b. Le camp des Framboises

 

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Raspberry Camp. Le Camp des Framboises. Construit en planches, le toit recouvert de bardeau, le dortoir doit avoir une bonne trentaine d’années. A l’intérieur, plancher grossier, vieux poêle à bois au centre, à côté d’une table sommaire, entourée de deux bancs, eux aussi de bois brut et ancien. Odeur de cuir et de suint, que renforcera l’arrivée des cow-boys, de leurs bottes crottées, de leurs selles mouillées. Entre les fenêtres, des châlits superposés, le niveau supérieur- étant destiné à accueillir les bagages. Au mur, trois rayonnages sommaires et des bouteilles – vides – de Canadian Club, Drambuie, Tequila,  Glenfiddich, une douzaines de numéros du Western Horseman, une boîte d’aspirine, une poignée de livres de poche. Des clous un peu partout, supportant des brides, bridons, sous-ventrières, muserolles, sacs, éperons, lassos, chaps, étriers, ainsi que quelques chemises claires et, brodées, amoureusement disposées sur leur cintre, en prévision de la sortie du dimanche.

Arrivée de deux nouveaux. Ils inspectent les selles, avec l’espoir d’y reconnaître les effets d’un compagnon de 1′année précédente. Les parois de bois sont émaillées d’inscriptions au couteau. Des noms et des dates, surtout. « Kim Lamont 87″. « Ulrich 74-77″. « John Andersson 66″. J.R.B. 84″. Un habitué a inscrit ses initiales « NE » au fer rouge ainsi que les années de sa présence, 82, 86, 87, 88. Sa marque se retrouve sur une espèce de rockin’chair  faite d’un segment de tronc en guise de base, de deux planches pour l’assise et le dossier, et d’un demi rondin pour l’appuie-tête.

Le « cookhouse », la cuisine-cantine, se trouve à une dizaine de mètres du dortoir. Entre les deux lieux, un tas de bois que les cowboys, après leurs heures à cheval, sont priés de couper pour la cuisinière, Calla, une jeune femme ronde et décidée, aux lointaines origines gréco-norvégiennes.

Dans le cookhouse, la grande table recouverte de formica peut accueillir ensemble une vingtaine de cowboys. Nous avons aidé Calla à rentrer l’essentiel des provisions apportées le matin par la camionnette 4X4 du ranch: lait en cartons, oeufs, pommes de terre, fruits de Californie ou de l’Okenagan Valley, boites de conserves provenant exclusivement de chez Woodward, une des plus importantes chaînes de magasins du Canada, et dont le propriétaire, « Chunky » pour les intimes, possède aussi le Douglas Lake Ranch, le plus grand ranch du pays.

Par vagues successives, en fin d’après-midi, le dortoir s’est empli de cowboys. Avec du bois à peine sec et du pétrole, l’un d’entre eux a allumé le poêle et y a déposé un baquet émailé contenant de 1′eau brunâtre prise à la rivière. Un autre a suspendu sa canadienne au-dessus, accrochée à un cintre. Le feu est surtout destiné à faire sécher les vêtements et les couvertons de selles, et à permettre une toilette limitée mais exigeante.

Ensuite sont arrivés deux camionnettes venues de la vallée. Outre des outils (marteux, fourches, haches, fers à cheval, ils apportaient les sacs des cow-boys contenant toute leur fortune. Qu’ils soient employés à 1′année ou engagés pour la saison, tout est là, dans un immense sac de toile bleue ou crème, dont les larges poignées de tissu permettent de le porter, soit à la main, soit à dos. Ils contiennent le couchage (sac ou drap, couvertures), des vêtements et bottes de rechange, quelques objets personnels, des livres. Celui que les autres « Surnomment « Woodtique », « Tique des bois », et dont la spécialité consiste, après son travail, à peindre de splendides aquarelles, a niché dans son sac une espèce de fusil mitrailleur …

Les nouveaux arrivés se confectionnent, avec un bout de poteau et quatre pieds, un support pour leur selle, qui prendra également place dans le dortoir, ainsi que le chien blanc de l’un d’entre eux. Individualisme jaloux. Même si tous se lèvent peu ou prou à la même heure, chacun a apporté son réveil et le place sur un vague tabouret à côté de lui. Chaque fois où cela n’est pas strictement nécessaire au travail collectif, chacun protège sa sphère et, à l’inverse, s’interdit d’entrer dans celle de l’autre. Ainsi protégeront-ils un peu de ce qui fait le mythe du cowboy et qui leur a sans doute fait choisir ce métier: la liberté.

Repas vers 18h30, en deux fournées. Comme au temps des pistes et des « chuckwagoons » qui accompagnaient les premiers conquérants, la cuisine est un élément essentiel de la cohésion du groupe et de son efficacité. On parle peu à table. Terry, le cow­boss, préside. Un fermier de Douglas Lake, occupé dans un champ voisin, est venu à moto et mange avec les autres.

Après le repas, tandis que la lumière baisse lentement, c’est le moment de la détente. Samedi et dimanche, il y aura un rodéo dans la réserve indienne qui jouxte le ranch. Certains y prendront sans doute part mais ne le disent pas. La plupart des cowboys adorent le rodéo, même s’ils n’en sont que les spectateurs ou si, participants, ils ne brillent pas toujours du même éclat que les « macadam cowboys ». Mais ils affectent de considérer cette pratique comme indigne d’eux. Pleine lune. Pas de volets ni de rideaux. Le dortoir reste assez clair. Pas de ronflements; à peine quelques soupirs à la fin de rêves indicibles.

5h.15. Premiers réveils. Seuls trois chevaux sont restés retenus dans le corral voisin. Il y en a une bonne centaine dans les environs. Trois premiers cavaliers sellent les trois chevaux et partent au galop, chacun dans une direction différente, à la recherche des autres montures.

Pendant ce temps, les autres cowboys se lèvent, font leur toilette, s’habillent. Alors, poussés par chacun des trois cavaliers, trois groupes de chevaux entrent sans rechigner dans le corral. Six autres cowboys 1es rejoignent à pied, 1asso à 1a main. Ils vont choisir les chevaux pour la journée. Les leurs d’abord, ou plutôt ceux qu’ils se sont attribués, puisque les chevaux sont tous propriété du ranch  alors que les selles sont , sauf exception, propriété des cowboys. Terrv explique aux nouveau venue les caractéristiques des animaux qui leur sont attribués. En général, chaque cowboy jette son dévolu sur trois chevaux différents. Chacun fait un jour de travail et se repose deux jours. Le cowboy, lui, travaille cinq jours par semaine, et parfois aussi le samedi et le dimanche lorsque les circonstances l’exigent.

Vers 6h30, tous les chevaux sont sellés et attachés à proximité du cookhouse. C’est l’heure du petit déjeuner. Silence presque total mais pas imposé. Chacun pense. Les grandes gueules n’ont pas la cote chez les cowboys. Quand on doit passer ensemble près de six mois dans un camp fait de trois maisonnettes de bois, on regarde à deux fois avant de jouer au fanfaron.

Jackpot Rodeo

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Un dimanche de juillet à Quilchena, Colombie Britannique. Le chef de la tribu indienne sur les terres de laquelle se trouve la modeste arène aux gradins de planche organise, comme chaque été, un Jackpot Rodéo, ouvert aux Blancs comme aux Indiens. Jackpot Rodeo, cela signifie que, dans chaque épreuve, les trois premiers classés emportent les mises payées au moment de l’inscription par leurs concurrents malheureux. Les organisateurs, eux, ne rajoutent pas le plus petit dollar à cette somme, les autres recettes leur permettant à peine de couvrir les frais d’organisation. Dans les grands rodéos de Calgary ou de Cheyenne, les organisateurs, qui empochent des sommes considérables grâce aux dizaines de milliers de spectateurs et au soutien publicitaire de nombreuses compagnies, peuvent se permettre d’ajouter aux « Entry Fees » des concurrents des primes de plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers de dollars. Dans les petits rodéos de campagne, même les gagnants risquent de repartir avec moins d’argent que ne leur en a coûté le déplacement.

Quilchena n’est ni Cheyenne, ni Calgary. En langage indien, Quilchena signifie « lieu où poussent les saules ». C’est vrai qu’à Quilchena, il y a certainement plus de saules que d’habitants. Ici, dans l’extrême ouest du Canada, au-delà des Montagnes Rocheuses, dans une région encore montagneuse et vallonnée proche de la frontière américaine, la population doit être d’un ou deux habitants et de deux ou trois bovins au kilomètre-carré.

Les quelques maisons de Quilchena se trouvent un peu plus au nord-est, au bord du lac, à l’embouchure de la rivière Nicola, dans la réserve indienne numéro 1 appartenant à la tribu des Spahomin, dont une autre partie vit à  l’extrémité ouest du Lac Douglas. Ici, quinze maisons, une plage de galets où viennent se baigner quelques citadins de la grande ville Vancouver, éloignée de plus de 200 kilomètres, une église récente faite de rondins massifs et, dans l’année, trois petits rodéos, dont ce Jackpot Rodeo.

Des Jackpot Rodeos, il y en a des milliers, un peu partout dans l’Ouest américain. L’intérêt de celui-ci est qu’il se déroule à l’intérieur d’une réserve indienne, qu’il soit organisé par les Indiens mais que les cow-boys des environs puissent y participer. A noter que, dans la région, les rapports entre Indiens et Blancs semblent bons. Au Quilchena Ranch, l’ancien cowboss de sang indien avait sous ses ordres des cowboys blancs. Sa fille a épousé un Blanc, Larry, descendant d’immigrants scandinaves.

Bons rapports, aujourd’hui, entre Indiens et Blancs. Mais cela n’a sans doute pas toujours été le cas. La violence ne se traduisait généralement pas par l’usage des armes mais plutôt par l’imposition aux « colonisés » des habitudes et des règles en vigueur parmi les « colons ». Pour ces derniers, un Indien ne méritait quelque respect que pour autant qu’il adopte la religion et même, le plus souvent, le patronyme des conquérants. A preuve la messe à laquelle nous avons assisté ce dimanche matin. Les fidèles, nombreux, étaient indiens. Le prêtre, lui, était d’origine polonaise. A preuve aussi les patronymes des concurrents du rodéo, pourtant ma j o r i t a i rement indiens: Mason, McDougall, Jefferson, et aussi leurs prénoms John, Bill, Joe mais bien sûr, dès qu’ils seront entrés sur la piste, il sera facile, à leur démarche, à leur teint, à la couleur de leurs cheveux, et à un certain comportement à la fois plus vif et plus nonchalant, de les différencier au premier coup d’œil des rodeomen blancs.

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