Waswanipi

 

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Sur la longue plage de sable grisâtre, des enfants jouent au ballon, d’autres se baignent en criant, d’autres encore se pressent à les faire chavirer sur les barques à moteur japonais qui font la navette avec le village, à quelques kilomètres de là. On se dirait dans une colonie de vacances pour gosses banlieusards, n’était le hâle des vacanciers. Leur teint est plus cuivré que celui obtenu après quinze jours de bronzage intensif et tous ont le cheveu sombre.

Lorsqu’en fin d’après midi, sous un ciel menaçant, ils regagnent l’autre rive, ce n’est ni un hôtel ni même une quelconque bâtisse qui les attend, mais un campement hétéroclite fait de quelques tipis enturbannés de nylon, d’une douzaines de cabanes de contreplaqué tout neuf, de tentes de toile écrue montées sur un squelette de troncs de bouleaux encore verts mais consciencieusement dénudés de leur écorce.

Ce lieu ne devrait plus exister. Ici, l’une des bandes qui composent le peuple des Indiens Cris a vécu depuis des temps immémoriaux. En septembre, les hommes se postaient au bord du lac pour guetter le passage des outardes, les oies sauvages qui fuyaient à l’avance l’hiver du Grand Nord. Ils en prélevaient leur part et attendaient leur retour, en mai, lorsque les volatiles remontaient vers le nord, le temps d’un trop bref été.

De novembre à avril, le village se vidait presque complètement. Seuls y restaient les vieux, quelques enfants en bas âge et leurs mamans allaitantes. Tous les autres passaient l’hiver dans le bois, chassant ou trappant l’orignal, le wapiti, le caribou, le loup, le renard, le castor ou le lièvre, ou pêchant parfois par des trous, aménagés dans la glace des innombrables lacs, le saumon ou l’esturgeon. Au début de l’été, ils se retrouvaient ici pour attendre le passage de l’homme de la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui venait échanger les fourrures contre divers objets de première nécessité ou, plus récemment, contre des dollars.

Non, il ne devrait rien subsister de ce lieu et pourtant ils sont tous là ou presque. Lorsque l’homme blanc a décidé, voilà une vingtaine d’années, d’ériger une série de barrages hydro-électriques sur les affluents de la Baie James, le niveau des eaux aurait dû monter de plusieurs mètres et le petit lac Waswanipi aurait dû devenir une immense mer intérieure, immergeant la plupart des territoires de chasse traditionnels. En prévision de cette disparition, les Indiens de Waswanipi ont été déplacés à une quarantaine de kilomètres, sur une hauteur, et l’homme blanc leur a construit de belles maisons à sa façon, dans lesquelles les Cris ont accepté de vivre à l’occidentale ou presque, avec téléphone et air conditionné, à l’exception de tous ceux, un bon tiers des habitants, qui ont continué à s’engouffrer dans le bois pour les chasses d’hiver.

Mais, miracle, après la mise en place du nouveau village, l’homme blanc a modifié ses plans, les barrages ont été construits ailleurs, inondant d’autres territoires plus au nord et le petit lac de Waswanipi a été, provisoirement du moins, épargné. Aussi, chaque été, pour renouer les liens qui les unissaient autrefois et que le confort moderne a un rien écornés, les Cris de Waswanipi reviennent ici passer une partie de l’été. Sous le grand tipi bleu, les plus vieilles femmes surveillent le feu autour duquel, suspendus à des cordes, tournent des douzaines d’outardes dodues à souhait, deux ou trois castors à la graisse pour moi quasiment immangeable mais que les Cris adorent, des quartiers d’orignal, un ou deux lapins.

C’est jour de fête et chacun, tout à l’heure, pourra participer au festin mais d’abord, il faut participer à la cérémonie d’initiation des jeunes enfants. Agés de plus d’un an et de moins de deux, ils sont une dizaine que leurs grands parents habillent déjà de vêtements traditionnels, dans le secret d’un tipi blanc dont la porte de toile a été soigneusement abaissée. Dehors, les grands frères et soeurs, les parents, les amis, attendent en se racontant des histoires de chasse ou d’épousailles. Un tapis de branches mène du tipi à un pin de petite taille contre lequel un vieux sage est venu déposer un long fusil. La porte de toile se soulève. Soutenu par son grand-père, un mouflet aux allures de poupée, engoncé dans un habit blanc brodé, le front ceinturé d’une tresse de perles et traînant au bout d’une ficelle un canard sauvage tué de frais, s’avance jusqu’à l’arbuste. Le vieil homme saisit le fusil, l’arme et le tend à l’enfant dont il faut guider le doigt jusqu’à la détente. Pan. Te voilà chasseur, pour toute la vie que t’a donnée le Grand Manitou.

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