e. La vie du gardian

 

Large chapeau de feutre noir, chemise fleurie aux tons vifs, foulard noué sur la pomme d’Adam, veste de velours noir, pantalon «peau-de-taupe» à fine bande noire, bottes de cuir retourné, le gar­dian passe des milliers d’heures, chaque année, sur la confortable selle à haut troussequin qui se fixe, sans boucles métalliques, sur son infatigable cheval gris-clair. Il tient à la main une longue hampe de châtaignier, terminée par le fameux trident métallique, à la forme de croissant de lune. Son travail est difficile et contraignant, aujourd’hui comme hier.

Il s’agit de maintenir la manade de taureaux dans l’état de plus grande liberté possible (la bête doit rester sauvage et agressive pour que la course camarguaise passionne les «aficiounados»), tout en évitant que les accidents et les malveillances n’entraînent une mortalité trop élevée. L’activité est donc, d’abord, de surveillance.

Mais les saisons apportent leur lot d’impondéra­bles et d’obligations. Avec la raréfaction et l’a­ppauvrissement des pâtures, due à la mainmise grandissante des cultures dans les zones riches, les manades passent difficilement l’hiver sans four­rage d’appoint. Il faut donc déposer des dizaines de bottes de foin dans des lieux souvent difficiles d’accès.

Le taureau, robuste, rustique et résistant, doit pou­voir boire très fréquemment. En période de gel, le gardian doit suivre le troupeau en permanence afin de briser la glace des «roubines», le temps que les animaux s’abreuvent. Exigence d’autant plus fréquente que le gel est plus intense.

Au printemps, il est important que le gardian con­naisse bien l’effectif exact de la manade et identi­fie toutes les vaches portantes. Avec les déplace­ments incessants, il se pourrait en effet que l’une d’elle ait vêlé et préfère suivre la manade plutôt que de rester avec son jeune veau, incapable de marcher assez vite, du moins la première semaine, et qui serait irrémédiablement perdu s’il était privé du lait maternel.

Puis viennent la tonte des juments, la castration des chevaux et la transhumance de la manade.

La «sansouire» de basse Camargue s’assèche rapi­dement à l’approche de l’été. La maigre pâture, poussée avec les pluies de printemps, disparaît. Il faut trouver de nouveaux herbages. Les gardians regroupent donc la manade et, suivant que les prés d’été sont ou non éloignés, les cent taureaux et quinze chevaux qui constituent une manade normale sont acheminés, à pied ou en camions, vers des contrées plus riantes. Les manadiers aisés (leur aisance provient généralement d’activités annexes) possèdent souvent leurs propres prés d’été. Les autres disposent parfois d’une maison­nette dans le village du Cailar, au nord-ouest, en terre languedocienne, au-delà du triangle géogra­phique de la Camargue. Une survivance veut en effet que les manadiers puissent faire paître libre­ment leurs taureaux dans les prés publics du Cai­lar, à condition qu’ils disposent d’un feu au village et qu’ils acceptent de donner gratuitement une course aux arènes.

Laissez un commentaire. Merci.