De Jeanne d’Arc au «Jour le plus long»

Jeanne d’Arc: de Domrémy à Rouen / Nouvelle-France et Porte Océane / Le Jour le plus long

Après la bataille d’Hastings, les envahisseurs vikings ajoutaient la couronne d’Angleterre à leur duché de Normandie. Peu à peu, ce ne serait plus la politique anglaise qui se ferait en Normandie, mais la politique normande qui se ferait à Lon­dres. Et les nouveaux ducs seraient, de plus en plus, des horsains, des étrangers. Anglais, Ange­vins, Aquitains. Mais pas Normands. Comment s’étonner que, dès lors, l’attachement populaire au duché s’amenuise? Et qu’après intrigues et défai­tes, la Normandie devienne française en 1204?

Mais les Anglais n’ont pas dit leur dernier mot. La France refusant de reconnaître les droits anglais sur la couronne, une très longue guerre éclate, la Guerre de Cent Ans. Victoires et revers vont se succéder. La Normandie n’en sera pas le seul enjeu, mais elle se trouvera, plus souvent qu’à son tour, au centre des convoitises et des tragédies. En Normandie, les successeurs de Guillaume le Con­quérant ne sont plus en pays ami. Il faut six mois à Henri V, en 1418, pour que capitule Rouen. Les Normands se sentent désormais français et leur cœur bat aux exploits de Jeanne.

Jeanne d’Arc: de Domrémy à Rouen

La Pucelle n’est pas normande, mais lorraine. Elle naît à Domrémy vers 1412, d’une famille de pay­sans. A l’âge de treize ans, elle affirme entendre des voix surnaturelles qui lui ordonnent de déli­vrer la France de l’occupation anglaise. Le 6 mars 1429, elle se rend à la cour de Charles VII et le convainc de libérer Orléans, assiégée par les Anglais, et de se faire sacrer à Reims. A la tête d’une petite armée, Jeanne délivre effectivement Orléans et, ce premier succès ayant redonné con­fiance aux troupes, Auxerre, Troyes et Châlons tombent à leur tour. La route de Reims est libre.

En juillet 1429, Charles VII est sacré à Reims. Sa légitimité, jusque-là contestée, ne fait plus de doute. Et Jeanne reprend le combat. Mais, lors du siège de Compiègne, elle est faite prisonnière par les Bourguignons et vendue aux Anglais, qui la font transférer à Rouen en décembre 1430. Leur projet ne manque pas d’imagination: il faut juger cette aventurière comme sorcière. Ainsi, on expli­quera les revers anglais par les méthodes diaboli­ques de Jeanne, et on jettera le doute sur la légiti­mité du sacre.

Le tribunal d’inquisition est présidé par Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, en qui les Anglais ont toute confiance. En février 1431, lorsque débute le procès, Jeanne vient de passer quarante jours dans une tour glaciale, pieds et mains enchaînés. Les interrogatoires se succèdent de janvier à mars. Jeanne répond sans l’aide d’un avocat. Elle tient tête, soutient que les voix venaient du Ciel. On lui supprime les sacrements, on lui interdit la messe, on lui reproche ses habits d’homme, contraires aux règles de l’Eglise. Elle n’en démord pas: ce sont les voix célestes qui lui ont commandé d’agir ainsi.

Le 26 mars, le tribunal donne lecture de l’acte d’accusation: la sorcière Jeanne est en contact depuis l’enfance avec le Diable, elle est blasphé­matrice et hérétique. Qu’elle avoue, et ses ennuis prendront fin. Jeanne tombe malade, mais main­tient sa position. On réclame d’elle qu’elle abjure son hérésie. Elle refuse. Pourtant, affaiblie, malade, elle finit par tracer une simple croix au bas de la cédule d’abjuration. Ainsi, pense-t-elle, l’Eglise devra l’emprisonner, et elle échappera aux Anglais. C’est pourquoi elle renonce aussi aux cheveux longs et aux habits d’homme, lors d’une séance organisée hors les murs du château.

Lorsqu’on la ramène dans sa cellule, Jeanne com­prend qu’elle a été trompée. Elle reprend aussitôt ses habits d’homme et désavoue son abjuration. Aussi, le 29 mai, l’évêque Cauchon affirme qu’elle est ainsi retombée en hérésie et la déclare relapse. Le tribunal la condamne à être brûlée vive.

Le lendemain, Jeanne est juchée sur un chariot qui l’emmène au Vieux-Marché. On lui a mis une mitre d’infamie portant la mention «hérétique, relapse, apostate, idolâtre». Elle est menée au bûcher, attachée à un poteau. Les flammes jaillis­sent. Jeanne crie, puis expire. Ses cendres sont jetées dans la Seine.

Jeanne d’Arc est morte. Mais les calculs anglais ne se réalisent pas. Le martyre de la Pucelle, loin d’effacer le sacre de Reims, confère une légitimité supplémentaire à Charles VII. Et surtout, à l’an­nonce du supplice de Rouen, toute la Normandie bouge. Elle se sent plus française que jamais. En 1449 commence la reconquête et, en 1469, l’an­neau ducal est brisé, le duché aboli. La Norman­die est désormais une province française comme les autres.

Nouvelle-France et Porte Océane

Depuis le début du Moyen Age, les marins nor­mands ont exploré les côtes de la mer du Nord et de la Méditerranée. Ils ont sans doute navigué aussi dans les parages de Terre-Neuve. Puis, avec les Croisades, ce sont les nobles qu’on retrouve en Terre Sainte. Mais c’est avec le XIVe siècle que les découvertes lointaines et les implantations nor­mandes vont s’intensifier.

En 1364, des Dieppois abordent sur les côtes de Guinée et fondent Petit-Dieppe. En 1402, Jean de Béthencourt devient l’éphémère roi des Canaries. En 1503, un gentilhomme de Honfleur débarque au Brésil. En 1526, un autre Honfleurais, Jean Denis, parvient à l’embouchure du Saint-Laurent, préparant ainsi, en quelque sorte, la découverte du Breton Jacques Cartier. En 1517, le roi François Ier, pour remplacer le port de Honfleur envasé par les alluvions de la Seine, ordonne la construction du Havre-de-Grâce. Dès lors, cet embryon de port moderne ne cessera de se développer et la «Porte Océane» du Havre constituera, jusqu’à nos jours, un atout essentiel de l’économie française et de l’ouverture de la Normandie sur le monde.

En 1524, Verrazzano, parti de Dieppe, reconnaît la Nouvelle-France puis inspecte, bien plus au sud, le site de la future New-York. Dans les années 1550, des colons protestants havrais et dieppois abordent au Brésil et en Floride, mais sont expul­sés ou massacrés. En 1608, un armateur de Dieppe, Samuel de Champlain, part de Honfleur et fonde Québec. Il y reviendra, après de durs combats avec les Anglais, avec le titre de gouver­neur, encourageant un peuplement de colonisa­tion dont on retrouve aujourd’hui des traces cer­taines, tant dans la toponymie que dans le parler québécois.

Le Jour le plus long

En juin 1940, les panzer de Rommel, après avoir investi le nord de la France, ont obliqué vers la Normandie. La Seine n’a pas été un véritable obstacle. Les patriotes ne peuvent opposer qu’une résistance symbolique. Rommel ne s’arrête qu’au Cotentin.

Ensuite, la Normandie ne constituera plus qu’une immense réserve alimentaire, dans laquelle l’occupant puisera à foison, et qui permettra tout de même d’approvisionner assez largement le marché noir parisien en beurre, lait et fromage.

Une première tentative de débarquement a lieu à Dieppe en août 1942. Mais les chenilles des chars ne parviennent pas à s’accrocher aux galets de la plage. Faute de soutien blindé, les premiers déta­chements de Canadiens sont capturés ou anéantis, tandis que la flotte britannique, impuissante, reprend le large.

De cet échec, Allemands et Alliés tireront deux conclusions diamétralement opposées. Les Alle­mands renforceront les fortifications proches des ports, pour éviter qu’une telle alerte puisse se renouveler. Et les Alliés opteront pour un débar­quement en rase campagne, sur des plages de sable où les chars puissent avancer.

A partir de 1943, les raids aériens alliés s’intensi­fient. De mars à mai 1944, ponts et voles de com­munication de la vallée de la Seine sont systémati­quement pilonnées et les Allemands s’y attendent à une attaque imminente. Le temps est clair, pro­pice à une action d’envergure. Rien ne se passe.

Début juin, le temps se couvre et, dans les rangs allemands, l’attention se relâche. Rommel a même regagné l’Allemagne, le temps d’un anni­versaire. Pourtant, on est à quelques jours d’une haute mer d’amplitude exceptionnelle.

A minuit, dans la nuit du 5 au 6 juin, les premiers parachutistes touchent le sol du Cotentin et s’ap­prêtent, entre haies et murets, à des opérations de guérilla destinées à désorganiser les liaisons alle­mandes. Les cinq plages choisies pour objectifs se situent sur une petite centaine de kilomètres, entre les premiers contreforts du Cotentin, à l’ouest, et l’embouchure de l’Orne, à l’est.

L’heure H a été fixée à 6 h 30 pour les forces amé­ricaines, à 7 h 30 pour les forces britanniques, canadiennes et françaises. Assez rapidement, les têtes de pont de l’est, Gold, Juno, Sword, établis­sent le contact. En revanche, les deux secteurs américains, à l’ouest, se heurtent à une résistance acharnée et ne pourront faire leur jonction qu’une semaine plus tard, après la prise de Carentan. Le mur de l’Atlantique, que les Allemands avaient solidement construit en prévision d’une attaque, est tombé. Les bunkers ont été investis, les fortifi­cations détruites. A l’intérieur des terres norman­des, par contre, l’avance se révèle difficile. Les Américains réussissent à couper en deux le Cotentin, mais se heurtent au retranchement de Cherbourg, qui ne tombera que le 26. Ce même jour, Montgomery attaque Caen par le sud-ouest. La reddition n’est obtenue que le 9 juillet. L’avan­cée se fait alors plus précise, mais les forces alle­mandes, conscientes du danger qu’il y aurait à laisser couper leur ligne de repli, défendent âpre­ment Mortan jusqu’au 8 août, Falaise jusqu’au 17. Le 21, à la tombée de la nuit, la bataille de Nor­mandie est terminée. Le plus grand débarque­ment jamais mis sur pied a réussi.

De part et d’autre, les pertes sont considérables. La bataille de Normandie a coûté aux Allemands plus de 640 000 hommes, tués, blessés ou faits pri­sonniers. Dans les cimetières alliés installés près des plages du débarquement, on dénombre 13 796 Américains, 17 769 Britanniques, 5002 Canadiens, 650 Polonais, 77 966 Allemands, sans compter tous ceux dont la dépouille n’a pas été retrouvée, et sans compter les Français inhumés dans leurs villes et villages respectifs.

Ces chiffres n’englobent pas les pertes civiles, pas plus que les Normands morts à la guerre sur d’au­tres fronts. De 1939 à 1945, la Normandie a perdu près de soixante mille habitants. L’invasion alle­mande, les bombardements et les opérations de 1944 ont causé des dégâts considérables. Deux cent mille immeubles ont été détruits. Caen, le Havre et Vire sont sinistrées à plus de 70 pour cent. Seules, Honfleur, Bayeux et Bernay ont été épargnées. De nombreuses églises, un grand nombre de bâtiments historiques ont été touchés. Mais la plupart ont été reconstruits dans leur état primitif et le visiteur découvrant, aujourd’hui, la Normandie, ne notera aucun indice qui, à l’excep­tion des cimetières, musées ou mémoriaux, rap­pelle les heures sombres de la guerre.

 

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