c. La légende de l’Ouest

Cadet de famille ou employé de ranch, le gardien de vaches n’avait été jusque-là qu’un vaquero mexicain ou un bouvier texan. C’est la piste qui lui donna ses plus précieux rudiments et ses premiers quartiers de noblesse, pour ne pas dire sa première part de mythe. Participer à la piste, c’était entrer dans une confrérie finalement restreinte, où chaque pousseur de bêtes (cowpulcher, on ne disait pas encore cowboy) avait le sentiment d’accomplir une action difficile, exigeante, épuisante, qui constituait comme une initiation. La preuve en est que de nombreux cow­pulchers ont rédigé leur journal de piste et que si tous s’attardent sur les embûches, les incidents, les affrontements avec les Indiens ou la débandade du troupeau, aucun ne marque de véritable dépit, aucun n’envisage d’abandonner avant l’arrivée à Dodge City, Abilene ou Cheyenne. Il est vrai que le salaire n’était payé qu’après la vente du troupeau, dans la ville de destination, et que là se trouvait tout ce qui faisait si cruellement défaut sur la piste, le whisky, le saloon et les femmes.

Il y avait 1200 kilomètres, par la piste Chisholm, jusqu’à Abilene, et près du double, par la piste Goodnight-Loving, jusqu’à Cheyenne. On avançait lentement pour ne pas affaiblir le troupeau et lui permettre de profiter du rythme des herbages. En effet, lorsqu’on quittait le printemps texan, la neige recouvrait encore le Colorado et le Wyoming, où on n’arrivait que lorsque l’été montrait le bout du nez. On ne parcourait jamais plus de cinquante kilomètres par jour et certains passages difficiles, en particulier la traversée des rivières, pouvait arrêter le troupeau pendant plusieurs jours.

Pour pousser un troupeau de 2000 têtes environ, on comptait une quinzaine de cowpulchers. Pour mettre en branle le troupeau, les cavaliers commençaient par le faire tourner sur lui-même, jusqu’à ce que se détachent les animaux-leaders, ceux que les autres suivraient naturellement.

Alors seulement, le « pisteur », qui était aussi, la plupart du temps, le chef (cowboss), prenait la tête et indiquait la direction. Derrière lui, quatre ou six cavaliers, répartis de part et d’autre de ce long ruban, assuraient la navette avec l’arrière, dont les flancs avaient tendance à s’élargir et que poussaient en permanence deux ou quatre cavaliers, selon l’importance du troupeau. Mais le travail le plus difficile, le plus ingrat, le plus épuisant, était sans nul doute celui des cavaliers de traîne qui devaient pousser de l’encolure de leur cheval les animaux retardataires ou paresseux et qui, se trouvant dans la trajectoire, recevaient sur le visage et les vêtements d’impressionnantes quantités de poussière, de terre, de boue et de déjections en tous genres. C’est ce travail qui était souvent confié au novice pour sa première piste. S’il résistait à cela, un homme était ensuite capable de tout.

Stampede

La plus grande crainte des cowpulchers avait un nom: « Stampede ». Il pouvait suffire d’un rien pour que le troupeau, apparemment calme, se mette à fuir dans un mouvement irrépressible. La cause pouvait être la simple flamme d’une allumette, la toux d’un cavalier, le cri d’un chien. La nuit, alors que le troupeau dormait et que, seuls, un ou deux hommes le surveillaient en chantonnant, un éclair déchirait parfois le ciel, ou un feu de Saint-Elme courait soudain sur les cornes. Aussitôt, les bêtes étaient debout et fonçaient droit devant elles. Commençait alors une course poursuite effrénée. Il s’agissait d’abord, pour les hommes, de retrouver le troupeau dans la nuit, de le rattraper, se se porter à sa tête, sur ses flancs, bref, de l’encadrer au galop comme on le faisait au pas pour la progression normale sur la piste. Puis le cowboss se mettait à presser par le côté les animaux de tête, au point d’incurver peu à peu leur course, d’arrondir leur fuite en avant, jusqu’à ce que se forme un cercle, les animaux de tête se retrouvant sans l’avoir voulu sur les flancs des animaux de queue. Alors, le mouvement s’annulait de lui-même. Le stampede était maté.

Évidemment, cette reprise en mains ne se faisait pas toujours aussi aisément. Il arrivait que, seule, une partie du troupeau s’échappât, poursuivie par un seul cavalier. Il fallait alors à cet unique poursuivant plus de temps, plus de distance pour venir à bout du stampede et lorsqu’enfin, par une nuit sans lune, il réussissait à contenir les bêtes, il était incapable de savoir où il se trouvait et où était resté le gros du troupeau. Certains cowpulchers ont ainsi été retrouvés après plusieurs Jours d’errance, anéantis de faim, de soif et de fatigue. D’autres, qui n’avaient pas réussi à rattraper les bêtes, ont préféré disparaître dans la plaine plutôt que de rejoindre, l’échec au ventre, leurs compagnons de piste.

La traversée des cours d’eau (Rivière Rouge, Arkansas, Cimarron, Brazos, Platte) représentait un autre danger. On restait parfois plusieurs jours sur la berge, avec le troupeau, en attendant que la crue s’atténue. Et lorsque, finalement, on se décidait à traverser, les cavaliers opéraient, par petits groupes d’une cinquantaine de têtes chacun. Un premier cavalier, après avoir desserré les sangles de son cheval pour lui permettre de mieux se gonfler d’air pour nager, prenait la tête du troupeau, tandis que les autres se mettaient à l’eau en aval du bétail, pour empêcher les animaux de se laisser dériver. Mais que survînt alors un événement imprévu, que résonnât un coup de feu ou éclatât l’orage, le troupeau, pris de panique, pouvait aussitôt déferler en stampede, bousculer les montures, renverser les cavaliers et se noyer dans le courant en emportant. dans la mort un ou plusieurs des cowpulchers.

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