05 Les épreuves du rodéo moderne

 

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A en croire les inévitables classifications sans lesquelles, dit-on, le monde moderne cesserait de tourner, le rodéo serait un sport. Soit. Pourtant, reconnaissez avec nous qu’il ne ressemble quasiment à aucun autre, ni dans la forme, ni surtout dans l’esprit.

Habituellement, un sportif peut avoir deux types d’adversaires: un autre sportif ou un chronomètre. Il est rare que se glisse dans cet affrontement un troisième larron, l’animal. Certes, il existe, ailleurs que dans la poussière de l’Ouest américain, des courses de chevaux, attelés ou non. Mais il faut pratiquement remonter au temps des Romains pour trouver tout un peuple se passionnant pour le combat mortel de l’homme et du fauve. Les jeux du cirque ont survécu au travers de deux coutumes – le mot n’est-il pas plus juste que « sport » – la corrida et le rodéo.

Le rodéo américain comporte une bonne douzaine de disciplines et chacune établit des rapports différents entre l’homme et l’animal. Le cheval peut être l’indomptable mustang sauvage sur lequel il faut se maintenir en selle – ou sans selle; il peut être aussi le complice rapide et précis grâce auquel le cowboy rattrape un autre animal sauvage, veau ou génisse. Enfin, lorsque le cheval n’est plus assez impressionnant aux yeux du cowboy ou de son public, reste un adversaire démesuré et foncièrement méchant, le taureau.

Pourtant, quel que soit son rôle, quelle que soit sa force, ce n’est pas l’animal que l’homme affronte ainsi, ce n’est pas à lui qu’il se mesure. C’est aux autres hommes et, du même coup, à lui-même. L’animal n’est dans tout ça qu’une espèce de banc d’essai du courage et de la maîtrise individuels, un banc d’essai qui, à la différence d’une machine, d’un vélo ou d’un javelot, ne réagit jamais de la même manière, prend des coups de sang ou de folie, éprouve des états d’âme et des instincts de mort. Au travers de l’animal, c’est donc aussi à la mort que se mesure l’homme. A sa manière d’y faire face, à son astuce ou à son courage, à sa rapidité ou à sa force, il sera jugé digne – ou non – de faire partie de la confrérie, d’entrer dans ce panthéon étrange et éphémère que les cowboys appellent le rodéo.

Dès lors, chacune des disciplines ne sera plus une fin en soi mais constituera une des marches successives d’une cérémonie initiatique et secrète, dont les spectateurs seront à la fois les témoins inconscients et les officiants attentifs. Que la cérémonie soit l’occasion de fêtes, que les exploits des demi-dieux soient sanctionnés par de l’argent ou de l’or ne change rien à l’affaire. Le rodéo appartient à l’histoire de ces Européens exilés que l’on dit aujourd’hui américains. Il appartient à leur conscience collective dans laquelle il était resté enfoui depuis le temps des gladiateurs, pour ne réapparaître qu’avec la rencontre, sur une terre sans limites ni contraintes, du cheval arabe, de la vache espagnole et de l’homme blanc.

N’importe quel anthropologue sérieux vous dira qu’il y a là tous les ingrédients d’une authentique religion. Mais pour ceux qui se refuseraient à considérer le rodéo comme un sacrifice païen, nous nous faisons un devoir de résumer les règles du jeu de ce qu’ils prétendent n’être qu’un sport.

Saddle Bronc Riding

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La monte d’un cheval sauvage, sommairement sellé, constitue l’épreuve la plus classique du rodéo, la plus prisée des puristes. Une épreuve difficile, périlleuse, nécessitant de la part du cavalier un savant dosage de force, de courage et de maîtrise technique.

Il s’agit de la survivance – ou de la résurrection – d’un temps où les chevaux vivaient, pour la plupart, à l’état sauvage et où le cowboy, jetant son dévolu sur l’un d’entre eux, réussissait à l’enfermer dans un corral pour tenter, ensuite, de le monter, de l’assujettir. Et tant pis si, dans cet affrontement de l’homme et de l’animal, l’un ou l’autre se brisait. La vie d’un homme n’avait alors guère plus d’importance que celle d’un cheval.

Aujourd’hui, les hordes de chevaux sauvages ne traversent plus la plaine. Le cowboy ne peut plus se choisir impunément, d’un coup d’oeil, le plus beau des chevaux évoluant en liberté parmi les herbes folles. Chaque animal a sa marque, son propriétaire, son prix.

Du coup, pour le Stampede de Calgary comme pour tous les grands rodéos de l’Ouest, des entreprises spécialisées assurent l’approvisionnement en « broncos », chevaux pas totalement sauvages mais dont les contacts avec l’homme sont suffisamment rares pour que toute tentative d’approche soit ressentie comme une agression. Le règlement stipule qu’aucun cheval de rodéo ne peut être monté à deux reprises le même jour. Et les grands rodéos exigent des intervalles encore plus longs.

Jusqu’au dernier moment, le cheval et l’homme, engagés dans la même épreuve de Saddle Bronc Riding, vont suivre des chemins différents.

Dans l’enclos installé derrière les gradins, une grosse Indienne un rien apathique est chargée d’aller trier et choisir chacun des chevaux, déterminé préalablement par tirage au sort. C’est seulement la veille au soir que le rodeoman a pu connaître, en contactant les organisateurs ou en interrogeant à distance l’ordinateur de son association professionnelle, le nom du cheval qui lui serait attribué. Il a donc eu toute la nuit pour songer à ce qui l’attend. Les rodeomen connaissent en effet tous les chevaux, même s’ils ne les ont jamais montés, simplement pour avoir discuté avec d’autres concurrents, entre les épreuves, des caractéristiques, des particularités, des vices cachés de chacun d’entre eux.

La femme indienne entrouvre la porte métallique du corral, fait passer sa propre monture, referme derrière elle puis, calmement, s’introduit parmi la horde. Les chevaux sauvages ne craignent guère les cavaliers. Le mustang se laisse donc pousser sans résistance vers une encoignure du corral, d’où part un couloir fait de tubes métalliques. Alors, une porte se referme derrière lui, la femme indienne rebrousse chemin et deux hommes, bâton en mains, poussent l’animal jusqu’au pied des gradins.

Le couloir débouche à la perpendiculaire de l’arène, oblique à gauche, suit le bord de la piste, sous les pieds des spectateurs, puis s’arrête net. Le bronco n’a pas le temps de réagir que, déjà, une grille s’est refermée derrière sa croupe. Le voilà prisonnier, au centimètre près, d’une cage particulièrement haute et solide, seulement ouverte en direction du ciel. Il n’a même pas assez de recul pour ruer ou se cabrer. Cette prison provisoire porte un nom: « Chute ». Selon l’importance du rodéo, il y a ainsi quatre, six, huit, dix, douze « chutes », juxtaposées en enfilade au bord de la piste. Le bronco y entre dans le sens de la longueur, avançant de « chute » en « chute » jusqu’au moment où il bute sur la grille tombée derrière le cheval précédent. Aussitôt, une grille identique se referme derrière lui. Le voilà pris, captif. Dans quelques instants, sur sa droite, le grand portail s’ouvrira sur la piste de terre battue, sous les yeux du public et, pendant huit secondes, le cheval sera à l’égal de l’homme le héros de quelques instants d’éternité.

En attendant, le concurrent et un ou deux de ses amis font passer au-dessus des tubes de métal une selle ressemblant davantage à une selle anglaise, fine et étroite, qu’à une selle western, large et confortable. Ils la posent délicatement sur le dos du bronco, dont tout le poil, instantanément, se hérisse. Il est impuissant à rejeter ce corps étranger. Déjà, les sangles passent sous son ventre, il tressaille de plus belle. Puis c’est le tour de la tête d’être harnachée d’un bridon. Enfin, insupportable, une large lanière, rêche et irritante sur sa face intérieure, est posée sur la croupe, passée sous l’aine, puis serrée fortement. Ce contact désagréable, presque humiliant, s’il ne provoque pas de réelle douleur, suscite de la part de l’animal l’invincible besoin de s’en débarrasser au plus vite. A en devenir fou.

Pour l’instant, toute ruade est rendue impossible par l’exiguïté de la « chute » mais le cowboy ne perd rien pour attendre. Dès qu’il aura les coudées franches, le bronco lui fera payer cher ces interminables instants d’impossible révolte.

L’homme, vêtu d’une solide paire de jeans, d’une chemise western blanche, double boutonnage de nacre aux poignets, franges folles à la hauteur des omoplates, foulard rouge noué sous le col, Il est assis dans la poussière, sous les gradins. Haut chapeau de feutre mou, noir, aux bords relevés. Une plume sombre piquée sous le galon. Sur les hanches, une large ceinture de cuir ouvragé retient les « chaps », cuissardes de cuir rouge et souple protégeant le dessus des cuisses et s’échancrant dix centimètres au-dessous de l’aine.

Il fixe sur ses bottes fauves les éperons à la roulette émondée. I1 tend la main gauche jusqu’à la pointe du pied droit, puis la droite jusqu’à la pointe du pied gauche. Ultime étirement musculaire. Ça va être à lui. Il se lève, avance dans la travée jusqu’à la « chute » dans laquelle le bronco piaffe d’impatience. pose une botte sur un tube métallique, puis l’autre. Un instant, il se tient ainsi, debout, jambes écartées, pieds posés sur les deux hautes barres qui, de part et d’autre du cheval, marquent les limites de la « chute ». Puis une jambe s’insinue le long du flanc du bronco. Tentative de ruade. Deuxième jambe. Deuxième réaction. La pointe de la botte se glisse dans l’étrier triangulaire. Les fesses se posent précautionneusement sur la selle. La main gauche, gantée, se saisit de la rêne de chanvre tressé. La main droite, nue, se lève droit vers le ciel, signe que l’homme est prêt.

Résonne alors de cri strident d’un klaxon aigre. La porte s’ouvre d’un coup sur le flanc droit du bronco qui bondit dans l’arène et qui, aussitôt, tente de se débarrasser à la fois de la ceinture qui lui irrite l’aine et du cavalier qui s’agrippe en selle. Toute la violence du monde est là, dans cette masse de trois cents kilos, tout de muscles tendus. En huit secondes, le bronco a tout juste le temps d’effectuer neuf, dix, peut-être onze ruades. Mais quelles ruades !

La main gauche tient la rêne. La droite est en l’air. Si elle retombe sur les cuisses ou touche le cheval, l’homme sera disqualifié mais le vrai danger est ailleurs. Si l’homme se dresse sur les étriers, si ses fesses perdent un seul instant le contact de la selle au risque de venir ensuite le precuter à contretemps, il risque de finir sa vie dans une chaise roulante La puissance de chaque cabrement est telle que le corps de l’homme doit absolument rester solidaire de celui de l’animal. Sinon, le choc sera imparable, insupportable pour les vertèbres de l’homme, qui se tasseront, se briseront peut-être. La gloire est à ce prix.

Le bronco s’élance au galop dans la poussière, stoppe net, repart aussitôt. Septième ruade, huitième, neuvième. L’homme est toujours en selle. Enfin, le klaxon retentit, annonçant la fin de ces huit interminables secondes. Un cavalier sort de l’ombre, rattrape le bronco auquel le concurrent s’agrippe désespérément pour ne pas être traîné sur le sol. Le premier geste du cavalier venu ainsi à la rescousse – le « pick-up man » – est pour dénouer la sangle dont la présence continue de provoquer de rageuses et inutiles ruades. Alors, le bronco s’apaise. Le rodeoman est maintenant autorisé à tenir à deux mains la grosse rêne de chanvre. Tandis que le bronco continue de galoper autour de la piste, l’homme attend que le « pick-un man » soit arrivé à sa hauteur et que la course de leurs deux chevaux soit synchrone. Il se laisse alors glisser sur la croupe du cheval de rescousse puis saute à terre, s’en va ramasser dans la poussière son beau chapeau noir à plume fauve, se tourne vers le jury et salue avec toute l’élégance et la souplesse que lui permettent les courbatures, hématomes, déchirures, douleurs, crampes et autres tressaillements qui marqueront pour quelques jours sa carcasse fourbue et démantibulée.

L’homme marche la tête haute. Ses yeux vont droit vers le mirador où se trouvent les juges. Nouvelle attente, jusqu’au moment où, simultanément, un écran lumineux et le son des haut-parleurs annonceront le résultat. En tenant compte de la qualité du cavalier et de celle du cheval, les juges attribuent 82 points à ce concurrent. Un beau score. Le meilleur jusqu’à présent mais, dans les « chutes », cinq autres cowboys attendent encore leur tour.

Bareback Riding

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Si les puristes, qu’ils soient spectateurs ou concurrents, préfèrent le Saddle Bronc Riding, les amateurs d’émotions fortes et d’images spectaculaires ont un faible pour le Bareback Riding. De toutes les épreuves du rodéo, c’est elle qui requiert la plus grande force physique.

Comme pour la monte avec selle, il faut rester huit secondes sur le dos d’un mustang choisi pour la qualité de ses ruades et de ses voltes faces. La différence essentielle réside en l’absence de selle, d’étriers et de brides. Pour se maintenir sur le cheval, le cavalier ne dispose que de la force d’un de ses bras, l’autre de­vant, comme pour la monte avec selle, rester haut levée pendant toute la durée de l’épreuve. Les pieds ne peuvent reposer sur rien. D’où l’impression, plus nette encore que dans la monte avec selle, qu’à l’exception de la main agrippée sur le dos, les autres membres sont libres et désar­ticulés comme ceux d’un pantin.

L’intensité des ruades, la démesure des cabrages, la rapi­dité des changements de cap, font que la seule force de cinq doigts crispés sur une simple poignée de cuir ne suffirait pas à maintenir le corps d’un homme sur ce volcan en éruption. La succession des tressautements pourrait faire  que les doigts perdent prise. C’est pourquoi les concurrents sont autorisés à enduire leur gant unique, spécialement conçu pour cela, d’une résine sèche atténuant l’effet de glissement, au risque de rester arrimé à la corde bien après les huit secondes fatidiques.

Avec selle, le cowboy se sert des étriers pour s’opposer aux ruades susceptibles de le déséquilibrer vers l’avant. Il peut donc maintenir son corps dans une position perpendiculaire à la colonne vertébrale de l’animal. Sans selle en revanche, il peut à tout moment craindre d’être projeté par-dessus l’encolure du cheval. Si un tel mouvement s’amorçait, il serait presque automatiquement jeté à terre, car sa prise de main sur la poignée, même maintenue, jouerait alors le rôle d’un pivot faisant basculer le buste en avant et rejetant les jambes vers l’arrière. Tout cela se terminerait – et se termine parfois – par un véritable vol plané au-dessus de la tête du cheval.

C’est la raison pour laquelle les jambes, qui effectuent pour la monte avec selle d’incessants allers et retours du haut de l’encolure à l’arrière de la selle, doivent au contraire, pour la monte sans selle, se maintenir très en avant, dans une portion située entre la base de la crinière et la pointe de l’épaule. Le règlement, d’ailleurs, stipule que les deux pieds doivent impérativement rester dans cette position jusqu’à la première ruade du cheval.

Avec selle, le cowboy dispose de quatre points de contact avec le cheval ou ses mouvements: la rêne, la selle et les deux étriers. Il est donc en position relativement stable et seul un cabrage peut le désarçonner. Il tombera alors vers l’arrière, au risque de recevoir au passage un méchant coup de sabots. Sans selle, il ne dispose plus de de deux points de contact: la poignée à laquelle s’agrippe sa main et les quelques centimètres carrés de peau sur lesquels reposent – est-ce bien le mot ? – ses fesses. Comme cette assise-là est bousculée dès la première révolte du mustang, il ne reste que la main. Or, la force du seul poignet ne peut suffire à rectifier l’orientation du cavalier lorsque le corps vient d’être projeté en l’air et que le cheval en profite pour changer de cap. C’est ainsi qu’on voit souvent le concurrent retomber en porte-à-faux sur le dos de l’animal. Il arrive même que les deux jambes se retrouvent du même côté de la colonne vertébrale. Inutile de préciser qu’alors, le bond suivant n’a même pas besoin d’être violent pour projeter le cavalier à terre.

Toutes ces différences font que le Bareback Riding est plus sauvage, plus spectaculaire que le Saddle Bronc Riding, et que la proportion de cavaliers qui réussissent à se maintenir pendant huit secondes est nettement inférieure à celle du Saddle Bronc Riding.

Un mot à propos des juges. La durée de l’épreuve étant fixée, il ne serait a priori possible de distinguer que deux catégories de concurrents, ceux qui tombent et ceux qui se maintiennent. C’est là qu’interviennent les juges et les points qu’ils attribuent. La note maximum théorique pour un « Ride » est de cent points. Chacun des deux juges, formé dans une école spéciale de la Professional Rodeo Cowboys Association (Etats-Unis) ou de la Canadian Professional Rodeo Association (Canada), dispose de cinquante points, qu’il attribue pour moitié au cavalier, en tenant essentiellement compte de la qualité et de l’amplitude des mouvements de ses jambes, et pour une autre moitié à l’animal, selon la hauteur des sabots lors des ruades, de l’intensité des cabrages, des changements de direction, des contorsions.

Ce système de notation établit un rapport inattendu entre le cavalier et l’animal, qu’il n’a généralement jamais monté mais dont il espère qu’il sera particulièrement vigoureux, agressif, vicieux … puisque de ces « qualités » dépendra pour partie le score final.

Les différences de notation d’un juge à l’autre sont minimes mais seuls les organisateurs ont connaissance des notes attribuées par l’un et par l’autre et, seuls, les juges savent quelle part revient, dans leur propre notation, à l’homme et à l’animal. Les critères de notation sont les mêmes pour tous les concurrents, qu’ils soient amateurs ou professionnels. On observe généralement un décalage d’une dizaine de points entre amateurs et professionnels. Sur cent points, une note est passable si elle commence par six, bonne si elle commence par sept, très bonne si elle commence par huit, exceptionnelle si elle commence par neuf.

Cette année-là, les records étaient détenus par Denny Flynn (Bull Riding) avec 98 points (à Palestine, Illinois, en 1979 avec le taureau « Red Lightning), Doug Vold (Saddle Bronc Riding) avec 95 points (à Meadow Lake / Saskatchewan en 1979 avec le cheval « Transport ») et Joe Alexander (Bareback Riding) avec 93 points (à Cheyenne,  Wyoming, en 1974 avec le cheval « Marlboro »). Malgré le nom de son cheval, Joe Alexander n’eut sans doute guère le loisir d’en griller une pendant les huit secondes de l’épreuve.

Bull Riding

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Le « Bull Riding » est l’un des moments les plus dramatiques du rodéo. Le cheval sauvage est en effet remplacé par un taureau. Et pas n’importe quel taureau, un fauve de près d’une tonne, méchant, déterminé, vicieux, revanchard et extrêmement rapide malgré son énorme masse. Sourcilleux et imprévisible. Démesuré. A ses côtés, un taureau camarguais ferait figure de roquet, un toro espagnol de mijaurée.

Comme le cheval sauvage, le taureau est amené des prairies où il jouit d’une liberté presque totale. Sous les gradins, entre le corral en les « chutes », le il subit le même traitement que les chevaux, suit les mêmes couloirs avant d’être enfermé dans la même prison provisoire, au bord de la piste.

Là, avec les précautions qu’on imagine, trois hommes s’affairent à lui passer autour du torse une épaisse corde double à laquelle se maintiendra  la main gantée et fermement arrimée du cowboy,  afin que ni les coups de boutoir du taureau, ni même un soudain accès de peur, ne puissent lui faire lâcher prise. Toute l’arène résonne déjà des mouvements hargneux par lesquels le taureau tente de bousculer les tubes métalliques qui constituent sa cage.

Le cow-boy attend patiemment que la première furie soit passée puis, enjambant l’enclos, il prend la corde à pleines mains, près de l’encolure, se glisse sur le dos du monstre et s’installe, les fesses très proches de la corde, la main droite solidement arrimée. Il lève la main gauche, signe qu’il est prêt, cette main qui ne devra plus, en aucun cas, s’abaisser au niveau des jambes ou toucher le corps de l’animal, sous peine d’élimination. Pendant huit secondes ! Huit secondes. à peine le temps de quinze ou seize battements du coeur d’un homme en plein effort. Mais quels battements ! Et quel effort !

Rares sont ceux qui réussissent à se maintenir jusqu’au bout sur le dos d’un taureau fou. A la différence du cheval sauvage qui se contente de ruer, de sauter ou de se cabrer, le taureau, lui, se plante quasiment à la verticale sur les pattes avant, les naseaux à fleur de terre. Le cow-boy, d’une seule main accrochée à la corde, doit tout faire pour ne pas suivre le mouvement, ne pas glisser sur l’encolure, ne pas être projeté jusque sur la tête car sur la tête, il y a deux cornes. Pas très longues, certes. Mais solides et acérées. Et au-delà des cornes, il y a le sol.

S’il réussit à vous jeter à terre, le taureau se retournera aussitôt et reviendra sur vous, rageur et revanchard, pour vous rouler, vous écraser sur le sol. C’est pourquoi, autre différence notable avec la monte des chevaux, le taureau et le cowboy ne sont pas seuls dans l’arène.

Sur la piste, une espèce de gros tonneau qui pourrait contenir quatre cent litres de bière s’il n’était sans fond mais qui, pour l’occasion, abrite un homme dont seule la tête dépasse.  Joues carminées, grands yeux blanc de chaux, tignasse rouge, foulard rapiécé, chapeau enfoncé sur les oreilles. L’homme porte le tonneau comme un escargot porte sa coquille. Le tonneau lévite ainsi à une vingtaine de centimètres au-dessus de la piste, ce qui permet d’entrevoir le jaune éclatant d’une paire d’espadrilles et l’azur provoquant de chaussettes rapiécées et dépareillées.

Le clown se prénomme Bobby. Il vient de Big Rapids, dans le Michigan. Son compère Kelly est vêtu d’une grande salopette rayée de rouge avec, sur les fesses, un carré bleu étoilé, caricature du drapeau américain. Il tient par le col un troisième homme, plus fluet, immobile, rigide, bizarrement incliné vers l’arrière, c’est à dire vers le manche à balai qui le maintient debout. Ce troisième larron n’a de vie que celle que veut bien lui donner son maître. Epouvantail.

Ça y est, le taureau vient de désarçonner le cowboy, moins de quatre secondes après l’ouverture de la cage. L’homme est à terre. Un peu secoué. Il se relève difficilement, titube. Déjà, le monstre a a stoppé sa course et fait demi-tour. A la différence du cheval, le taureau est rancunier. Il fonce sur l’homme poussiéreux et abasourdi. Alors vite, très vite, Kelly s’interpose, fait de grand gestes, capte l’attention du fauve, qui oblique et se met à poursuivre cette nouvelle proie, ce nouvel intrus. Le cowboy, pendant ce temps, s’éclipse sous les tribunes, penaud mais indemne.

Kelly court en zigzag. Le taureau se rapproche. Le clown se dirige vers le tonneau, déjà occupé par Bobby, qui en était sorti un instant et qui s’y est à nouveau réfugié, en poltron qu’il fait mine d’être. Le fauve sur les talons, Kelly vire à angle droit derrière le tonneau. L’animal poursuit sur sa lancée et aperçoit une nouvelle cible, un personnage vraiment courageux puisqu’il ne bronche pas, ne cille pas. Le taureau fonce, l’encorne de face ! Le squelette de l’épouvantail articulé vole dans les airs, retombe à plat ventre. Le taureau le piétine consciencieusement de ses sabots rageurs. Une tonne. De quoi vous chatouiller les côtelettes et vous masser le foie. Si le rodeoman ou l’un des clowns s’était trouvé à la place de l’épouvantail, le conducteur de l’ambulance n’aurait pas perdu son après-midi…

Calf Roping

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Autre moment intense du rodéo, le calf Roping. Là, plus de taureau ni de cheval sauvages, mais un cavalier de première force et son meilleur cheval. Et aussi un veau de 5 à 6 mois. Sauvage mais ni méchant ni dangereux, plutôt craintif et apeuré. La peur donne des jambes, c’est bien connu. Le veau court donc dans l’arène plus vite qu’il n’a jamais couru de sa vie. Il va falloir le rattraper…

Les concurrents viennent de Californie, du Texas, du Montana, du Wyoming, de l’Oregon, de l’Alberta. S’il est une discipline du rodéo qui soit la descendante directe des pratiques du ranch, c’est bien le Calf Roping. A l’origine, il s’agissait, dans les plaines sans fin, avant l’irruption du fil de fer, de capturer les jeunes veaux pour les marquer au fer rouge car les herbages étaient à tout le monde et le seul moyen d’éviter pertes, échanges, erreurs et surtout vols, c’était de marquer, d’un chiffre, d’un slogan ou de deux initiales, tout le troupeau de bovins, dès le plus jeune âge.

Seulement voilà, attraper un veau en pleine nature, sans l’aide d’une barrière, d’une clôture, d’une rivière ou d’un obstacle naturel, ce n’était pas chose facile. Cela eût même été tout à fait impossible s’il n’y avait eu le lasso.

Fait de corde ou de cuir tressé, le lasso peut mesurer jusqu’à vingt mètres de longueur. Muni à l’une de ses extrémités d’un oeillet, le honda, qui permet de former boucle, il est généralement lancé de la main droite, la réserve de corde se trouvant dans la main gauche, qui tient aussi les rênes.

Aujourd’hui encore, dans les ranches de l’Ouest américain, on continue à cheval d’utiliser le lasso et d’attraper ainsi les veaux promis à la ferrade ou à la castration. Lors de notre séjour au Quilchena Ranch, Larry Hampstad, le cowboss, n’a pas dû rater plus de deux des quelque trois-cents veaux qu’il était chargé de traîner dans la poussière, à bout de lasso, jusqu’aux compères tenant déjà en mains le fer rougi au feu. C’est le même travail, la même précision, la même gageure, qui se renouvelle ici, dans l’arène du Calgary Stampede, des Cheyenne Frontier Days ou d’un modeste rodéo de campagne. La seule différence – mais combien importante – c’est que le temps et l’espace sont comptés.

L’espace est limité parce que l’ovale de l’arène, dans sa plus grande largeur, mesure une centaine de mètres et que le cowboy doit avoir maîtrisé le veau avant que celui-ci ait pu se réfugier au-delà du portillon marquant l’autre extrémité.

Le temps est fonction de l’espace parce que cette traversée de l’arène, au galop, ne peut pas durer plus d’une vingtaine de secondes et que, de toute manière, le cowboy doit avoir attrapé le veau en beaucoup moins que cela, s’il veut avoir quelque chance de surclasser ses concurrents, car le temps est pour les juges l’élément d’appréciation le plus important.

Le « calf roper » se trouve à une extrémité de l’arène, en selle sur son cheval favori, retenu dans un coin par une corde tendue à un mètre du sol. A côté de lui, dans une cage s’ouvrant comme celle des lévriers de course, un veau rouquin, légèrement tacheté de blanc. Inquiet, presque affolé.

Le juge, en relevant la porte de la cage, relâche aussi la corde qui retient le cowboy et son cheval. Le veau et le cheval sont donc libérés au même instant mais le veau, rapide, léger, nerveux, ne perd pas un instant avant de filer, droit devant lui, tandis qu’il faut au cheval le temps de s’élancer, de mettre en mouvement son propre poids et celui de son cavalier. Un cheval plus un homme, harnachement compris, ça va bien chercher dans la demi-tonne. Il faut donc plusieurs fractions de seconde pour lancer la course. Pendant ce temps, le veau a déjà pris dix mètres d’avance. Coups d’éperon, buste tendu en avant, chapeau volant au vent, le cowboy est maintenant à pleine vitesse. Il se rapproche du veau. Plus que cinq, quatre, trois mètres. La bonne distance pour lancer le lasso. Le bras droit tournoie au-dessus de sa tête, le lasso virevolte et, soudain, la boucle d’un arrondi parfait file vers le veau.

Un bon « calf toper » manque rarement son lancer, à moins que le veau se laisse soudain dépasser par le cheval ou que celui-ci ne fasse un écart imprévisible. Dans un rodéo de bonne tenue, avec des concurrents professionnels, on peut estimer à deux sur trois le nombre de lancers de lasso atteignant leur cible, la tête du veau. Mais l’épreuve n’est pas terminée pour autant.

Lorsque la boucle est passée autour du cou du veau, le cow-boy tire d’un coup sec, de la main droite, pour resserrer le noeud tandis que, de la gauche, il donne un coup de rênes énergique, doublé d’une impérieuse morsure d’éperons. Le cheval, entraîné et habitué à l’exercice, s’arrête net. Retenue au pommeau de la selle, la corde du lasso se tend d’un coup. A l’autre bout, le veau tournoie en l’air lorsque la corde interrompt sa course. Il mord la poussière puis, hébété, tente de se relever mais, déjà, le cowboy a sauté à terre et court vers lui, tenant en mains un court filin avec lequel, après avoir saisi l’animal de son implacable poigne et l’avoir jeté à nouveau au sol, sens dessus dessous, il va devoir attacher trois de ses quatre pieds. Ensuite et ensuite seulement, le cowboy pourra se redresser et lever les bras vers le ciel en signe de victoire. C’est à cet instant précis que les juges arrêteront le chronomètre.

Il n’aura fallu à cet exercice de haut vol, course, lancer du lasso, saut à terre, entrave du veau, que quatorze secondes et deux dixièmes. Un temps à peine honorable. Il n’est pas rare en effet que de bons cowboys parviennent au même résultat en moins de dix secondes. Le record appartient à un Américain, Joe Guelzweller, qui en 1981, à Albuquerque, a inscrit dans les annales l’incroyable temps de quatre secondes et sept dixièmes.

 Steer Wrestling

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Les premiers cowboys durent parfois monter à cru un mustang sauvage capturé dans l’immensité de la plaine. Les cowboys d’aujourd’hui continuent, chaque année, à se servir de leur lasso pour attraper les veaux destinés au marquage. Imaginons un instant que le cowboy ait oublié son lasso, impensable, ou plutôt que ce lasso ait été arraché lors de l’arraisonnement d’un animal.

C’est à une telle situation que le Steer Wrestling pourrait bien puiser ses sources. Il s’agit en effet, pour un cavalier lancé au galop, d’abandonner peu à peu, en pleine course, la selle de son cheval, pour se laisser glisser jusqu’aux cornes d’une génisse en fuite, de la faire tomber dans la poussière, de se jeter à ses cornes et de la renverser ainsi de la seule force des bras.

A en croire la tradition, c’est bien à un authentique cowboy, Bill Pickett, qu’on doit l’invention de cette spécialité, et aussi son surnom populaire: « Bulldogging ». Pickett, descendant d’esclaves noirs, était employé dans un ranch du Texas, peu après la Guerre de Sécession. Un jour, alors qu’il regroupait du bétail disséminé dans une prairie parsemée d’arbustes, il débusqua d’un fourré une vache et son veau. Surprise, nerveuse, la vache chargea aussitôt le cheval de Pickett et désarçonna le cowboy, l’encorna et l’emporta ainsi dans le fourré. En mauvaise posture, Pickett réussit à passer un bras par-dessus l’encolure puis à saisir à pleines mains chacune des deux cornes. Ainsi déséquilibré, l’animal chuta à terre et, pour l’immobiliser définitivement, Pickett fit ce qu’il avait vu faire à des chiens du ranch, il saisit entre ses dents la lippe de la vache et serra de toutes ses forces au point de donner au museau l’apparence d’un bull dog. D’où le nom de Bulldoging primitivement attribué à ce périlleux exercice.

Une autre version affirme que le même Pickett aurait simplement observé un chien se jetant ainsi à la gueule d’un génisson et qu’il se serait mis en tête d’y parvenir à son tour. Où que se trouve la vérité, une chose est sûre, c’est que Pickett aquit ainsi une notoriété telle qu’il fut engagé par les frères Miller pour leur « 101 Ranch Wild Show » et qu’il fit la démonstration de ses talents pour des milliers de spectateurs d’Amérique et même d’Europe. Le roi George V, la reine Mary d’Angleterre et même l’Impératrice de Russie furent parmi les plus célèbres. A la fin de ses jours, édenté par trop de « Bulldogging », Pickett ne pouvait plus abattre les génisses qu’à la force des bras. Ainsi naquit de Steer Wrestling moderne .

Aujourd’hui, le Steer Wrestling est devenu l’une des cinq épreuves majeures du rodéo moderne. Le génisson se trouve à une des extrémités de l’arène, enfermé dans une cage identique à celles qu’on utilise pour retenir les veaux du Calf Roping. De part et d’autre de cette cage se trouvent deux cavaliers. Le « Dogger » est à gauche, le « Hazer » à droite. Lorsque le génisson est libéré, les deux cavaliers se lancent à sa poursuite. Le « Hazer » contient la trajectoire de l’animal, qui cherche naturellement à s’éloigner de l’autre cavalier, dont le cheval se rapproche le plus en plus. Le « Dogger » vient alors peu à peu au surplomb du dos, puis des cornes, avant d’abandonner d’un coup sa selle et ses étriers, se jetant de tout son poids sur l’encolure de l’animal et empoignant les cornes tandis que ses pieds, arc-boutés vers l’avant, tentent de ralentir et d’arrêter sa course. La main droite, passée sous la corne droite de la génisse, tente d’amorcer une rotation de la tête tandis que la main gauche vient appuyer sur l’extrémité de la corne gauche pour amplifier le mouvement. Le cowboy se sert alors de sa propre hanche droite pour faire pivoter l’encolure de l’animal et le déséquilibrer complètement.

Le Steer Wrestling est sans doute l’épreuve qui fait le plus appel aux qualités équestres des deux concurrents. Il faut également des chevaux spécialement entraînés, en particulier celui du « Dogger » qui doit, lorsque le cavalier a quitté les étriers, poursuivre sa course sans effaroucher le génisson ni compromettre la manoeuvre de l’homme. Une grande complicité est également nécessaire entre les deux cavaliers. C’est enfin une épreuve d’une extrême rapidité. Un seul exemple: en 1981, Ralph Nelson, cowboy de High River (Alberta, Canada) a eu besoin de moins de trois secondes pour se lancer à la poursuite de l’animal, se jeter sur lui, l’empoigner par les cornes et le jeter à terre, le dos dans la poussière.

Evidemment, pour une seule génisse immobilisée au sol sous les ovations du public, que d’humiliantes tentatives ratées ! Il suffit que le premier bond de l’homme vienne à contretemps par rapport à la course de l’animal, que ses mains glissent sur les cornes ou que les jambes arc-boutées du cowboy ne parviennent pas à arrêter l’élan de la bête, pour que cet exercice de haut vol se transforme en affligeante pantalonnade. Que la pluie se mette de la partie et l’homme repartira, trempé, souillé et penaud, sous le regard goguenard de spectateurs d’autant plus prompts à l’ironie qu’ils sont plus enclins à l’enthousiasme.

Disciplines mineures

Si les organisateurs de rodéos limitaient leur programme aux cinq grandes épreuves, le spectacle ne manquerait certes pas de qualité mais sans doute de variété et de personnalité. Or, aucun rodéo ne ressemble à aucun autre, parce que les lieux ne sont pas les mêmes, ni les dimensions de la piste, ni le caractère du public, ni l’histoire de la région. Si le nombre des disciplines ne dépasse guère aujourd’hui la dizaine, il faut se rappeler qu’à ses débuts, le rodéo était d’abord une fête champêtre au cours de laquelle les cowboys se mesuraient dans leurs spécialités respectives.

Il y avait presque autant de spécialités que de cowboys et presque autant de règles que de rodéos. Aujourd’hui, tout est codifié et le public se déplace surtout pour assister aux épreuves classiques, celles qui rapportent aussi le plus d’argent aux concurrents et attirent donc les meilleurs. Pourtant, le rodéo a parfois besoin d’instants mois denses, moins dramatiques. Il faut aussi faire place aux enfants et aux adolescents qui assureront la relève. Il faut enfin ne pas oublier les femmes, qui étaient présentes depuis toujours lors des travaux du ranch et qui apportèrent aux premiers rodéos la double image du charme et de l’audace.

Le « Boy’s Steer Riding » s’adresse à des enfants de dix à quatorze ans, se destinant ensuite à la monte de mustangs ou de taureaux. Les règles sont pratiquement les mêmes que celles du « Bull Riding » mais les jeunes concurrents sont autorisés à se tenir à deux mains. Les plus hardis se font néanmoins un devoir de garder une main levée pendant l’épreuve, ce qui leur permet d’espérer une meilleure notation de la part des juges. Ces points sont d’autant plus utiles que, comme les adultes, les enfants paient un droit d’inscription et emportent, s’ils sont classés dans les premiers, des sommes bien réelles.

La traite de vaches sauvages (Wild Cow Milking) et la course de chevaux sauvages (Wild Horse Race) suscitent davantage, dans le public, le rire que la passion. Il s’agit pourtant de deux épreuves difficiles, réservées à des adultes n’ayant pas froid aux yeux. Pour la première, deux cowboys font équipe pour attraper et immobiliser une vache sauvage, puis s’appliquent à les traire. Ainsi présentée, la chose peut paraître simple. Mais il faut savoir qu’une vache sauvage ressent cette agression comme une insupportable atteinte à sa dignité et qu’elle est prête à tout pour y échapper. D’où la brusquerie et la cocasserie de certains renversements de situation !

Quant à la course de chevaux sauvages, elle s’adresse à des équipes de trois cowboys chacune. Il s’agit d’attraper un animal, lâché avec d’autres dans l’arène, de le seller et de le monter avant de faire un tour de piste et de franchir la ligne d’arrivée. Le cavalier dispose d’une selle mais n’a ni étriers ni rênes et ne peut que maladroitement esquiver les arrêts, les louvoiements, les galops et les voltes faces de l’animal. De plus, il doit parfois courir à côté du cheval, se jeter à son cou pour l’empêcher de s’échapper et tenter ensuite de se hisser jusque sur son dos. Heureusement, les juges ne tiennent compte que de l’ordre d’arrivée et ne notent ni la posture, ni le style.

Comme le Calf Roping, le Team Roping prend sa source dans les travaux habituels du ranch. Il s’agit, pour une équipe de deux cavaliers, d’arrêter un veau dans sa course, en l’immobilisant entre deux lassos tendus. Le premier lasso, lancé par le « Header », doit se resserrer sur la tête ou les cornes du veau. Le second cavalier (« Heeler »), lance alors son propre lasso, qui doit attraper les pattes arrière de l’animal. Chaque lasso est alors fixé au pommeau de la selle et les chevaux, qui se font face en reculant, tendant les cordes jusqu’à faire basculer le veau. Le Team Roping est présent dans la plupart des grands rodéos  mais, dans les rodéos de campagne, il suscite l’intérêt de spectateurs qui, parce qu’ils sont eux-mêmes éleveurs ou cowboys, en apprécient le déroulement comme s’ils avaient à juger les qualités professionnelles d’un voisin, d’un employé… ou de leur propre patron. Il n’est d’ailleurs pas rare que les membres de certaines équipes aient un petit air de famille et que le Heeler soit en réalité une cavalière, généralement la femme ou la fille du Header.

Les femmes tiennent aujourd’hui un rôle très modeste, trop modeste, dans les rodéos américains. Une seule discipline leur est encore régulièrement réservée dans les grands rodéos, le « Barrel Racing ». Il s’agit d’une épreuve équestre, consistant à parcourir le plus vite possible un triangle déterminé par trois tonneaux autour desquels la cavalière doit tourner à contre-sens. Le temps est chronométré mais le style n’est pas noté. Les concurrentes peuvent donc aussi bien avoir la carrure d’un spécimen de foire que la féminité d’une gravure de mode. Par ses encouragements et ses applaudissements, le public masculin compense l’inhumaine sécheresse du chronomètre mais qu’il est loin, le temps où, dans les disciplines les plus périlleuses, les cowgirls tenaient la dragée haute aux cowboys !

Cowgirls & Co.

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On a trop tendance, aujourd’hui, à considérer la femme comme un simple ornement de l’Ouest américain. Dans les westerns, elle se contente généralement d’attendre dans un intérieur douillet le retour de l’aventurier macho, à moins que les hasards de la vie ne la conduisent vers la débauche d’un saloon installé dans une ville à vaches, où s’affrontent clans rivaux et cowpulchers revanchards. La réalité est bien différente et si, aujourd’hui, dans les ranches comme sur la piste des rodéos, la femme a fini par ressembler à l’image trop sage que les cinéastes et leur public ont voulu donner d’elle, tel ne fut pas tou­jours le cas.

Comme pour l’origine du premier cowboy ou du premier rodeoman, il est bien difficile de savoir qui fut la première cowgirl ou la première rodeowoman. Dans l’immensité des plaines, chacun vivait pour soi, à des dizaines de miles du voisin. Il n’en aurait subsisté aucun souvenir écrit si, heureusement pour les historiens, il n’y avait les voleurs de bétail. Pour enrayer le fléau, les propriétaires s’astreignirent à marquer leurs bêtes et à tenir un registre commun des différentes marques. De tels registres constituent aujourd’hui l’une des rares bases solides permettant de reconstituer la vie quotidienne des premiers temps.

On apprend ainsi que la première femme à s’être installée seule à la limite des « frontières de l’inconnu », dans le territoire du Wyoming, fut une certaine Mary E. Carter, arrivée dans la région en 1859 et dont les bêtes étaient reconnaissables à la marque « BUG ». A la même époque, plus au sud, Sally Skull possédait également sa propre marque, un S inscrit dans un cercle. Elle était une redoutable cavalière et conduisait elle-même ses troupeaux au-delà de la frontière mexicaine. En 1885, le « Democrat Leader » rapporte l’exploit de Mary Meagher, surnommée « Cattle Queen of the Pacifie Slope », qui avait conduit jusqu’à la gare de Cheyenne, à la tête de dix cowboys, plusieurs centaines de têtes de bétail destinées au marché de Chicago. Nombre de femmes tenaient donc un rôle de premier plan dans les ranchs de l’Ouest.

C’était aussi l’époque des premiers Wild West Shows et des premiers grands rodéos. A l’âge de 13 ans, Lucille Mulhall avait fait ses débuts dans le Wild West Show de son père, Zach Mulhall. Quelques années plus tard, un cowboy qui allait devenir une vedette de la scène et du cinéma, Will Rogers, rejoignit la troupe. C’est lui, semble-­t-il, qui inventa le terme de « Cowgirl », à l’intention exclusive de Lucille Mulhall. Elle appartenait à une famille de neuf enfants, auxquels s’étaient joints deux frères adoptifs. Sept étaient morts et, avec sa soeur et ses deux frères survivants, Lucille vivait et travaillait, en-dehors des périodes de spectacles itinérants, dans le ranch familial qui comptait 82.000 acres (33.000 hectares)!

Dès l’âge de quatre ans, Lucille disposa de sa propre marque, « LM », qu’elle imprimait elle-même, au fer rouge, sur ses propres veaux. A l’âge de 17 ans, elle gagna à El Paso l’épreuve de Steer Roping. Elle devint ensuite l’une des plus grandes gloires du spectacle western, fut surnommée « Queen of the Range » et se produisit à Cheyenne, Calgary et New-York. Elle était blonde, féminine et particulièrement attirante. En juillet 1900, le « New York World » écrivait d’elle: « La petite mademoiselle Mulhall, qui ne pèse que quatre-vingt-dix livres, peut dompter un cheval sauvage, attraper au lasso un veau et le marquer, abattre un coyote à 500 yards. Elle peut aussi jouer des préludes de Chopin, déclamer des vers de Browning, interpréter les oeuvres de Virgile et faire de la mayonnaise à la mode de France. »

Il n’y avait pas à l’époque de sections féminines dans les rodéos. En 1897, Warren Richardson, président du pre­mier comité des Frontier Days de Cheyenne, raconte avoir assisté à la prestation d’une toute jeune fille, Bertha Kalpernick, alors âgée de 13 ans ! Il avait tant plu que les autres cowboys avaient refusé de se produire. Berta monta sans sourciller un cheval sauvage aux ruades démesurées et parvint à la maîtriser. Richardson commente:  » C’étaient les plus belles ruades que j’aie jamais vues. Mais elle se maintenait en selle. Parfois, elle était propulsée dans les airs. Une autre fois le cheval tomba en arrière et la cavalière glissa sur l’un de ses flancs mais elle parvint à se remettre en selle avant même que l’animal ait réussi à se relever. Elle réussit à se tenir ainsi jusqu’à la fin ».

Il en eut bien d’autres cowgirls, toutes aussi courageuses, toutes aussi extravagantes. En 1901, Prairie Rose Henderson, fille d’un rancher du Wyoming, exigea des responsables des Frontier Days qu’ils produisent les règles interdisant aux femmes de concourir dans les épreuves habituellement réservées aux hommes. Comme ils ne purent dénicher un tel document, Prairie Rose s’aligna aux côtés de cowboys admiratifs dans l’épreuve du Bronc Riding.

A la même époque, trois des filles de Charley Irwin, Joella, Frances et Pauline, étaient à Cheyenne les championnes incontestées des courses de chevaux. On retrouva ensuite toute la famille sous le chapiteau du « Irwin Brother’s Wild West Show ». Une autre discipline très spectaculaire, qui a aujourd’hui presque complètement disparu, était la course romaine (Roman Race), au cours de laquelle concurrents et concurrentes s’affrontaient au galop, debout, un pied posé sur le dos d’un cheval lancé à grande vitesse et l’autre sur celui  d’un second cheval courant parallèlement au premier, flanc contre flanc.

Peu à peu pourtant, les femmes furent écartées des grands rodéos. L’un des arguments fut l’usage que firent certaines d’entre elles de brides et de harnachements différents de ceux des hommes. Un autre fut la trop longue liste de femmes blessées ou tuées lors de rodéos. En 1917, alors qu’elle venait de remporter une épreuve à Cheyenne, Maggie Wright se rendit à Denver pour les besoins d’un film. Pendant le tournage, son cheval se cabra et retomba en arrière sur une clôture. La cavalière périt écrasée.

En 1929, Bonnie McCarroll fut tuée par le cheval Black Cat lors d’une épreuve de Saddle Bronc Riding à Pendleton. Cet accident fut pour beaucoup dans la suppression des épreuves féminines de cette discipline. L’histoire de Marie Gibson, si elle fut également tragique, fut cependant inverse. Marie commença en effet une carrière de rodeowoman lorsque son mari, rodeoman lui-même, resta invalide à la suite d’un accident. Quant à Prairie Rose Henderson, elle mourut à cheval mais pas lors d’un rodéo. Elle fut en effet prise dans un redoutable blizzard, au coeur du Wyoming, et on ne retrouva son cadavre que sept ans plus tard.

Aujourd’hui, on ne voit plus guère de femmes que dans les gradins ou, sur la piste, pour l’épreuve du Barrel Racing. Exception tout de même, les exhibitions de monte que les organisa­teurs insèrent entre les deux parties de certains grands rodéos. Il s’agit là d’un spectacle dans lequel le cheval n’est plus l’adversaire, mais l’allié sûr et attentif de la cavalière. Il n’empêche que les acrobaties de ces dames ne seraient sans doute pas à la portée de la plupart des cavaliers chevronnés qui caracolent en tête du classement, dans les épreuves classiques du rodéo.

Nous ne voudrions pas refermer ce chapitre sans parler d’une femme et d’un instant. Cela se passait lors des Frontier Days de Cheyenne en 1987. Au programme figurait l’épreuve du Roockies Saddle Bronc Riding, semblable au Saddle Bronc Riding mais réservée à des cowboys plus jeunes. Or, parmi les concurrents, le comité avait accepté que figurât une concurrente, Gwynn Turnbull. Elle était brune et ravissante. Elle venait de Californie. La veille, nous l’avions vue, s’affairant autour d’une modeste camionnette lui servant de maison roulante, là où se retrouvent, le temps du rodéo, la plupart des concurrents. Nous avons, comme tout le public présent, applaudi sa prestation. Puis nous l’avons retrouvée derrière les gradins, curieux de comprendre pourquoi elle était ainsi entrée, seule femme, dans le circuit des rodeomen.

Nous avons ainsi appris que Gwynn vivait à la fois un drame et un miracle. Peu de temps auparavant, son médecin avait diagnostiqué un cancer des voies digestives et l’avait prévenue que le temps lui était compté. Alors, plutôt que d’attendre la mort dans son lit, Gwynn avait résolu de devenir cowgirl parmi les cowboys. Cela faisait un an déjà qu’elle courait de rodéo en rodéo et, comme par miracle, les symptômes de sa maladie avaient disparu au point que Gwynn envisageait de devenir professionnelle de Saddle Bronc Riding. Quand on a 25 ans, tous les espoirs sont permis et la maladie n’est peut-être pas plus difficile à dominer qu’un cheval sauvage.

 

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