La table et les fêtes

 

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La Corse n’a jamais été riche, mais elle a toujours pris soin de la table et des hôtes. Elle n’a jamais été très peuplée, mais on continue de se bousculer dans toutes les fêtes qui marquent l’année.

C’est que le paysage, magnifique, incite à l’harmo­nie, que le climat, entre vigueur et alanguissement, donne temps et saveur aux choses, et que les hommes, montagnards catholiques, s’accordent volontiers le pêché des jouissances gustatives et des folles ivresses. Certes, les cités ont vu éclore d’insipides supermarchés et l’étiolement des cul­tures impose à l’île d’importer une bonne partie de ce qu’elle consomme. Mais rassurez-vous (en­core que ce ne soit guère rassurant pour le tou­riste), elle laisse aux estivants et aux citadins la nourriture industrielle, tandis que reposent savam­ment, au creux des greniers et des caves, des mets qui, pour n’être pas de rois, ont pourtant de quoi mettre l’eau – et le vin – à la bouche.

La viande n’est pas présente à tous les repas et, les hivers étant rigoureux, les repas doivent tenir au ventre. On mange volontiers la soupe, dans la composition de laquelle entrent toutes sortes de féculents (haricots secs, pois chiches, fèves) et que relèvent quelques gouttes d’huile d’olives, quel­ques cubes de lard, des abats finement hachés, du thym, du laurier, de l’ail, de l’oignon et de la tomate.

Le berger n’est pas à l’abri d’un toit pour chaque repas. Il emporte donc souvent, outre un solide morceau de pain, de la viande séchée (lonzu ou coppa), du saucisson sec, du figatellu au foie ou du fromage de sa propre production. Ayant toujours un fusil à portée de main, le berger S’embusque volontiers sur le passage des pigeons et des merles, ces derniers pouvant être aussitôt rôtis en brochettes sur un simple bâton ou préparés en pâtés dans la composition desquels entrent toutes sortes d’herbes et, nichés dans le ventre ou le bec, les fruits odorants de la myrte.

La châtaigne a longtemps représenté l’unique nourriture des Corses lors des périodes de troubles ou de disette. Elle se mange grillée ou bouillie mais elle est avant utilisée sous forme de farine de châtaignes avec laquelle la maîtresse de maison prépare la pulenda, onctueux étouffe-chrétien qui vient à bout des grosses fatigues, des grandes faims et des profondes ivresses… Cette même farine sert aussi dans la fabrication de gâteaux secs, à l’anis ou aux petits fruits, qu’on range soigneuse­ment au fond d’un placard, dans une boîte de fer blanc, pour les grandes occasions.

Les réunions de famille, les foires, les transhu­mances et les fêtes religieuses sont prétexte à de grandes agapes. On tue alors l’agneau, le cabri ou le cochon de lait et on le fait griller près d’un feu de bois, en l’assaisonnant patiemment de sel, de poivre et d’herbes aromatiques.

On boit aussi, bien sûr, et les vins corses, qui n’ont plus la saveur d’antan, restent néanmoins très convenables. Mais les régions de production se sont déplacées, nombre de petites vignes an­ciennes, accrochées au flanc des montagnes, ayant été abandonnées par leurs propriétaires vieillissants ou par leurs fils ayant choisi une vie plus confor­table sur le continent. Le maquis et la broussaille envahissent donc progressivement les vignobles du Cap Corse, autrefois renommé.

Les vignerons, pour augmenter ou maintenir une production que n’assurent plus des ceps trop vieux, maquillent leur vin pour le vendre aux touristes. Seul, le vin de Patrimonio reste digne d’une honnête consom­mation. Pendant ce temps, les «pieds-noirs» ra­patriés d’Algérie ont mis sur pied, dans la plaine orientale, une véritable industrie viticole. Mais leur vin reste moyen et souffre de l’éloignement et du prix des transports. La consommation courante étant limitée, il doit être vendu sur le continent, à des prix que concurrencent aisément les vins du Languedoc, d’Espagne, d’Italie ou d’Afrique du Nord.

Quant au vin de famille, produit sur quel­ques arpents par des agriculteurs plus soucieux de tradition et d’autarcie que de rendement, ils sont capables du pire et du meilleur. Il convient en tout cas de savoir que, si un vigneron dilettante vend quelques litres à un touriste néophyte, c’est sans doute qu’il n’a pu les faire boire, ni à sa fa­mille, ni à ses amis.

Reste l’alcool. La distillation de vins médiocres, ou de marcs présentant l’avantage de n’être pas issus de pressions industrielles, donne une excel­lente eau-de-vie, parfois agrémentée par la macéra­tion sucrée de myrtes du maquis.

A ceux que tenteraient les parfums et plaisirs d’une table corse et qui ne pourraient pas, pour autant, s’offrir le voyage, je propose le menu sui­vant:

Omelette au brocciu:

Travaillez à la fourchette 150 ou 200 grammes de brocciu (qui pourra être remplacé par un séré frais, si possible de brebis ou de chèvre).

Battez quatre oeufs, salez, poivrez, et ajoutez quel­ques feuilles de menthe fraîche coupées en quatre. Mélangez le tout et faites cuire comme une ome­lette ordinaire, légèrement baveuse.

Agneau ou cabri à l’agru dolce:

Coupez en morceaux un kilo et demi de viande (épaule et côtes de préférence) et faites rissoler à

feu assez vif dans un poêlon dont le fond contient de l’huile d’olive ou du saindoux. Ajoutez deux oignons émincés, de l’ail, du persil, du thym, une cuillerée de farine et mouillez aux trois-quarts d’eau chaude. Faites cuire à feu modéré et assaisonnez.

Pendant ce temps, faites tremper une bonne poignée de mie de pain dans du vinaigre sucré puis, lorsque l’agneau (ou le cabri) est cuit, exprimez la mie de manière à la débarrasser de tout liquide, et émiettez-la au-dessus du ragoût.

Beignets de courge aux raisins secs (spécialité de Bonifacio):

Débarrassez la courge de l’écorce et des grains. Râpez-la crue. Ajoutez à cette purée autant de farine qu’il est nécessaire pour obtenir une pâte à beignets assez consistante. Ajoutez les raisins préalablement trempés dans de l’eau-de-vie. Faites frire à l’huile chaude et servez les beignets, encore chauds, saupoudrés de sucre.

(D’après Maria Nunzia Filippini, dans «La cuisine corse»).

Vous pourrez arroser cet allègre repas de vin rouge de Patrimonio (on en trouve, en cherchant bien, sur le continent) et, après le café, vous pourrez, si le coeur vous en dit, déguster un semblant de liqueur de myrte. Procurez-vous pour cela un litre d’eau de vie de vin (blanche, n’ayant pas séjourné en fûts) ou de bon marc égrappé, blanc lui aussi. Faites-y macérer, pendant quarante jours, un kilo de myrtilles, fraîches de préférence, et ajoutez un tiers de litre de sirop de sucre. Filtrez et mettez en bouteilles. Laissez vieillir … si vous y parvenez.

La Corse et la mer ne font que lointain ménage. Il n’est, pour s’en convaincre, que de se rappeler les armes dans lesquels servaient les Corses lors­qu’ils vendaient leur bravoure aux puissances étrangères: plutôt infanterie que marine. Aussi n’avons-nous pas parlé dans ce bref survol de la Corse, des plaisirs maritimes et balnéaires que peuvent espérer les visiteurs. Il nous semble même que ce serait faire insulte aux Corses que d’aller chez eux et de se cantonner aux rivages, exception faite des villages de pêcheurs du Cap Corse, de la cité de Porto-Vecchio et du magnifique port naturel de Bonifacio. Pour les délices du bronze-fesses et de la planche à voile, je suggère donc au lecteur de s’adresser plutôt à son agent de voyage, dont je ne doute pas qu’il saura lui conseiller quelque ghetto vacancier où grouille l’estivant peu curieux.

En revanche, pour celui que la découverte et la dignité retiennent, je témoigne qu’il lui suffira de choisir, sur la carte, n’importe quel village de l’inté­rieur et de s’y rendre, à pied, à cheval ou en voi­ture. Même s’il n’existe pas d’hôtel, il trouvera sans doute, hors saison, à se loger chez l’habitant. Il pourra aussi choisir le lieu et la date de son voyage en fonction des fêtes traditionnelles qui ja­lonnent l’île et l’année. Voici quelques repères:

Février : Bals masqués et carnaval à Corte. Mars: Procession de la Saint-Joseph à Bastia.

Semaine sainte: Cérémonies de rite orthodoxe grec à Cargèse. Processions à Erbalunga. Apparition des Cinq confréries à Bonifacio et, surtout, Ca­tenacciu à Sartène.

Juin: Fête de la Saint-Jean-Baptiste à Bastia. Pro­cession de la Saint-Erasme à Ajaccio.

Juillet: Nombreuses foires, dans toute la Corse.

Se renseigner dans la région de résidence. Festival international de Corte (de tendance autonomiste, ce festival accueille des groupes musicaux étran­gers, ainsi que des chanteurs corses engagés, parmi lesquels de simples bergers ou l’excellent groupe Canta u Populu Corsu).

Août. Anniversaire (le 15 à Ajaccio) de la naissance de Napoléon (se rappeler que, Ajaccio mise à part, Napoléon et Tino Rossi ne constituent en Corse, ni un sujet de discussion, ni un viatique sûr…)

Septembre: Fête de la Santa et foire régionale à Casamaccioli. Pèlerinage de Notre-Dame à Lava­sina.

Décembre: Célébration de la Nativité. Il convien­drait, pour en saisir l’importance et la profondeur, d’être l’hôte d’une simple famille montagnarde.

 

 

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