03 Le bruit du soleil

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Nuits calmes de Provence. Rares sont les oiseaux chanteurs, la terre est trop sèche, le chasseur trop obstiné. Seul grondement quasi-permanent, le bourdon sourd du ruban d’asphalte, « La Provençale », qui s’engouffre entre paysages de Cézanne et amoureuses de Fragonard, résonne jusque dans les garrigues et les pinèdes, au hasard d’un camion branlant, d’un bolide flamboyant ou d’une moto trépidante. Aux heures de première matinée, même ces itinérants au long cours semblent pourtant accuser le sommeil et, dans la rosée légère qui requinque feuillus et fleurettes, plus un son ne filtre. Instant de paix et d’éternité.

Puis un chien, lointain, hargneux ou systématique. Puis le coq de La Garde-Freinet. Puis, avec le premier rai, la première cigale. Puis d’autres chiens. Puis un moteur, une sirène, un moteur encore, et un long cri d’impatience devant le mas des Espériffets. Le grondement d’un train, le chuintement d’un lapin de garenne, d’autres cigales, un rossignol rescapé. La Provence s’éveille.

Premier coup de marteau sur une tôle d’occasion, premier juron. Sur la place, entre les six platanes, convergence d’autres moteurs, calmes ceux-là. Métal aigu, les squelettes des étals s’entrechoquent. Puis les cagettes pleines à rompre viennent heurter de leur bois celui des éventaires, clac, clac.

Tomates, poivrons, aubergines, courgettes, longs oignons roses. Quelques onomatopées, pas toutes provençales, l’arabe a conquis une place de choix dans le grand livre du marché. Un seau, encore, qui roule sur le trottoir, deux compères qui s’inter­pellent d’un bout à l’autre de l’allée. Puis un silence provisoire, les marchands sont prêts pour le premier client, qui se fait attendre…

Cohue gentillette, racolage bon enfant. Elleu son pas belleu, mes courgetteu ? Pas traînant des pantouflards et des retraités, entrechats des gamins, crissement du couffin qui geint sous sa charge de légumes et de poissons. Glissement furtif des espadrilles neuves, ramolli des fatiguées. Messe-basse de trois commères entre le billot du boucher et les paniers du marchand d’épices. Piaillement soudain de poules effarées quand une main plonge dans leur cage exigüe. Tintement de bouteilles vides, pleurs d’enfant vite oubliés.

Et les voix d’hommes qui, insensible­ment, remplacent celles des femmes, il va être l’heure du pastis et des palabres, le marché se vide, le café de la place enfle. Midi. Dans les maisons aux couloirs d’ombre, cris d’impatience ou de remontrance. Puis cliquetis saccadé du repas familial. Encore un juron, un rire, une querelle sonore. Ce seront alors la paix méridienne, ses songes opaques, ses heures retenues. Au milieu du jour, seul les fous s’activent. Les autres se réservent. Au zénith succéderont les rayons frisants, à la sieste la renaissance. En Provence, on vit deux vies chaque jour, la lumière succède deux fois à l’obscurité.

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