Le Mont-Saint-Michel

Le grand raz de marée / La fondation du Mont-Saint-Michel / «Au péril de la mer » / Les reliques et la Révolution

«Le Couesnon en sa folie a mis le mont en Normandie.»

Ce proverbe dit bien le dépit des Bretons. Ad­ministrativement, Bretagne et Normandie sont séparées par le cours de cette petite rivière. Or, le Couesnon a varié dans son cours. La fantaisie des marées, le déplacement des sables et les travaux des hommes font qu’il coule aujourd’hui, à marée basse, juste au pied ouest du Mont-Saint-Michel. Ainsi, la Merveille est normande.

Pourtant, l’évidence de la géographie (le mont est de nature granitique, comme le reste de la Bre­tagne) et les rappels de l’Histoire (les Traités d’En­trammes et de Compiègne, en 863 et 868, don­naient à la Bretagne divers territoires repris depuis, parmi lesquels le Cotentin et l’Avranchais) nous ont amenés, dans ce livre, à situer le Mont-Saint-Michel à la charnière de la Bretagne et de la Normandie. Ainsi, par le verbe, nous pourrons rendre aux Bretons ce qu’ils n’ont jamais cessé de revendiquer, et laisser aux Normands ce qui, depuis des siècles, leur appartient.

Le grand raz de marée

Actuellement, l’ensablement progressif de la baie rattache chaque jour un peu plus le Mont-Saint-Michel à la terre ferme et des travaux sont prévus, qui devraient inverser cette tendance. Ce n’est pourtant qu’un naturel retour des choses, puisque le Mont-Saint-Michel, alors appelé mont Tombe, était autrefois entouré, non par la mer, mais par la forêt.

C’est à l’équinoxe de l’an 709 qu’un effroyable raz de marée engloutit en quelques heures la forêt et les villages qui la bordaient, Tommen, Porspican, Colombel, Saint-Etienne-de-Paluel. On a d’ailleurs pu marcher dans les rues de Saint-Etienne, durant quelques jours, 1026 ans plus tard, après un autre raz de marée qui en fit réapparaître les maisons et l’église. Un mois plus tard, le sable avait, à nou­veau, recouvert les lieux.

Jusqu’à 709, le mont Tombe ainsi que le mont Tombelaine, situé aujourd’hui au beau milieu de la baie, avaient été des hauts lieux fréquentés par les druides. Le nom de Tombelaine signifierait d’ailleurs «tombe de Belenos», le dieu celte des sources, des prophéties et de la médecine. Des menhirs étaient érigés sur les hauteurs et, à l’époque gallo-romaine, le mont Tombe était le siège d’un collège de druidesses qui, pour calmer les tempêtes, apprenaient à leurs élèves adoles­cents à arrêter les vagues en les transperçant de flèches.

Alors que le christianisme progressait, il est vrai­semblable que le mont Tombe résista et que les «païens» tinrent longtemps les hauteurs du mont, tandis que des missionnaires construisaient dans les immédiats alentours de modestes abris. C’est là qu’une nuit de l’an 708, Aubert, évêque d’Avranches, vit apparaître l’archange.

La fondation du Mont-Saint-Michel

L’archange saint Michel, dans une lumière écla­tante, lui montrait du doigt le sommet du mont Tombe, surmonté d’une grande église. Aubert ne voulait pas croire à une révélation. Aussi ne don­na-t-il aucune suite à ce qu’il croyait être une simple illusion. Mais, trois jours plus tard, l’ange se manifesta à nouveau. Sa tenue guerrière, les éclairs que lançaient ses yeux, avaient de quoi impressionner l’évêque.

 «Je suis l’archange saint Michel et je veux que, sans délai, tu fasses bâtir un temple à l’endroit que je t’ai indiqué.»

Quelques jours passèrent encore, sans que l’évê­que se décidât à faire part de sa mystérieuse ren­contre. Alors, saint Michel apparut une troisième fois et, devant l’indécision de l’homme d’église, décida de le marquer d’un signe, afin qu’il pût prouver que tout cela n’était pas un rêve. Il planta alors son index, qui avait auparavant indiqué la colline et l’église à construire, dans le front d’Au­bert qui, tremblant, promit de s’éxécuter.

L’année suivante, les travaux n’étaient pas termi­nés lorsque survint le grand raz de marée.

«Au péril de la mer »

En une seule marée, la forêt de Scissy et les villa­ges alentour furent engloutis. Seuls émergeaient encore le Mont-Saint-Michel et, bien au large, le mont Tombelaine. Certains disent que l’expres­sion «au péril de la mer» remonte à ce cata­clysme de 709. D’autres affirment qu’elle est postérieure et trouve son origine dans un événe­ment qui se serait produit en l’an 1010, sur la grève proche du mont. Dans le brouillard, une femme enceinte s’y était perdue alors que montait la marée, et elle aurait péri noyée sans l’intervention de saint Michel qui, d’un seul ordre, fit un barrage à l’océan, tant et si bien qu’elle se trouva à pieds secs, alors qu’autour d’elle la mer montait jusqu’à atteindre plusieurs mètres. La femme donna alors naissance à un fils. Et tous deux furent retrouvés vivants, à marée basse, par des villageois.

Le cyclone de 709, s’il avait isolé le mont du reste des terres, n’avait pas compromis la construction de l’oratoire, et une collégiale de douze moines s’était installée à proximité. Mais l’apparition de l’archange, doublée d’un cataclysme aux allures surnaturelles, commença d’attirer des pèlerinages et, conséquence habituelle, bimbelotiers, auber­gistes et marchands commençaient – déjà – à s’ac­crocher au rocher. La collégiale fut alors transfor­mée en abbaye et trente moines bénédictins vinrent de Jumièges pour imposer au lieu leur discipline. Mais rien ne laissait encore prévoir la Merveille que nous connaissons aujourd’hui.

C’est en 1017 que Richard II, duc de Normandie, vint au Mont-Saint-Michel faire bénir son mariage avec Judith de Bretagne. Il encouragea à cette occasion les projets de l’abbé, qui rêvait de faire venir des blocs de granit des îles Chausey, pour ériger au sommet du mont un sanctuaire sur­monté d’une flèche.

Il fallut plus d’un siècle, (1022-1135) pour cons­truire cette église, qui prenait appui sur un bâti­ment précédent, datant de l’époque carolingienne. Puis, du XIIIe au XVIe siècles, de nouveaux bâti­ments vinrent compléter l’ensemble: au nord, la Merveille, superbe construction gothique, desti­née aux moines, aux pèlerins et aux hôtes de mar­que-, à l’est, le Châtelet et ses défenses avancées-, et, au centre de l’église, le choeur, initialement de style roman, mais écroulé et reconstruit alors en gothique flamboyant. Beaucoup plus tard, en 1897, un nouveau clocher sera érigé, dont la flèche cul­mine à 157 mètres.

Bien fortifiée, l’abbaye du Mont-Saint-Michel n’a jamais été prise, ni par la fureur de la mer, ni par la folie des hommes. Ce ne sont pourtant pas les risques et les assauts qui ont manqué mais, au fil des guerres féodales, de la guerre de Cent Ans, puis des guerres de religion, le Mont-Saint-Michel a tenu bon. Le 29 septembre 1591, jour de la Saint-Michel, il s’en est pourtant fallu de peu.

Le chef protestant Montgomery était alors installé tout près, à Pontorson. Un soir de septembre, il interpella, sur ses terres, l’un des archers du Mont-Saint-Michel. Cet homme, du nom de Goupigny, risquait la pendaison immédiate pour espionnage. Montgomery lui proposa un marché: le 29 sep­tembre, alors que la fête aurait fait se relâcher la garde, Goupigny devrait, à la nuit noire, laisser pendre une corde aux remparts et hisser un à un les soudards de Montgomery. L’offre, assortie de cinquante écus, fut aussitôt acceptée par Gou­pigny et, le jour dit, à l’heure dite, la corde fut déroulée et le premier guerrier huguenot se laissa hisser. Puis le deuxième, puis le troisième, et ainsi de suite jusqu’à quatre-vingt-dix-sept. C’est alors seulement qu’un des hommes de Montgomery, à peine parvenu près de Goupigny, put hurler à la trahison avant de se jeter dans le vide. Il venait d’apercevoir les cadavres de ses quatre-vingt-dix-sept camarades, passés au fil de l’épée par les gar­des du Mont, prévenus par Goupigny. Mont­gomery et les quelques hommes qu’il lui restait n’eurent plus qu’à s’enfuir à bride abattue. Le Mont-Saint-Michel, construit au péril de la mer, avait ainsi échappé à celui des hommes.

Les reliques et la Révolution

Rois et manants se sont côtoyés ou succédé, des siècles durant, au Mont-Saint-Michel. Si le peuple n’y apportait que sa foi, les rois, eux, marquaient leur passage de cadeaux rares ou somptueux.

C’est ainsi que fut constitué l’un des plus impor­tants reliquaires d’Europe. On y adorait deux épi­nes de la couronne du Christ, don de Philippe le Bel, une côte de saint Yves, présent de Charles de Blois, un fragment de la Cène, une pierre où s’était appuyé Jésus, des cheveux de la Vierge et des fils de son voile…

A la veille de la Révolution de 1789, le Mont-Saint-Michel avait déjà été partiellement converti en prison provinciale. En 1790, la communauté fut abolie, les reliques dispersées. La prison fut agran­die et renforcée au détriment de l’abbaye déser­tée. Pourtant, en 1884, le Mont-Saint-Michel fut enfin classé monument historique. Peu à peu, des religieux y revinrent pour célébrer quelques cultes annuels. La seconde guerre mondiale devait in­terrompre, provisoirement, cette activité, sans cau­ser de dommages. Enfin, depuis 1966, quelques moines se sont installés à l’année et assurent un service religieux quotidien.

Aujourd’hui, la mer et les hommes, créateurs du Mont-Saint-Michel, en sont devenus les premiers ennemis. Les six cent mille touristes qui s’y ren­dent chaque année ont fait se multiplier les mar­chands du temple et compromettent trop souvent la sérénité du lieu. Leurs voitures s’étalent sur des kilomètres de dunes et viennent provoquer le passé jusqu’aux pieds des remparts. Quant à la mer, ses courants refoulent les alluvions du Couesnon et en apportent d’autres, arrachés à d’autres rivages. Seuls, d’importants travaux per­mettront, sinon de rendre au Mont-Saint-Michel l’aspect de ses grands jours, du moins de limiter les outrages du temps.

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