f. Le petit train des Pignes

 

De Paris, de Genève ou de Zurich, il faut moins d’une heure pour gagner l’aéroport de Marseille ou de Nice. Quand on est sevré de soleil pendant onze mois de l’année, quelques heures de plus à passer en Provence valent bien un sacrifice finan­cier. Mais au retour, pourquoi se précipiter vers les brumes du nord? Il existe un moyen de quitter la Provence en douceur et en beauté, le train des Pignes.

Parti de Nice à 8h20, il arrive à Genève à 17h33. Une journée complète pour parcourir dans un sens une distance survolée en soixante minutes dans l’autre. Mais le jeu en vaut la chan­delle.

Sur 151 km de voie métrique, un autorail relie Nice à Digne en un peu plus de trois heures.

Ensuite, après un changement de train, la voie quitte la Provence et traverse Hautes-Alpes, Isère et Savoie. Attardons-nous plutôt sur sa section provençale. L’autorail quitte donc Nice au petit matin, remonte la vallée du Var, effleure celle du Coulomp, butine sur les bords du Verdon et se laisse glisser jusqu’à Digne à l’heure du pastis.

Les gares intermédiaires se nomment Plan-du-Var, Puget-Théniers, Entrevaux, Annot, Thorame­-Haute, St-André-les-Alpes, Barrème. Le tronçon le plus attrayant se situe sans doute entre Puget­-Théniers et St-André-les-Alpes. L’inclinaison de la pente fait que la machine avance au pas, laissant au voyageur le loisir de contempler les toits à auvents de Puget-Théniers, les fortifications de Vauban entourant le village d’Entrevaux, fondé par les Templiers au Xème siècle, la gare abandonnée de St-Benoît (là où étaient déchargés les mille moutons de Robert Manuel…), la bourgade d’Annot abritée de collines, et où on joue à la pétanque comme dans un village de Provence rhodanienne. Remontant le fil de la Vaïre, la voie fait alors face aux Alpes, comme pour les avaler d’un bond. Mais, sage, elle s’engouffre dans le tunnel percé sous le Puy de Rent, pour ressortir dans la haute-vallée du Verdon, en amont de Thorame.

Bien sûr, nul n’est tenu d’aller de Nice à Genève, ni même de Nice à Digne, d’une seule traite. Pourquoi ne pas descendre à Puget-Théniers et ne pas avoir recours au petit train aux wagons de bois qu’une locomotive à vapeur (une E327 fabriquée en 1909 !) tracte sur le même itinéraire (mais à moindre vitesse) jusqu’à Annot. Bien sûr, il sera alors trop tard pour sauter dans l’autorail mais il y a, à Annot, un hôtel tout-à-fait convenable dont le prix de pension quotidienne, chambre et repas, n’excède pas trente francs suisses. On est loin de la Côte d’Azur…

C’est que l’argent et le temps n’ont pas ici valeur commune. Les rythmes sont restés ceux d’antan et l’amitié passe avant l’horaire. Le surnom de «train des Pignes» attribué à la ligne l’indique assez: Un jour d’hiver, pendant la guerre 1914-1918, le mécanicien de la locomotive s’aperçut que la barrière de la gare de St-Benoît n’avait pas été baissée pour le passage du convoi. Le risque, alors, était minime, les charrois et le train lui-même roulant à allure plus que modeste. Pour­tant, il arrêta la machine, descendit, entra dans la maisonnette et découvrit la garde-barrière, seule (son mari était parti pour la guerre) et tremblante de froid, sur le point d’accoucher. N’écoutant que son bon cœur, il s’empressa d’aller chercher le charbon qui se trouvait dans la réserve de la loco­motive et alluma un bon feu dans l’unique pièce. Puis il repartit. Mais la montée était rude, le char­bon manquait. L’homme dut s’arrêter en chemin une vingtaine de fois pour faire provision de «pignes» (pommes de pin) qui, d’une flambée vive mais trop brève, permettaient à chaque fois de gagner quelques kilomètres. Inutile de préciser que le train ne fut pas à l’heure, ce jour-là. Mais qu’importe? Le cœur avait prévalu sur l’horaire et, plus encore, on avait trouvé un surnom pour une machine. Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes.

 

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