08 Les âges de la vie

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Et si le temps à passer sur cette planète n’était destiné qu’à faire éclore le verbe… Du moins les âges de la vie, du premier souffle à la dernière pulsation, s’accordent-ils avec autant de formules, de traditions, de proverbes. La vie n’est pas uniquement faite pour parler mais elle est faite, à n’en pas douter, pour qu’on en parle.

J’en veux pour indice les ciseaux de la sage-femme. Partout ailleurs, cet instrument n’était destiné qu’à couper le cordon ombilical. En Provence, il avait aussi pour fonction de délier, en l’incisant, le filet situé sous la langue du nouveau-né. Il n’était ainsi de vraie naissance qu’avec l’assurance d’une parole complètement libérée. Éloquent symbole…

Mots sacramentels des proches de l’accouchée, proférés à l’intention du nouveau-né vagissant, lorsque sont déposés près de sa couche un oeuf, un morceau de pain, une pincée de sel et une allumette: – Sois plein comme un oeuf, bon comme le pain, sage comme le sel et droit comme une allumette.

Les Provençaux ne conservent aujourd’hui que les touches claires de la tradition. Les obscures, celles qui évoquaient les démons, le sort et les malédictions, ont disparu au plus profond des mémoires. Mais qui peut penser qu’elles soient éteintes à jamais ? A l’heure du néon et de l’électronique, je sais encore quelques parents qui ne souffleraient sous aucun prétexte la chandelle allumée près du bambin, à l’instant de la naissance, avant qu’ait été célébré le baptême. Le démon, certainement, profiterait de la première seconde d’obscurité pour investir l’enfant sans défense…

Je sais les mêmes – et d’autres – qui observent le crâne du nouveau-né avec une visible inquiétude, rassurés seulement lorsqu’il peuvent observer l’ébauche d’une touffe de cheveux, présage de bonheur, ou le plissement membraneux de la peau, indice d’un enfant « né coiffé », entendez par là que toutes les chances lui souriront.

Le temps de la jeunesse est celui des rodomontades. Elle n’est pas complètement révolue, l’époque où les jeunes des bourgs s’assemblaient en abbayes de jeunesse, bandes dont le sage intitulé cachait exactions et avanies. Ces corporations, disposant de ressources aux origines difficilement avouables, semaient littéralement la terreur dans le monde des adultes, au point que de nombreux édits les mirent hors-la-loi. Edit ou pas, l’esprit frondeur et provoquant a subsisté et renaît à l’époque des fêtes locales.

Adolescent fanfaron, le Provençal est un amoureux timide. Il ne sait pas dire son amour, malgré la variété et la profusion du vocabulaire. Lorsque ont été franchis les différents obstacles familiaux et qu’enfin arrive le jour des noces, les mariés prendront garde aux fantaisies des adolescents, qui ne renonceront sous aucun prétexte à perturber leur première nuit d’amour, dans des conditions souvent scabreuses.

Les peuples heureux n’ont pas d’histoire. Les couples non plus. Le chemin qui mène jusqu’à la mort est celui de la sérénité. A l’heure de la dernière heure, la famille n’est pas un vain mot. A chacun son rôle, prévenir la parenté éloignée, avertir le village, maintenir la maison, recevoir les proches. La mort est l’affaire de tous:  » Ne ris pas de mon deuil, quand le mien sera vieux, le tien sera neuf. »

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