attaché que lui à sa foi.

Le même drame de conscience va se reproduire lors de son accession au trône, le 11 octobre 1914. Il est désormais évident que la Roumanie devra, tôt ou tard, rejoindre le camp des Alliés face à l’Allemagne . Ferdinand est-il vraiment roumain, est-il encore allemand ? Une anecdote, rapportée par la princesse Bibesco, résume le dilemme : il arbore l’uniforme roumain mais porte au côté l’épée d’officier de la garde prussienne !

L’Histoire va pourtant l’obliger à choisir. Les Alliés lui promettent d’importantes annexions territoriales, en particulier la Transylvanie, à l’issue d’une bataille qui ne peut, affirment-ils, être que victorieuse. Sur le front de l’est, l’offensive ne vient-elle pas de marquer des points ? Sur le conseil de son premier ministre Bratianu, Ferdinand choisit d’entrer en guerre contre son propre pays d’origine. A Sigmaringen, les autres Hohenzollern hissent le drapeau noir en signe de deuil tandis que Guillaume II, le roi de cette Prusse tant chérie dont il arborait encore les armes sur son épée à la veille de son couronnement, fait disparaître son nom de la généalogie familiale. Voilà Ferdinand donc Ferdinand excommunié par Rome et rejeté par les siens. Imaginait-il en acceptant la proposition de son oncle, vingt-sept ans plus tôt, que sa charge serait à ce point cruelle ?

L’armée roumaine est mal préparée. Le 27 août 1916, elle pénètre sans résistance en Hongrie mais, très rapidement, la situation se renverse. Au sud, le front bulgare s’effondre et, au-delà des Carpates, les soldats roumains battent en retraite. Le 6 décembre, Bucarest tombe aux mains du général allemand August von Mackensen. C’est la débâcle. Ferdinand, sa cour et son gouvernement se réfugient en Moldavie. La reine Marie, qui accompagne son mari, décrit ainsi l’atmosphère de cette retraite désordonnée :

« La retraite, c’est le recul tumultueux et cependant trop lent à travers l’obscurité d’un monde inconnu. C’est la misère qui précède et la peur qui poursuit. C’est une course sans une halte, sans un regard en arrière vers ceux qui sont tombés : et pour­tant la neige impitoyable n’aura peut-être pas le temps de couvrir, avant l’arrivée de l’ennemi, le visage de celui que l’on a aimé… Oh ! la tristesse de ces routes de retrai­tes! Elles sont marquées par des chevaux morts, tristes épaves du désordre, lugubre marque d’obscurité, témoi­gnage muet d’une souffrance inexprimable. Leurs carcas­ses abandonnées tachent l’immensité du désastre comme un dernier cri de reproche. Leurs yeux sans regard parais­sent protester au nom de tous les innocents qui succom­bent sans comprendre la cause de leur souffrance, sans pouvoir jeter le dernier cri vers un ciel dont la merci ne descend pas, vers un Dieu qui est trop loin… La retraite, c’est la mort de l’espérance, c’est l’anéantissement d’un rêve…[1] »

La Roumanie se résume désormais à une faible partie de la Moldavie, autour de Iassi. La Roumanie est seule ou presque. Ferdinand ne règne plus que sur un territoire en forme de peau de chagrin. Heureusement, un homme le rejoint, un Français, le général Berthelot. Illustre inconnu en France, héros en Roumanie. Aujourd’hui, une rue de Bucarest et un village des Carpates méridionales portent son nom.

Henri-Mathias Berthelot a été aide-major général du maréchal Joffre en août 1914. Pour la France, il est clair que la guerre ne peut être gagnée face aux deux empires allemand et austro-hongrois qu’à condition que leurs troupes ne puissent se rassembler toutes sur leur front ouest. Pour cela, il importe que la Russie et la Roumanie n’abandonnent pas le combat. C’est pourquoi Berthelot est envoyé d’urgence à Iaşi, où viennent de se replier roi, reine, gouvernement et soldats roumains survivants. En quelques mois, il va réorganiser l’armée roumaine.

Un autre Français se trouve alors à Iaşi, Robert de Flers, auteur dramatique célèbre venu prêter main forte à l’ambassadeur de France. Ferdinand 1er le reçoit et lui ouvre son cœur :

Vous me retrouvez après des jours cruels. Mais je tiens à vous affirmer tout de suite, n’en déplaise à nos ennemis, que ma confiance demeure entière et qu’elle ne m’abandonnera pas. La Roumanie ira jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la victoire, avec ses grands et chers alliés. Elle est fière de combattre avec eux. Les malheurs provisoires qu’elle supporte, et que je ressens doulou­reusement dans tout ce que le coeur d’un roi doit avoir de pater­nel, ne m’empêchent pas d’être certain que je l’ai engagée dans la grande voie de sa destinée historique. [.]

Je vous assure que depuis cinq mois que dure notre guerre, quelles que soient la gravité des heures et la cruauté de nos revers, pas un instant je n’ai éprouvé un regret, car pas un instant je n’ai eu le sentiment de m’être trompé sur le destin de ce pays.

– Vos officiers, Sire, se plaisent, en effet, à proclamer que, même dans les pires moments, ils n’ont jamais entendu Votre Majesté laisser échapper une plainte.

–  II n’aurait plus manqué que cela! Me plaindre! Mais comment aurais-je pu me plaindre, puisque tout ce que j’ai fait, vous entendez bien, si c’était à refaire, je le referais! [.] Oh! il m’en a coûté! Tenez, ce fut peut-être pour moi l’instant le plus douloureux, le plus angois­sant de cette longue série d’épreuves. Lorsque j’eus pris posses­sion du trône, la pensée du rôle que devrait jouer la Roumanie dans le grand conflit absorba toutes les minutes de ma vie. Cela, c’était le grand devoir auquel je ne pouvais ni ne devais me dérober. Que de luttes! que de débats intérieurs! dès le début, je m’étais imposé cette règle de conscience: faire abstraction de moi-même, ne tenir compte ni de mes origines, ni de ma famille, ni de mes sentiments personnels; ne voir que la Roumanie, ne penser qu’à elle, que pour elle. On ne règne pas sur un peuple pour soi-même, mais pour ce peuple. Cela, c’est, me semble-t-il, l’honnêteté d’un roi. Je me suis efforcé de lui rester fidèle. [.] Mais en même temps, je ressentais une grande tristesse, parce que je comprenais tout ce dont cette route allait m’éloigner à jamais: ma famille, mes amis d’autrefois, mes affections d’enfance… Ce fut en moi, – pardonnez-moi ces grands mots, je ne les aime pas à l’ordinaire, mais je ne puis m’en passer ici, – ce fut alors la lutte de ma conscience et de mon coeur.

Ma conscience l’a emporté. J’ai exigé qu’il en fût ainsi. Mon coeur est resté un peu triste… Il ne faut pas lui en vouloir… Que voulez-vous! On ne peut pas oublier l’endroit où l’on est né…[.]

– Tout le monde, Sire, sait à quels sentiments vous avez dû faire violence.

– Oui, sans doute, j’aimais beaucoup ma famille. Elle a été dure, injuste pour moi. Il est naturel que dans la chaleur de la lutte la rectitude du jugement s’altère. Mais, tenez, je suis per­suadé qu’à ma place n’importe lequel d’entre les miens eût agi comme je l’ai fait….

 Que la vie est singulière! Un grand nombre des officiers qui combattent contre mes troupes ont été mes amis, mes camarades de régiment. Je connais beaucoup Mackensen qui habite, paraît-il, mon palais à Bucarest [.] J’ai la confiance par­faite [que] nous parviendrons à chasser l’envahisseur. Je sais bien que dans leur colère nos ennemis ont affiché sur les murs de Craïova une proclamation où ils déclaraient que c’était à moi et non pas aux Roumains qu’ils étaient venus faire la guerre. Quelle sottise! Ils devraient se rendre compte qu’à présent mon peuple et moi, nous ne faisons plus qu’un, que nous nous sommes fait l’un à l’autre tous les sacrifices et que ce sont eux-mêmes qui, sans y prendre garde, ont consacré cette indissoluble union[2].

La guerre et ses vicissitudes raffermissent les liens entre Ferdinand et Marie, même s’ils ne se voient guère. Le roi est au front, la reine auprès des blessés et des veuves de guerre : « Les femmes, je les ai vues, dressées comme des spectres devant leurs chaumières en poussière, regardant avec des yeux de folie la route où ceux qu’elles attendaient ne reviendraient jamais plus. Je les ai vues fixer le cadavre de leurs enfant morts de faim[3] ».

On ne voit plus alors Marie qu’en tenue d’infirmière ou d’amazone, soignant elle-même les blessés dans l’hôpital qu’elle a fait bâtir tout exprès ou courant à cheval les collines de Moldavie, au mépris des dangers et de la fatigue.

La victoire finale n’est pas encore au rendez-vous, de beaucoup s’en faut. En octobre 1917, les bolchéviques prennent le pouvoir en Russie et se retirent aussitôt de la guerre. Cousine du Tsar, Marie verse un pleur pour Nicolas II et sa famille. Désormais seule sur le front de l’est, la Roumanie ne peut que déposer les armes avant de signer, le 7 mai 1918, la paix de Bucarest. Pendant ce temps, sur leur front ouest, l’Allemagne commence à fléchir face à la France et à ses alliés. Le 11 novembre 1918, à 5h15 du matin, l’armistice est signé à Rethondes dans le wagon spécial du généralissime Foch. Mais, la veille, la Roumanie est à nouveau entrée en guerre aux côtés des Alliés car la Hongrie refuse de se rendre. En dépit des combats, plus de 1800 délégations et près de 100.000 personnes représentant tous les Roumains de Transylvanie, du Banat et du pays hongrois sont parvenues à se réunir à Alba Iulia, au centre de la Transylvanie, pour proclamer leur union à la Roumanie. Pour la première fois depuis Michel le Brave, les trois grandes provinces constituant le pays – Valachie, Moldavie, Transylvanie – sont unies. Ce 1er décembre 1918 marque la naissance de la Roumanie moderne.

Edouard Herriot, dont une rue de Bucarest porte aujourd’hui le nom, entre en Roumaine par Timisoara et écrit : « N’est-il pas émouvant, pour qui sait un peu, de songer qu’après dix siècles de servitude, ce pays dace et romain vient d’être rendu aux successeurs de ses premiers colons et soustrait à la plus injuste des dominations féodales? Nous qui avons tant souffert de l’arrachement de l’Alsace et de la Lorraine, nous, Français attachés au principe des nationalités, ne devons-nous pas sentir mieux que tous autres la joie du peuple roumain? II vient enfin d’unir les frères séparés d’au-delà et d’en deçà des Karpathes, de réaliser l’antique patrie à laquelle, vers la fin du XVIe siècle, l’illustre Michel le Brave donnait déjà une exis­tence et un centre dans sa capitale au beau nom latin d’Alba ­Julia? Patriotes roumains de jadis, patriotes de 1784 condamnés par le Magyar au supplice de la roue, patriotes de 1848 trahis par les Russes (déjà!), patriotes de 1881 emprisonnés par l’Autriche, le Français qui passe vous salue et se réjouit avec vos fils de voir, cette fois encore, l’idéal triomphant de la brutalité ».

Bucarest libérée, Ferdinand rentre triomphalement dans « sa » capitale à la tête de ses troupes. Pourtant, il est soucieux et l’homme qui est la cause de son inquiétude se trouve justement derrière lui, à la tête d’un des bataillons. Le futur roi Carol II – c’est de lui qu’il s’agit – aurait sans doute pu et peut-être même dû être jugé pour désertion. Et ce n’est pas tout. Si Carol a subitement abandonné en pleine guerre le commandement de son bataillon de chasseurs alpins, c’est pour rejoindre une femme en Ukraine et l’épouser, sous la protection d’officiers autrichiens !

La promise est la fille d’un général roumain, Lambrino, et se prénomme Ioana mais Carol la surnomme affectueusement Zizi, Zouky ou Baby, selon son inspiration. On pourrait se croire dans une opérette, on est en pleine affaire d’Etat. Pour prétendre accéder un jour au trône, le prince héritier ne peut en effet épouser qu’une princesse étrangère alors que Zizi est roumaine et qu’elle n’est issue d’aucune noblesse, même si ses parents se plaisent à rappeler les origines phanariotes de la famille. Quelle mouche a-t-elle donc piqué Carol, qui a vingt-quatre ans et n’en est pas à ses premières frasques amoureuses ? « Ioana n’était pas belle ; son nez long et pointu et ses lèvres fines ne lui donnaient aucun charme. Elle était de petite taille, trapue, la peau mate, les yeux et les cheveux noirs brillants, avec un aire de Grecque byzantine [4]».

Apprenant la disparition de leur fils, Marie et Ferdinand ont d’abord pensé au pire mais la triste réalité s’est vite imposée dans sa ridicule réalité. Dans son bataillon, Carol avait fait la connaissance d’un jeune officier qui attendait la fin de la guerre pour aller se marier en Crimée. Carol l’avait alors persuadé d’avancer la date de ce mariage et, surtout, des les emmener sous un faux nom, Zizi et lui, en les présentant comme les témoins de leur propre mariage. Une véritable aventure de Pieds Nickelés mise en scène par un jeune homme qui aspirait à devenir roi et une jeune femme qui se voyait déjà reine. On croit rêver ! Au matin du 20 août 1918, il pleuvait à verse quand Carol s’était mis au volant de la voiture discrètement confiée par les parents de sa fiancée. Mais tout ne s’était pas passé comme prévu, les fuyards s’étaient embourbés, ils avaient dû prendre le train puis franchir à pied la frontière roumano-russe. Les douaniers roumains ne s’étaient aperçus de rien mais, du côté russe, des officiers autrichiens veillaient et reconnurent aussitôt le prince, qui avoua son projet et fut bien vite acheminé auprès du général Zeidler qui comprit immédiatement le profit qu’il pouvait tirer de la situation. Loin de faire arrêter les fuyards, il réserva au contraire pour eux la meilleure chambre du meilleur hôtel et, dès le lendemain, mit à leur disposition un aide de camp allemand pour les accompagner jusqu’à Odessa où, quatre jours plus tard, le pope Scharavsky les maria en l’église orthodoxe, quasiment vide à l’exception du complice roumain, du fils du prêtre et de deux officiers autrichiens ! Ensuite de quoi Carol tenta de se faire pardonner en envoyant à son père le télégramme suivant : « J’ai épousé Zizi Lambrino. Répondez si je puis rentrer ».

Le retour de Carol constituait aussi la priorité de ses parents dont le secret espoir était de faire casser le mariage au plus vite pour assurer la survie de la famille royale. Ils éprouvaient aussi beaucoup de tendresse pour leur fils, malgré son égarement. Et d’ailleurs ne s’étaient-ils pas parfois laissé entraîner, le roi comme son épouse, sur des chemins de traverse ? Mais le destin de Carol ne leur appartenait déjà plus. Le Conseil de la Couronne, auquel devaient être associés tous les anciens premiers ministres, avait été convoqué d’urgence. Pour les uns, son aventure matrimoniale l’écartait à jamais du trône. Pour les autres, sa désertion le disqualifiait pour toujours d’une quelconque responsabilité publique. Finalement, le roi ordonna que Carol fût condamné à soixante-quinze jours d’emprisonnement dans un monastère des Carpates et, de son côté, la Haute Cour cassa le mariage de Carol, avec son consentement. Sans doute avait-il déjà assez de Zizi et peut-être entrevoyait-il enfin ce à quoi il renoncerait en s’entêta. Et c’est ainsi, punition accomplie et mariage annulé, qu’il défila à la tête de son régiment, le 11 novembre 1918…

Un homme avait servi d’intermédiaire entre le couple royal et Carol dans la difficile négociation destinée à le faire renoncer à Zizi : le colonel canadien Joseph « Joe » Boyle, que la reine Marie avait rencontré quelques mois plus tôt. Le personnage vaut le détour. Né à Toronto en 1867, Joseph Boyle est un authentique aventurier. A 17 ans, il passe trois ans en mer puis, hâtivement marié, se met au service d’un boxeur australien avec lequel il se rend en Alaska pour mieux prendre à revers la route de chercheurs d’or du Klondike. Il y fait fortune et, lorsqu’éclate la Première Guerre Mondiale, il s’autoproclame colonel et crée sur ses propres fonds une compagnie de mitrailleurs qu’il engage aux côtés de l’armée française avant d’obtenir une mission secrète en Russie auprès de Kerensky, l’homme qui, après l’abdication du Tsar, tenta de maintenir l’engagement russe aux côtés des alliés avant que les bolcheviks ne choisissent de se retirer de la guerre. En novembre 1917, le ravitaillement de 300.000 soldats russes maintenus au front est bloqué à la gare de triage de Moscou. Boyle et ses hommes renversent les wagons empêchant leur départ. Plus tard, en pleine guerre civile russe, il use de son crédit auprès des bolcheviks pour faire convoyer de Moscou jusqu’à Bucarest, dans des conditions rocambolesques, le trésor – archives, or, joyaux de la couronne –  que la Roumanie y avait mis en lieu sûr au début de la guerre.

Ces hauts faits ouvrent naturellement à Boyle les portes du Palais royal. Le 2 mars 1918, il y est reçu par la reine Marie. Elle est belle, sentimentale et, dans son journal, décrit Boyle comme « un être curieux, fascinant, qui n’a peur de rien ». Une véritable histoire d’amour va naître entre eux, qui les marquera à vie, même si la nature exacte de leurs relations n’a jamais été établie. Après avoir sauvé au péril de sa vie une cinquantaine de dignitaires roumains retenus par les bolcheviks à Odessa, il sera victime d’une grave crise d’apoplexie dont il réchappera de peu Marie écrira alors : « J’ai senti mon cœur mourir en moi ». Rétabli, Boyle répondra comme en écho que ses sentiments pour Marie le « possèdent jusqu’à l’exclusion absolue de tout ce qui n’est pas elle [5]». La rémission n’est que de courte durée. Boyle, qui rêvait de revoir les paysages de la ruée vers l’or, meurt en chemin, en Angleterre,  le 14 avril 1923. Marie écrit : « Vous êtes encore là, tout près et vous le savez – vous savez que vous serez toujours vivant dans mon cœur. [6]»

Malade, le roi Ferdinand fait mine de ne rien voir de cette idylle. Peut-être d’ailleurs ne voit-il rien, lui à qui les plus éminents cancérologues prodiguent des conseils dont il ne comprend pas la cause, convaincu que sa grande fatigue est due à une simple grippe…



[1] Cité par Guy des Cars in « Reines de cœur », Perrin 1979.

[2] Robert de Flers, Sur les chemins de la guerre, Paris, Lafitte, 1919

[3] Paul Morand, Bucarest, op.cit.

[4] Lilly Marcou, Le roi trahi, Paris, Calmann-Lévy, 2002, p.94

[5] Selon James H. March in L’Encyclopédie canadienne, www.thecanadianencyclopedia.com

Laissez un commentaire. Merci.