Sedilo

 

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Il n’est pas six heures. Le jour se lève à peine sur cette journée du 6 juillet. Pourtant, sur la petite route qui contourne la bourgade de Sedilo (celle des bandits Culeddu Falchi et Peppineddu Pes), voitures et camionnettes se faufilent sous le regard impuissant de deux carabiniers pour s’engouffrer à-qui-mieux-mieux dans un chemin de terre descendant au sud vers le lac artificiel. Des grappes plus sages, débarrassées de leurs véhicules, se hâtent à pied vers le même but. La brume légère qui recouvre la plaine rousse donne un aspect de quiétude irréelle aux collines, aux bosquets et au miroitement du plan d’eau.

Deux kilomètres plus loin, le chemin se resserre encore, remonte vers un léger promontoire marqué d’une croix de fer forgé, puis dévale le flanc du coteau pour passer sous la voûte de pierres sèches marquant l’entrée du domaine de San Costantino. Au-delà de la muraille, on distingue quelques maisons basses accolées et, au centre d’une place ombragée, une autre croix, montée sur un socle évoquant une fontaine de village.

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Plus loin, à flanc de montagne, à la lisière de la forêt de pins, le clocher d’une chapelle rustique marque la limite visible. Et partout ce ne sont que mouvements de foule, gosses s’installant sur quelque pierre levée, femmes de noir vêtues prenant place sur la pelouse en pente, hommes fabriquant des sièges de fortune. Marchands ambulants proposant d’odorantes anguilles grillées, groupes de jeunes gens passant dans la foule pour proposer trompettes de plastique ou cierges de piété.

Les rayons du soleil réchauffent maintenant les plus frileux, mais le fond de l’air reste frais. A midi, la chaleur sera torride et les lieux déserts. Pour l’heure, les ultimes retardataires tentent de gravir la colline, quelques coups de feu claquent du côté de la croix de fer, chacun se met en place, laissant ouvert un long passage de quelques mètres de largeur, menant de la croix à la chapelle, en serpentant par le porche de pierre, la croix-fontaine et le muret soutenant l’esplanade accrochée à la colline.

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Près de la croix, les meilleurs cavaliers de la région se sont rassemblés. A un signe, leurs montures bondissent, se jettent dans la poussière du chemin, passent en trombe le porche trop étroit, bousculent quelques imprudents piétons, virevoltent au centre de la place, se cabrent un instant lorsque éclatent des salves de mousquets, allongent le col pour s’attaquer à la colline et, les éperons dans la chair, forcent l’allure à mesure que se rapproche la chapelle. Course traditionnelle, qu’on vient voir de centaines de kilomètres à la ronde, pèlerinage annuel vers cette petite église proche de Sedilo où, dit-on, San Costantino fit des miracles.

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Les cavaliers tournent maintenant au pas; c’est l’ardia, la garde. « Sa pandela madzore », le cavalier responsable du groupe, maintient sa monture en tête, passe au pied du mur est où brûlent des dizaines de cierges dont la cire molle menace l’équilibre des chevaux. Il tient en main un solide gourdin dont il assénera de violents – et véritables – coups à quiconque tentera de le devancer. Puis chacun des cavaliers, mettant pied-à-terre, confiera pour quelques instants sa monture à quelque connaissance, le temps d’aller se recueillir dans la chapelle où, près des icônes, s’affichent des centaines de photographies, de dessins naïfs, de lettres encadrées, autant de suppliques émanant de malades et de désespérés, autant d’actes de grâces remerciant San Costantino d’avoir sauvé la vie du frère motocycliste, du père soldat ou de la tante invalide.

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Au dehors, les chevaux piaffent. Ils sont encore assez frais, la matinée encore assez douce, pour que tous les cavaliers se réunissent une seconde fois sur la colline à la croix avant de s’élancer pour une nouvelle course, une nouvelle ardia. Ensuite, lentement, chacun regagnera sa voiture, sa camionnette ou son autobus. La journée ne fait que commencer. Et les travaux des champs n’attendent pas.

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