Isabelle Vichniac

Publié le 27/07/2009 par alexadmin

Apprenant la mort de notre si douce Isabelle, je m’apprêtais à vous rejoindre , dans le silence et l’anonymat pour l’escorter ici, ce matin. Moi qui n’appartiens ni au peuple d’Israël ni à la famille d’Isabelle, Jacques et Gérard, j’ai été surpris et touché que ce dernier me mette en avant en me demandant de prononcer quelques mots. Sans doute parce que, bien modestement, je fais partie des deux autres familles auxquelles Isabelle a été, toute sa vie, si superbement fidèle. Celle des amis. Et celle du journalisme.

Quel que soit notre âge, nous avons tous besoin de repères, de buttes témoin, de diapason. Dans le journalisme comme dans l’amitié, Isabelle et Jacques ont été ces repères, ce diapason. C’est à l’amitié de Jacques que je dois d’avoir débuté dans le journalisme, à l’émotion d’Isabelle que je dois d’avoir découvert rue de Beaumont les joies, les malheurs, les combats de tant de nos semblables, à notre porte ou à l’autre bout de la planète. Avec elle, avec eux deux, le monde n’était plus tout à fait le même. Ils m’ont donné le goût, peut-être même le devoir, d’aller à sa rencontre et d’y aller différemment.

J’ai eu le lourd et beau privilège, à Prague puis à Santiago du Chili, de mettre mes pas dans leurs pas. Avec la Tchécoslovaquie, avec le Chili, nous avons espéré, vibré puis pleuré ensemble. C’est à Isabelle et Jacques que je dois aussi l’idée d’une aventure journalistique un rien téméraire, entreprise en 1971 en Union Soviétique avec une de nos amies communes, à la difficile rencontre des artistes dissidents et des juifs persécutés. Nous risquions quelques années de prison pour espionnage et nous avons échappé de peu à cette désagréable villégiature forcée. Mais qu’importe ? A l’image d’Isabelle, à l’image de Jacques, et grâce à eux, j’aurais été prêt à perdre quelques années de ma jeunesse, pour faire avancer ce schmilblick auquel ils tenaient tant, auquel nous tenions tant, la liberté de l’information, la liberté par l’information.

Ne parler que de notre métier commun serait encore réducteur sans la profondeur de l’amitié, de la tendresse et de la complicité. Obligé comme tant d’autres de porter un uniforme que je réprouvais, je serais sans doute devenu fou si, du fond obscur de ma caserne, là-bas, en Allemagne, je n’avais pu leur envoyer, souvent, très souvent, de longues lettres auxquelles ils répondaient toujours. Je n’avais pourtant qu’une vingtaine d’années, et eux plus du double. Et je n’étais, rue de Beaumont, qu’un parmi tant d’autres. Mais Isabelle et Jacques avaient du cœur à revendre, de la joie à offrir, de l’amitié à partager. C’est sans doute pourquoi, Isabelle, nous sommes si nombreux ici, ce matin, à tes côtés. Et pourquoi, malgré la tristesse, nous t’imaginons cette sorte de sérénité que ne peuvent altérer ni le temps, ni la maladie. Nous savons tous que tu vas rejoindre Jacques, que vous serez à jamais unis dans la mort comme vous l’avez été dans la vie. Ne serait-ce que pour cela, ce vilain jour d’automne ne saurait être totalement triste.

Merci de tout, Isabelle, et à bientôt.

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