Monsieur Charles

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Ushuaia, la ville la plus australe du monde. 55° de latitude sud. On n’est plus qu’à un millier de kilomètres des glaces de l’Antarctique alors que Buenos Aires est tout là-bas, au nord, à plus de 3000 km.

Ushuaia. Un nom indien qui signifie : baie s’ouvrant à l’ouest. Mais il n’y a plus d’Indiens ici. Voilà I siècle, les premiers missionnaires anglais leur ont apporté Dieu et les microbes le premier (Dieu) n’a rien pu faire contre les seconds (les microbes). yagans, hausch, onas, toutes ces tribus appartiennent désormais au passé. Ushuaia est une ville blanche. Et plutôt triste.

Chaque semaine, deux ou trois bateaux font escale à Ushuaia, à mi-chemin près sur le canal de, qui permet, comme le détroit de Magellan plus au nord, d’éviter de doubler le dangereux cap Horn. Un gros cargo en provenance de Riga, Union soviétique, repartira demain pour les bases de l’Antarctique. Un autre, argentin, est arrivé avant-hier de Buenos Aires et repartira demain. Il a apporté des voitures, du tissu, du whisky, des gadgets japonais, car tout cela arrive ici hors douane. Pour encourager les 20 000 habitants de la Terre de feu (dont 8000 à Ushuaia) à ne pas abandonner eu lieu pour des climats plus cléments.

La soubrette de l’hôtel Canal de Beagle, en face du port, a remarqué à mon accent que je n’étais pas vraiment argentin. Escoces, frances, suizo ? habla frances ? Des Français, il n’y en a jamais eu beaucoup ici. De Suisses non plus, d’ailleurs. La hermana Carrère, la soeur Carrère, qui travaillait à l’hôpital, était française. Mais je crois bien qu’elle est partie. Elle n’était plus toute jeune. Il ne reste que monsieur Charles.

– Monsieur Charles ?
– Oui, M. Charles, il tient le magasin de vêtements, derrière l’hôtel, oui oui, il est français, et il parle français.

Un bazar plutôt qu’un magasin. Des vestes démodées, des calculatrices électroniques grises de poussière, du shantung au maître, du whisky, des fanions du Lion’s Club, Argentine, Brésil, Allemagne, Suisse. Et monsieur Charles. 60 ans à peu près. Le chah d’Iran avant sa maladie au vous le décrire. Cheveux blancs tirés en arrière, lunettes d’écaille dans les airs entre saumon fumé et oursin violet. Sans doute parce qu’on est dans une région de pêche.

Français, M. Charles ? Allons donc ! Il se nomme Carlos Bigio, est originaire d’Alep, Syrie, et même dans la ville la plus méridionale du monde, il n’est pas du genre perdre le nord.

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