Du peuplement breton à l’annexion française

L’invasion germanique / Les Bretons en Armorique / La «Vie des Saints» / Nominoë et l’indépendance bretonne / Guerre civile et invasions normandes / Les ducs de Bretagne / Guerre de Succession et guerre de Cent Ans 

Après l’échec de différentes tentatives, dû à la résistance des populations celtes, les Romains se sont finalement emparés de l’île de Bretagne en 51 ap. J.-C. Mais leur pouvoir ne sera jamais total que dans les villes. Ailleurs, la langue et les tradi­tions celtiques continueront de prévaloir. Aussi, lorsqu’en 367 les Romains se replieront dans le sud de l’île, avant de l’abandonner complètement (410) pour aller défendre l’Italie, les Britones, ou Bretons insulaires, restaureront rapidement les pratiques celtiques. Les petites républiques régio­nales, mises en place par les occupants, devien­dront autant de royaumes indépendants, recon­naissant seulement, pour les affaires d’importance, la prééminence de l’un d’entre eux, Vortigern.

Pendant toute la période romaine, les contacts n’avaient pas cessé entre Grande-Bretagne et Armorique. La voie maritime était utilisée pour de très nombreux échanges, économiques, mais aussi humains. Par ailleurs, avec la christianisation, les Celtes des deux Bretagnes s’étaient, en partie, rapprochés des Romains, surtout lorsque leur sécurité l’exigeait. Ainsi, nombre de Bretons insulaires, enrôlés dans les légions romaines, étaient-ils venus en garnison dans les postes romains d’Armorique et c’est à des troupes de Bretons insulaires que les Romains avaient confié la défense de régions d’Armorique menacées par les pirates saxons. Mais, paradoxalement, c’est après le retrait romain que les Bretons insulaires, pour lutter contre la menace de leurs voisins d’Ir­lande (Scots) et d’Ecosse (Pictes), vont créer les conditions de leur exil.

L’invasion germanique

Depuis de nombreuses années, des marins germa­niques venus du Jutland attaquaient périodiquement les côtes est de l’île de Bretagne. Pour affronter les Scots et les Pictes, le roi Vortigern demanda l’aide des Jutes. Ceux-ci parvinrent en effet à repousser l’ennemi mais ensuite, repliés dans l’île de Thanet, ils organisèrent attaques et massacres, désormais dirigés contre les Bretons eux-mêmes. Après avoir débarqué, ils battirent l’armée des Bretons à Aylesford et pillèrent toute la région du Kent.

Dans le même temps, d’autres Germains, les Saxons, s’attaquaient à la côte sud et, malgré la résistance victorieuse du guerrier breton Arthur (celui des romans de la Table Ronde…), parve­naient jusqu’au nord de la Tamise. Et ce n’était là que le début d’une invasion qui, en près de deux siècles, allait tronçonner, démembrer, anéantir les royaumes celtes, à l’exception des deux extrémi­tés occidentales, Cornouailles et Pays de Galles, plus difficilement accessibles.

Avec l’avancée des Germains, désormais organi­sés en trois royaumes, et l’extermination systéma­tique, du moins au début, de tous les Bretons ren­contrés, apparut vite, pour les vaincus, la nécessité impérieuse de l’exil. Pays de Galles (Cymru) et Cornouailles (Kernew) allaient servir d’embarca­dère à des dizaines de milliers de Bretons. Cer­tains, peu nombreux, partaient pour l’extrême-ouest de la péninsule ibérique (Galice). Mais la plupart choisirent l’Armorique, parce qu’elle était proche, parce que beaucoup en connaissaient déjà, sinon le chemin, du moins l’existence, et parce que les exilés la savaient peuplée d’autres Celtes, au parler et aux coutumes proches des leurs. Ainsi débutait un fait historique d’une importance capitale pour l’Armorique, bientôt nommée Petite-Bretagne, puis Bretagne, par les immigrés bretons.

Les Bretons en Armorique

Les historiens ont longtemps pensé que le nombre des exilés bretons débarqués en Armo­rique, aux Ve et VIe siècles, était très élevé, de l’ordre de cent mille à cent cinquante mille per­sonnes, un chiffre plausible au regard de la popu­lation celte de Grande-Bretagne avant l’invasion germanique, mais un chiffre très important par rapport à la population autochtone de l’Armorique (moins de cent mille habitants), qui suppose la majorisation des autochtones par les nouveaux venus. On pense plutôt, aujourd’hui, que l’impor­tance de l’émigration bretonne a été plus faible, de l’ordre de cinquante mille personnes.

Deux éléments semblent confirmer cette thèse. D’abord le fait qu’en Grande-Bretagne, des popu­lations complètement celtes s’étaient maintenues dans l’Ouest et qu’en plus, la part celte dans les métissages entre Celtes et Germains, métissage qui a donné naissance à la race anglaise, semble plus importante qu’on ne l’avait évaluée. Ensuite parce qu’on imagine mal une population (les Celtes d’Armorique) accueillant à bras ouverts une autre population (les exilés bretons), si cette dernière, par son importance numérique, avait pu compromettre l’équilibre social et humain de la population d’accueil. On rappellera tout de même, pour tempérer cette réserve, qu’autochtones et nouveaux venus étaient de cultures très proches, ce qui facilitait sans doute l’assimilation de plus grands nombres.

Qui étaient les Armoricains à l’arrivée des Bre­tons? Quelle avait été sur eux l’influence de quatre siècles de romanisation? Les occupants avaient amené avec eux leurs dieux, Mars, Jupi­ter, Saturne et les autres. Mais ils n’avaient guère tenté d’interdire le culte des dieux celtiques. En revanche, ils avaient sévèrement persécuté les druides, non point tant pour leur rôle de prêtres de la religion celtique, mais parce qu’ils étaient les dépositaires de secrets, de conceptions, de savoirs qui constituaient l’héritage vivant du monde cel­tique, un héritage dangereux pour les occupants. Un héritage qui, croyaient-ils, disparaîtrait avec les druides, puisque leur enseignement initiatique ne pouvait être transmis qu’oralement, de mémoire, les druides ayant toujours refusé que les choses du sacré, réservées à l’esprit, fussent transcrites sur la matière vile d’un parchemin ou d’un monu­ment.

Les druides avaient, officiellement, disparu. Leur groupe avait été anéanti. Mais, sans nul doute, ils avaient transmis tout ou partie de leur savoir à de nouveaux druides qui, plutôt que de se déclarer tels au risque d’être pris par l’occupant romain, étaient entrés dans un anonymat proche de la clandestinité. Une clandestinité destinée à durer quatre siècles, soit près de douze générations.

Au temps des Romains, l’économie armoricaine, même si elle n’était pas catastrophique, ne présen­tait en rien l’aspect fastueux d’autres provinces, la Narbonnaise par exemple. Les voies romaines ne consistèrent souvent qu’en un renforcement des voies gauloises existantes. Les Romains, pour qui les rivages armoricains étaient trop éloignés, avaient renoncé aux possibilités maritimes et au savoir-faire des peuples marins, comme celui des Vénètes. Des révoltes de caractère social, dues à la décadence des conditions matérielles de vie, avaient été matées dans le sang. Les pirates saxons opéraient sur les côtes, et les villes, crai­gnant la venue de troupes de bandits, s’étaient enfermées à l’intérieur de murailles.

Quant au christianisme, il avait mis beaucoup de temps à gagner les villes (les premiers évêchés ne furent fondés qu’au IVe siècle) et plus encore à pénétrer les campagnes. Pourtant, les prêtres ayant «christianisé» de nombreux mythes restés vivants en Armorique (feux de joie, nymphes, fontaines, sources), la foi chrétienne s’était peu à peu imposée. A l’arrivée des Bretons, eux aussi chrétiens, les villes étaient déjà chrétiennes, tandis que les premières églises apparaissaient dans les bourgs de campagne. Les exilés bretons, en même temps qu’ils participeraient à l’essor de la religion, allaient apporter certaines de leurs con­ceptions religieuses: le mépris des richesses, le culte de la mort et la pratique monastique.

La «Vie des Saints»

Si le nombre des émigrants bretons a été, finale­ment, plus faible que ne l’avaient pensé les histo­riens, leur influence sur la société armoricaine a cependant été considérable. C’est que les exilés semblent avoir appartenu à une élite, militaire et religieuse, celle-là même qui avait le plus à craindre des Germains, et que les Germains avaient le plus intérêt à voir fuir la Grande-Bre­tagne pour y installer plus facilement leur pouvoir. C’est cette élite qui, dans un premier temps, ranima le caractère celtique, partiellement modifié par plusieurs siècles d’emprise romaine, dans les zones de forte immigration, c’est-à-dire à l’ouest d’une ligne allant de Saint-Brieuc à Vannes. Mais il restait, en Cornouailles et au Pays de Galles, des écoles monastiques d’où sortaient des élèves, for­més tout à la fois à la religion chrétienne et à la culture celtique. Ce sont ces moines qui, pendant des siècles, allaient assurer le maintien d’un véri­table cordon ombilical entre la terre des ancêtres et la nouvelle Bretagne.

Certains de ces savants religieux arrivaient en terre de Bretagne alors qu’ils avaient déjà été proclamés évêques outre-Manche. D’autres arri­vaient comme de simples ermites et menaient une vie d’ascèse sur des terres reculées, leur seul enseignement étant celui de l’exemple. D’autres encore, forts de leurs connaissances spirituelles, se mettaient au service des collectivités civiles. Ainsi sont apparues en nombre de nouvelles bourgades (cités dont les noms commencent par plou), des monastères (dont le nom commence par lan) et des établissements laïcs (dont le nom commence par tré).

De cette période datent aussi les premières Vies de Saints. Il faut savoir à ce propos que la plupart des saints bretons (ils se comptent par dizaines), s’ils sont reconnus par l’Eglise catholique, n’ont pas pour autant été canonisés car, jusqu’au XIIe siècle, la vénération des fidèles et la confirmation d’un évêque suffisaient à la consécration d’un saint. C’est la raison pour laquelle il est bien diffi­cile, à lecture de ces Vie de Saints, de faire la part de la vérité, aucun procès en canonisation n’ayant eu lieu.

Pourtant, même si elles contiennent de nombreu­ses inventions, de nombreuses imprécisions histo­riques et géographiques, les Vies des Saints mon­trent bien le lien entre ancienne et nouvelle Bre­tagne. L’exemple de saint Samson est sans doute la plus ancienne et, pour partie, la mieux vérifiée.

Samson, fils d’Amon et d’Anna, appartenait à une famille noble du Pays de Galles. Né vers 485, il avait très tôt, dès l’âge de cinq ans, fréquenté une école monastique. Iltud, son maître, avait aussitôt prophétisé pour lui un destin merveilleux. En un jour, il avait appris l’alphabet et, en un mois, le latin. A ces «miracles» allaient vite s’en ajouter d’autres, Samson guérissant un autre élève d’une morsure de serpent, tuant une sorcière, convertis­sant son père ou venant à bout d’un effroyable dragon qu’il avait enfermé dans un cercle, tracé dans la poussière du bout de son bâton.

Puis Samson avait rencontré des moines irlandais, revenant de Rome et regagnant leur pays, et avait décidé de les suivre. Devenu rapidement célèbre en Irlande, il était pourtant revenu au Pays de Gal­les puis était parti vers le sud, où il avait assisté avec effroi à une fête païenne, dont le culte consis­tait en «jeux, danses, festins et toutes sortes de dissolutions» en l’honneur d’une ancienne idole. Enfin, après avoir pris la mer, il avait débarqué en Armorique, vers l’an 522, à proximité de Dol. Là, de nouvelles guérisons spectaculaires lui avaient valu l’offrande d’un domaine sur lequel il avait fait construire le monastère de Dol, avant de mourir aux alentours de l’an 565.

Cette Vie de saint Samson est en plusieurs points exemplaire. Notons d’abord que l’aura du saint lui vient de son passé insulaire et que le récit est fort discret sur ses activités en Bretagne. Notons aussi la propension au merveilleux, que se soit pour l’apprentissage rapide de l’alphabet et du latin ou pour les combats victorieux contre les monstres et dragons. Mais notons aussi des indications autre­ment utiles. D’abord la rencontre avec les reli­gieux irlandais. En effet, c’est en Irlande plus que dans l’ouest celtique de l’île de Bretagne que se préparait l’enseignement de prêtres savants desti­nés à devenir missionnaires, non seulement dans les îles proches, mais dans toute l’Europe, Bre­tagne comprise. Notons aussi la description de rites païens, encore fortement enracinés dans les traditions populaires, et pour lesquels le saint n’éprouve que répulsion, la sorcière qu’il tue n’étant peut-être, après tout, qu’une femme païenne refu­sant d’abandonner le culte des anciennes idoles au profit de la foi chrétienne. Un tel affrontement, qui se déroule en Bretagne insulaire, se renouvel­lera fréquemment en terre de Bretagne et le loin­tain fond druidique résistera longtemps à la foi chrétienne… peut-être jusqu’à nos jours.

Nominoë et l’indépendance bretonne

Premier roi carolingien, Pépin le Bref entreprend en 753 une campagne contre la Bretagne, prend la ville de Vannes et installe, entre la Bretagne et le royaume franc, un cordon de sécurité, les Marches de Bretagne, gouvernement militaire comprenant les villes limitrophes de Nantes, Vannes et Rennes. C’est la première tentative de mainmise de la future France sur la Bretagne. A son tour, Charlemagne lancera trois expéditions militaires. Mais la soumission bretonne ne durera que le temps de la présence armée et les révoltes populaires remet­tront en question la suprématie franque. C’est pourquoi l’empereur Louis de Débonnaire, suc­cesseur de Charlemagne, choisira pour «chef de la Bretagne» un prince breton, Nominoë, qui lui prê­tera serment de fidélité. Ainsi reviendra la paix.

Mais, à la mort de Louis le Débonnaire, Nominoë se sent délié de son serment. Son armée bat celle de Charles le Chauve, roi de Francie, à Ballon, près de Redon, en 845. L’année suivante, la paix est signée. La Bretagne est indépendante.

Après la mort de Nominoë, son fils, Erispoë, doit encore se défendre contre une ultime tentative guerrière du roi de Francie. Victorieux, Erispoë obtient, lors du Traité d’Angers, le titre de roi et la possession de Rennes, Nantes et Retz.

Guerre civile et invasions normandes

L’indépendance bretonne est vite marquée par des épisodes troubles et cruels. Erispoë est assassiné par son cousin, Salomon, qui devient roi à son tour et entreprend la conquête de nouvelles terres, jusqu’à la Sarthe et la Mayenne, s’alliant au besoin avec les pirates normands qui, depuis le règne de Nominoë, organisaient de meurtrières incursions sur les côtes bretonnes. Puis, après l’assassinat de Salomon, le royaume se désagrège et les Nor­mands, poursuivant leurs attaques, pillent Nantes, Vannes, Redon et l’abbaye de Landévennec, détruisant ainsi les rares documents de la nouvelle littérature bretonne. Le Cotentin et les îles de Jer­sey et Guernesey sont prises à leur tour.

Pourtant, ultime sursaut lors de la désagrégation du royaume breton, un roi avait réussi à s’imposer aux factions, Alain le Grand, Alan-veur en breton. Durant son règne, les invasions normandes avaient provisoirement cessé. Trente ans après sa mort, son petit-fils, Alain Barbe-Torte, réfugié en Angleterre, allait enfin débarquer sur la côte bre­tonne. Les Normands seraient battus près de Dol et définitivement chassés après la bataille de Trans (939). Mais la Mayenne et le Cotentin étaient irrémédiablement perdus. Les frontières de la Bre­tagne contemporaine étaient tracées.

Les ducs de Bretagne

Rois, ducs ou comtes? Le titre des souverains suc­cessifs de la Bretagne indépendante prête à con­testation. Il est vrai que, même lorsque Nominoë, Erispoë et leurs successeurs se proclamaient rois, ils rendaient hommage aux souverains des gran­des puissances voisines, la Francie le plus souvent (elle ne deviendra la France qu’en 1271 avec l’annexion du comté de Toulouse), l’Angleterre et la Normandie parfois. Mais cette allégeance restait théorique et la population bretonne, dans une Europe où le concept de nations était encore inconnu, se reconnaissait en fait deux appartenan­ces, appartenance à la chrétienté et appartenance au prince, que son titre soit celui de roi ou celui de duc. De plus, leur sentiment profond était de faire partie d’un peuple unique qui, par-delà la mer, unissait Cornouailles, Pays de Galles et Bre­tagne continentale. N’était-il pas dit que le roi Arthur viendrait des îles pour repousser de Bre­tagne les envahisseurs germaniques?

A Paris et à Rome, on tentait de rabaisser l’impor­tance des souverains bretons en limitant leur titre à celui de comte. De leur côté, les princes bre­tons, même s’ils continuaient de revendiquer rang royal, portaient plus généralement le titre de duc. Nous en resterons donc à cette dernière défini­tion.

A la mort d’Alain Barbe-Torte, son fils Drogon était trop jeune pour lui succéder. Il s’ensuivit une série d’intrigues et, finalement, c’est un membre de la maison de Rennes, Geoffroy, qui s’empara du pouvoir en 992. Comme lui, ses successeurs, transformant lentement la Bretagne patriarcale en Bretagne féodale, apportèrent une période de paix et de relative prospérité.

Mais, à partir de 1148, de nouveaux troubles dus à une succession contestée allaient modifier le cours des événements et, en 1154, Henri II Planta­genêt, comte d’Anjou et nouveau roi d’Angleterre, allait envahir la Bretagne tandis qu’Eon de Por­hoët, héritier légitime du duché, prendrait la tête de rébellions et d’un véritable mouvement de résistance à la domination anglaise. Puis, après la mort de Henri II, les Plantagenêt allaient dévelop­per une politique moins anglaise, plus bretonne, qui les ferait mieux accepter des nobles et de la population.

Enfin, en 1213, le mariage d’Alix, héritière de la couronne, allait faire passer le pouvoir aux mains d’une famille proche des rois capétiens français, la maison de Dreux. Même si l’hommage du duc à la France l’était encore à titre personnel, la ten­dance était certainement à un rapprochement avec le puissant voisin. Mais une nouvelle que­relle de succession, intervenant alors que la France et l’Angleterre étaient, elles aussi, en con­flit, allait mettre la Bretagne à feu et à sang.

Guerre de Succession et guerre de Cent Ans

La Maison de Dreux avait aligné, après Pierre Ter Mauclerc, quatre ducs. Mais le dernier, Jean III, n’avait pas d’enfants et, lorsqu’il mourut, il n’avait pas laissé d’indications précises permettant d’attri­buer sa succession à Jeanne de Penthièvre, sa nièce, plutôt qu’à Jean de Montfort, son demi-frère.

L’une et l’autre se résolurent donc à demander l’avis de leur suzerain en titre, le roi de France, Philippe VI. Jeanne de Penthièvre ayant épousé Charles de Blois, le choix du roi se porterait cer­tainement sur ce dernier. Aussi Jean de Montfort, avant même la sentence, s’était-il assuré la posses­sion de la ville de Nantes, où il s’était fait recon­naître pour duc et avait commencé de lever des troupes. La décision du roi de France, favorable à Charles de Blois, était donc, sauf affrontement ai    nié, inapplicable. Or, plus que deux hommes, c’étaient deux conceptions de la Bretagne qui s’af­frontaient. Le parti de Blois était soutenu par les grands seigneurs et par le pays gallo, région géo­graphiquement proche de la France. Le parti de Montfort pouvait compter, lui, sur l’appui des pay­sans et de la petite noblesse, surtout dans l’ouest de la péninsule, là où la langue bretonne restait omniprésente.

A la même époque, suite à la mort de Charles IV, un grave problème de succession se présentait en France. Edouard III, roi d’Angleterre et préten­dant à la couronne de France, avait été évincé au profit de Philippe de Valois et, s’il avait fait mine d’accepter cette décision, plusieurs conflits d’inté­rêts l’opposaient au nouveau roi. La succession de Bretagne était du nombre.

Les premières escarmouches ont lieu à Nantes, lorsque Charles de Blois, aidé par l’armée fran­çaise, prend la ville et fait prisonnier Jean de Montfort. Celui-ci sera libéré deux ans plus tard, à l’occasion d’une trêve, et mourra peu après. Son fils, Jean IV, assure la succession et la guerre se poursuit. Charles de Blois est à son tour fait pri­sonnier et emmené en Angleterre. Libéré, il trouve la mort le 29 septembre 1364, pendant le siège d’Auray. Les conditions sont désormais réu­nies pour que revienne la paix.

Mais la guerre de Cent Ans se poursuit entre An­glais et Français. Jean IV, qui doit beaucoup aux Anglais, signe un traité secret avec Jean III, ce qui provoque une forte irritation en Bretagne et per­met à l’armée française, commandée par Du Guesclin, d’investir le duché, tandis que Jean IV se réfugie outre-Manche.

Mais l’opinion bretonne se retourne complète­ment lorsque le roi de France, désireux de con­crétiser cette victoire militaire, fait voter par le Parlement de Paris l’annexion du duché. Aussitôt, les Bretons s’unissent et rappellent Jean IV qui, fort de cet appui, débarque à Dinan et reprend posses­sion de son duché. Dès lors, la Bretagne, tout en reconnaissant la suzeraineté française, va vivre pendant plus d’un siècle avec un sentiment et une volonté croissante de large indépendance.

Jusqu’en 1488, cinq ducs se succèdent en ligne directe. Mais le dernier, François II, qui est aussi le plus indépendant, est attaqué à la fin de son règne par les Français et doit, par traité, ne marier sa fille Anne qu’avec l’accord du roi de France. Lorsque François meurt, en 1488, Anne n’a que douze ans.

Deux ans plus tard, Anne est contrainte d’épouser le roi de France, Charles III, puis son successeur, Louis XII. Elle parvient cependant à rétablir la chancellerie de Bretagne et obtient que toutes les troupes françaises quittent le duché, dont elle ne manque pas une occupation de montrer qu’elle reste seule et unique maîtresse. Hélas, à la mort d’Anne, ses filles ne poursuivront guère sa politi­que, certes désespérée, d’indépendance. Claude remettra à son mari, le futur François Ier, le duché de Bretagne. Et, en 1532, par l’édit du Plessis­-Macé, la Bretagne entre dans le giron français. Certes, la France y met les formes. L’autonomie bretonne est reconnue, son Parlement maintenu. Nul impôt ne pourra être levé sans l’accord des Etats de Bretagne, la justice coutumière gardera force de loi et les charges ecclésiastiques ne seront attribuées qu’à des Bretons.

Mais ces dispositions ne sont destinées qu’à rassu­rer les Bretons et la France ne se fera pas faute de les oublier à la première occasion. En Bretagne, en revanche, tout un peuple, qui venait de se battre pendant plusieurs siècles pour son indépen­dance, voit s’écrouler l’essentiel de ces espoirs. Il va se refermer sur lui-même, se méfier du vain­queur et lui rappeler inlassablement, au fil des générations, ses engagements.

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