Madame Daï

 

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A force de faire le tour de la planète, il arrive qu’on revienne sur ses pas. Mais il arrive aussi que tel pays, tellement ouvert et accueillant à telle époque, se ferme à telle autre, pour cause de coup d’état, de révolution ou d’occupation étrangère. Lorsqu’on peut à nouveau redécouvrir un pays, retrouver un ami, on en éprouve quelque chose….

Je me rappelle ainsi mon premier retour dans le Chili de Pinochet, plusieurs mois après l’assassinat d’Allende, ou mes retrouvailles avec des amis tchèques longtemps emprisonnés, plus d’une décennie après l’invasion soviétique. Au début de cette année, je pénétrais pour la première fois au Vietnam, la première fois depuis la fuite des Américains, la chute de Saïgon et la réunification du pays sous le régime communiste.

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Je ne connaissais pas, à l’époque, Madame Daï, mais j’avais entendu parler d’elle et j’avais vu, dans la presse, la photo de cette belle avocate, membre du Sénat, manifestant dans la rue pour la défense des droits de l’homme, que les gouvernements pro-américains de Diem et de Thieu n’avaient pas plus respectés que leurs successeurs communistes.

Après m’être alors vu confisquer à la douane de l’aéroport une vingtaine de bandes magnétiques qui semblent intéresser particulièrement la censure, me voilà remontant en vélo-pousse la rue Pasteur, dans le grouillement poussiéreux et pourtant souriant, de cette ville de 4 millions d’habitants, passant à proximité de la basilique catholique de brique rouge, et obliquant à droite dans Nguyen Du, une ruelle sage avec ses minuscules échoppes, des gosses assis derrière une caisse usagée sur laquelle trônent quelques paquets de cacahuètes et des cigarettes à l’unité.

Derrière une porte de métal, voici la maison de Madame Daï. Une vieille domestique à l’ancienne vient ouvrir en s’inclinant. Longue attente dans la bibliothèque, qui fut aussi le cabinet de Me Daï lorsque le barreau existait encore. Des recueils législatifs, un diplôme, quelques objets d’art. Ce soir, huit tables seront dressées ici puisque Madame Daï a transformé sa maison en restaurant dès après la chute de Saïgon, le 30 avril 1975.

Gai, Cha Gio, Chao Tom, Bo la Lot, Sui Mang Cua, Com Chien, les mets relèvent de la tradition vietnamienne. La musique aussi puisqu’une fois par semaine, à la fin du repas, les hôtes sont invités à passer à l’étage pour entendre un groupe de musiciens vietnamiens. Au programme aussi une réminiscence du temps où le Vietnam était protectorat français, J’irai revoir ma Normandie.

Deux bons tiers de siècle, des yeux malicieux et un rien distants, de larges lunettes-hublot, une lourde chevelure presque blonde, une blouse fleurie de soie bleue, Madame Daï a mieux survécu aux événements que son mari, ancien médecin brutalement rééduqué par les communistes, ou même que sa soeur, proche du Viet-Cong, mais démobilisée, déçue par ce que les nouveaux maîtres venus du nord ont fait de son pays. Toujours à Saïgon devenue Ho-Chi-Minh-Ville, toujours dans son ancienne étude d’avocate transformée en restaurant, Madame Daï, défenseur presque inconditionnel de son pays…

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