Depuis toujours, la situation géographique de la Roumanie fut difficile, coincée et tiraillée entre deux empires, l’un catholique et l’autre musulman. Bientôt, un troisième ferait valoir ses ambitions, celui des tsars russes. Sous le règne de Vlad l’Empaleur, la Valachie avait tantôt fait allégeance à l’Empire ottoman et tantôt s’en était affranchie pour jurer fidélité au roi de Hongrie. A la même époque, dans la Moldavie voisine, un cousin de Vlad, valaque comme lui, se battait tour à tour contre les Turcs, les Hongrois, les Tatars et les Polonais. Il se nommait Stefan cel Mare (Etienne le Grand) et se verrait bientôt décerner par le pape Sixte IV le titre envié d’Athlète des Chrétiens. C’est à Stefan cel Mare qu’on doit la construction de nombre des monastères peints qui font aujourd’hui la renommée internationale de la Roumanie. En Moldavie comme en Valachie, le sentiment national faisait lentement son chemin. Michel le Brave, qui réussit à unir brièvement les trois provinces, Transylvanie comprise, reste un symbole dont les historient usent et abusent volontiers.
Mihai Viteazul, c’est son nom roumain, est d’abord un chef de guerre. Proclamé voïvode de Valachie en 1593, il s’attaque immédiatement à la domination ottomane. En novembre de l’année suivante, il réunit tous les créanciers, généralement ottomans, qui épuisent le pays et les massacrer. Les Turcs considèrent à juste titre cette exécution collective comme une déclaration de guerre. Et ce n’est pas fini. Michel le Brave s’attaque à une des enclaves turques ou nord du Danube, Giurgiu, et massacre la garnison. Profitant d’un hiver particulièrement, il traverse ensuite avec ses soldats le Danube gelé et inflige une nouvelle défaite à ses ennemis. L’année suivante, il défait l’armée turque à Calugareni, dans la plaine de Valachie, s’empare de Tirgovişte et oblige les Ottomans à se retirer de Bucarest, les repoussant jusqu’au Danube dégelé dans lequel la plupart se noient. Au nord, bien que chrétien, le prince hongrois de Transylvanie, André Bathory, est au goût de Michel le Brave trop proche des Polonais, eux-mêmes trop proches des Turchs. Michel le Brave attaque Bthory, le défait et, le 1er novembre 1599, entre en vainqueur à Alba Iulia. L’année suivante, à l’intérieur de frontières qui ressemblent beaucoup à celles de la Roumanie d’aujourd’hui, la Transylvanie est, un temps, réunie à la Valachie et à la Moldavie que Michel le Brave vient à son tour de réduire à merci. Mais, comme toujours, trahisons et renversements d’alliances auront raison de cet éphémère Royaume de Roumanie. En août 1601, Michel le Brave est assassiné dans sa propre tente par le général commandant les troupes impériales, qu’il venait d’accueillir en leur disant : « Soyez les bienvenus, vous, les braves ».
En 1683, les Ottomans échouent à prendre Vienne. L’année suivante est constituée la Sainte Ligue (Autriche, Venise, Pologne) rejointe quelques années plus tard par la Russie. Ce n’est pas encore, de beaucouip, la fin de l’Empire ottoman, mais c’est le début du reflux. Chacun sait qu’un animal blessé est plus dangereux qu’un autre. Les Turcs, qui conservent des bases solides dans toute la région, feront payer cher, généralement de mort, ceux qui tentent de s’affranchir de leur tutelle.
C’est la période des hospodars, gouverneurs choisis par Istanbul pour administrer les provinces roumaines. Ils sont d’abord « nationaux », comme Constantin Brancoveanu, finalement arrêté et exécuté par les Turcs, qui vont désormais leur préférer des princes du Phanar, ces Grecs restés à leurs côtés après la prise de Constantinople. Le premier, Nicolas Mavrocordato, sera successivement nommé hospodar de Valachie en 1711, puis de Moldavie en 1716. Viendra ensuite le tour des Paléologue, Cantacuzène, Kallimachi, Ypsilanti. Historien français de la fin du XIXe siècle, spécialiste de l’Europe centrale, Alfred Nicolas Rambaud décrit bien la destinée d’un hospodar grec de Roumanie :
« Quand un nouvel hospodar, après avoir prodigué l’argent, est choisi par la Porte, il subit, à Constantinople, une double investiture : l’une politique, tout ottomane, l’autre religieuse, toute grecque. La Porte lui décerne, comme insignes de ses fonctions, la masse d’armes et les trois queues de cheval, qui font de lui un pacha de rang supérieur ; revêtu de l’uniforme de colonel des janissaires, il va aux casernes de ceux-ci goûter leur soupe et leur faire largesse. Puis, à la cathédrale orthodoxe, il est sacré par le patriarche grec au chant des polychronia, avec le vieux cérémonial byzantin. Doublement étranger pour cette double consécration au peuple qu’il doit régir, quand il s’achemine vers sa capitale, Bucarest ou Jassy, c’est avec l’appareil d’un conquérant, avec une garde turque sous un aga et, en arrière-garde, la horde de ses créanciers ottomans ou grecs. Sa cour tient à la fois de celle d’un despote grec et de celle d’un pacha ; d’un côté les logothètes, d’autre part les préposés aux babouches, au café, à la pipe, au narghilé. Non seulement les principautés ont été, au profit de l’élément grec, dénationalisées mais les traités qui – en 1477 pour la Valachie, en 1513 pour la Moldavie – avaient, même sous le joug ottoman, assuré l’autonomie des deux principautés, sont désormais lettre morte. Les princes ne sont plus viagers mais triennaux. Achetant plus cher que jamais leurs charges, n’ayant que trois ans au plus pour récupérer leurs avances, ils tondent de plus près leurs sujets et se hâtent de les tondre ».
Les hospodars « administrent » les pays roumains au nom de la Sublime Porte mais doivent tenir compte des Autrichiens et, plus encore, des Russes. Ceux-ci craignent qu’en s’installant au nord de la Mer Noire, les Ottomans les privent définitivement d’un accès maritime essentiel en direction de la Méditerranée. En 1768 éclate la guerre russo-turque. Elle va durer six ans. Les Russes occupent successivement la Bessarabie, la Moldavie, la Valachie. En 1774, le traité de paix accorde à l’impératrice Catherine II de Russie, l’amie de Voltaire, la protection des chrétiens de l’ensemble de Balkans, qui restent néanmoins sous tutelle turque.
Les idées du Siècle des Lumières parviennent jusqu’en Roumanie. En 1784, c’est en Transylvanie qu’éclate une révolte populaire dont les chefs seront finalement écrasés par l’Autriche. Mais la « renaissance » roumaine est en marche et, après la Transylvanie, elle gagnera les deux provinces sub-carpatiques, Valachie et Moldavie. La Révolution française reçoit un large écho. On traduit la Marseillaise en roumain et en hongrois.
1848 marque une nouvelle étape vers l’indépendance roumaine. En mars, un rassemblement est dispersé à Jassy (Iaşi), capitale de la Moldavie. Ses instigateurs sont arrêtés. Au même moment, des révoltes éclatent en Transylvanie. Le 30 avril, 40.000 paysans se réunissent à Blaj pour réclamer l’indépendance. Deux semaines plus tard, toujours à Blaj, les patriotes réunis au Champ de la Liberté revendiquent l’abolition du système seigneurial. Trois jours plus tôt, à Braşov, les manifestants ont demandé la distribution des terres aux paysans ainsi que la réunion de la Moldavie et de la Valachie.
La révolution éclate le mois suivant à Bucarest. Des historiens français aussi célèbres que Jules Michelet ou Edgar Quinet participent activement à un « lobby » pro-roumain. Une aide directe a-t-elle été promise par la France en cas d’affrontement des révolutionnaires roumains avec les forces conservatrices ou les puissances extérieures ? Il semble bien. Mais l’aide française ne viendra jamais. Dès l’été, la contre-révolution prend le dessus et, au début de l’automne, les troupes russes envahissent la Valachie. L’année suivante, Russes et Turcs s’entendent pour nommer conjointement les futurs princes de Valachie et de Moldavie.
Mais Russes et Turcs s’affrontent bientôt, officiellement pour une querelle religieuse entre catholiques et orthodoxes à Bethléem, en réalité pour la maîtrise du Bosphore et, donc, le libre accès de la flotte russe à la Méditerranée. C’est la guerre de Crimée, dans laquelle Français et Anglais s’allient au Turcs pour vaincre finalement les Russes en 1856 au siège de Sébastopol.
Au Congrès de Paris, chargé d’établir de nouvelles frontières entre les différents protagonistes, les Roumains n’obtiennent pas ce qu’ils désirent, l’indépendance, mais échappent au protectorat russe puisque Valachie et Moldavie obtiennent que leur autonomie soit garantie pas les puissances européennes. Mais les deux provinces, admises à s’administrer librement, ne sont pas autorisées à se réunir en une seule entité et restent officiellement sous tutelle turque.
En janvier 1859, les députés moldaves puis valaques élisent comme prince une seule et même personne, Alexandre Cuza ! Joli coup, qui place les « protecteurs » étrangers devant le fait accompli. Deux ans plus tard, Cuza proclame l’union des deux provinces. La Roumanie n’est pas encore indépendante mais elle existe. Cuza est renversé mais l’union n’est pas remise en cause. Les Roumains, conscients que les querelles entre familles princières ne peuvent entraîner que des querelles incessantes et stériles, décident de solliciter un prince étranger.
Le 22 mai 1866, le prince Charles de Hohenzollern-Sigmaringen, cousin du roi de Prusse, arrive à Bucarest où il devient prince régnant d’un pays qui n’existe pas encore. Ce n’est que quinze ans plus tard, après la proclamation officielle de l’indépendance, qu’il deviendra le premier roi de Roumanie sous le nom de Carol 1er.