f. Tartarin de Tarascon

 

Le perpétuel sourire des Provençaux cache déci­dément un épiderme particulièrement sensible. Il n’est, pour s’en convaincre, que d’observer les réactions à la publication, en 1872, des Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon. Certes, la caricature que brosse Alphonse Daudet de ce petit bourgeois de Tarascon, hâbleur comme pas un et qui, à force de raconter à l’envi ses prodi­gieux exploits de chasseur, est obligé de s’exécuter et d’entreprendre le voyage d’Afrique pour aller chasser le lion, cette caricature est fort ironi­que. Mais il faut que le trait ait porté juste pour que les habitants de Tarascon s’en soient à ce point offusqués et n’aient pas, derrière la galéjade, senti percer la tendresse et l’amour que la Pro­vence inspirait à Daudet. La preuve, pourtant, apparaissait nettement dans les Lettres de mon moulin, publiées six ans auparavant. Recueil de contes, les Lettres sont pour lui l’occasion de bro­carder gentiment quelques travers du caractère provençal. Mais la sollicitude pour les hommes, les animaux et même les plantes l’emporte de beaucoup sur l’ironie. Quelle leçon sur les écueils de la liberté que la mort de la «chèvre de Mon­sieur Seguin», pauvre bête qui s’ennuie attachée à son pieu et qui, faussant compagnie à son maître, découvre toutes les fleurettes de la montagne avant de devoir se battre, en un combat héroïque parce que perdu d’avance, contre le loup! Quel hommage à la fierté provençale que ce «secret de Maître Cornille», seul meunier à ne pas faire faillite, au grand étonnement des villageois. Son secret, c’est qu’il ne moud plus de blé depuis long­temps et que les ailes de son moulin ne battent que du plâtre, pour donner le change. Ayant découvert la supercherie, les villageois, loin de bouder maître Cornille, lui apporteront désormais leur grain, car une telle fierté mérite considéra­tion!

Les Lettres contiennent autant de trésors que de contes. Quelle imagination dans la description que le «curé de Cucugnan» donne de l’enfer à ses ouailles, afin de les ramener à la vertu! Quelle bonhomie bucolique dans ce discours mort-né du «sous-préfet aux champs» préparant en chemin son discours de Comices agricoles, « – Messieurs et chers Administrés…» et qui, tenté par un bois de chênes, s’y arrête pour céder à la sieste, tant pis pour les chers administrés!

Les Provençaux ont-ils voulu faire payer à ce modeste instituteur son exil littéraire à Paris? C’est bien possible et ce serait double peine car Daudet souffrit assez de cet éloignement. Il avait la nostalgie de sa Provence et le regard désabusé qu’il jette, à la fin de sa vie, sur la vanité méchante des intellectuels parisiens montre bien où était sa vraie patrie.

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