Le moussem des fiancés

 

Dans la tribu de Ait Haddidou, il y avait deux clans irréconciliables. Isly, un jeune berger, appartenait au premier de ces clans. Il gardait tranquillement ses moutons et ses chèvres jusqu’au jour où, sur son chemin, il rencontra, escortée par sa maman et sa petite soeur, une splendide jeune fille prénommée Tislit. Vous savez comme moi que l’amour, comme un tourbillon, est capable de tout emporter sur son passage. L’amour fit donc basculer le coeur d’Isly et de Tislit mais hélas, la jeune fille appartenait au deuxième clan et, entre les deux clans de Aït Haddidou, aussi loin que remontât la mémoire des hommes, aucun mariage n’avait jamais eu lieu. Les deux familles ennemies s’opposèrent donc au  mariage d’Isly et de Tislit.

Dans la montagne, solitaire et désespéré, Isly se mit à pleurer et bientôt ses larmes formèrent un ruisseau, puis une rivière, puis un lac qui existe encore aujourd’hui et qu’on appelle le lac Isly. Loin, sur l’autre versant, Tislit se mit elle aussi à pleurer, si bien que naquit un second lac, plus grand et plus profond encore, le lac Tislit. Lorsque, sous le flot des larmes des amoureux, les eaux des deux lacs se rejoignirent, Isly et Tislit furent enfin autorisés à se marier…

Belle histoire, non? J’avais tellement envie de vous la raconter avec de vraies images dans les yeux que je me suis rendu à Imilchil, la semaine dernière, pour le moussem des fiancés. Pas vraiment simple. Casablanca- Ouarzazate en avion  puis 100 km de goudron et ensuite, sur des pistes faites de caillasse, en pleine montagne, en remontant les gorges du Todra, six heures d’enfer pour le conducteur et plus encore pour la mécanique.

Au bout du chemin, entre Imilchil et Agoudal, un petit bourg et un grand rassemblement. Traditionnellement, c’est le lieu et le moment où les jeunes gens se rencontrent et se marient. En fait, ils se sont généralement rencontrés au cours du printemps ou de l’été et si certains décident de se marier à celle saison, c’est surtout parce que, sinon, ils ne pourraient pas habiter ensemble. Or, l’hiver est long à cette altitude.

Les hommes se rendent au moussem comme on se rendrait à une foire, pour acheter tout ce qui leur sera nécessaire pour passer plusieurs mois, dans la neige, coupés du monde. Et accessoirement pour se marier avec l’une des jeunes femmes qui sont, elles aussi, venues pour ça. Le principal serment qu’ils se feront mutuellement sera de ne pas se séparer avant l’hiver suivant.

Nous sommes à plus de 2000 mètres d’altitude dans une tribu aux coutumes très libres. Berbères, islamisés certes, mais attachés à leurs traditions d’avant l’Islam. Bien avant le jour, tous les habitants de la région se sont mis en route, à pied, à dos de mulet, ou en camion. Le moussem dure trois jours. Certains viennent pour une seule journée, d’autres y dorment dans des campements improvisés.

On voit surtout des hommes, mais aussi nombre de femmesvvêtues comme au temps de Tislit la jeune bergère. Visions furtives… Les hommes chantent, les femmes font discrètement leur choix car en fait, ce sont elles qui choisissent leur futur mari… Observez leur tenue. Toutes portent une cape sombre en poil de chèvre mais celles qui portent un bonnet sont venues pour rencontrer l’homme de leur vie, ou en tout cas de leur hiver. Si le bonnet est rond, ce sont des jeunes filles. S’il est pointu, ce sont des femmes mariées ou divorcées.

Avec elles, l’hiver sera moins rude.

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