De Houston à Willys

 

A l’aéroport déjà, on se croirait dans un western. Des géants style John Wayne arborent le chapeau clair à large bord et se déhanchent lentement pour aller accueillir leurs hôtes, blancs-becs cravatés venus de la ville, c’est-à-dire de New-York. Le Texan, aux Etats-Unis, est un être à part. Sa dégaine est unique. Et même aujourd’hui, pour monter dans sa gigantesque voiture ou pour déjeuner d’un hamburger sur le bord de l’autoroute, il porte les bottes de cuir à talons agressifs et à bouts pointus, le jean ou le pantalon à gros carreaux, la large ceinture de cuir blanc ouvragé. S’il fume, c’est le cigare. Et s’il ne va guère au cinéma, c’est qu’il se fait son propre cinéma tous les jours.

Dimanche, c’était la fête à Houston, Texas. Il faisait gris et Carnaval avait le sourire un peu forcé. Groupes de majorettes, fanfares rutilantes, chars fleuris de matière plastique, clowns montés sur échasses traversaient la ville d’où, une fois n’est pas coutume, la circulation automobile avait été bannie. Blancs et noirs se côtoyaient sans mépris apparent. Dans le public comme au sein des orchestres. Sur les parkings, il eût été difficile, au luxe des voitures, de dire si elles appartenaient aux maîtres de toujours ou aux descendants d’esclaves, Houston, désormais, c’est la richesse du pétrole, la richesse des affaires, la richesse des magasins.

Willys. Tout petit bourg à une centaine de kilomètres au nord de Houston. A première vue,  texans comme les autres, ces clients dégingandés qui jouent au billard dans ce lieu époustouflant, tout droit tiré, lui aussi, d’une caricature de western. Une vieille fille à chignon harangue la clientèle, installée derrière un bar sur lequel les boîtes de bière filent comme patineurs sur glace. Contre les murs noircis, des éperons, un colt, une roue brisée, de fers à marquer le bétail. Et un juke-box. Très peu de lumière, sinon une zone très éclairée sur les deux tables de billard et le halo d’une lampe de chevet au bout du bar.

Une pancarte: « la direction n’est pas responsable des accidents ». Les accidents, ça doit vouloir dire les bagarres. Deux hommes replets, le regard sombre, se sont installés dans le fond, près de l’étrange caisse de bois qui, ouverte sur un côté, fait office de pipi-room. Une fille encore jeune, visage usé, jeans collants, est sortie de je ne sais où, derrière le bar, et s’est assise sur les genoux d’un des machos à chapeau. Son comparse fait claquer un polaroïd. Le temps de l’éclair,  les joueurs de billard lèvent le regard puis se penchent à nouveau sur le tapis vert. Les deux hommes paient largement puis franchissent la porte de contreplaqué pour s’engouffrer, entre deux rafales de pluie, dans leur Cadillac. La fille usée est partie avec eux.

Tous, la fille, les deux machos, les autres consommateurs, les joueurs, tous ont l’aspect de Texans américains pur sucre, bottes, ceinture, chapeau, dégaine. Tous pourtant, à l’exception de la patronne, ne parlent quasiment qu’espagnol. Ils sont mexicains. Des Chicanos, comme on dit ici. Un peu comme les saisonniers en Suisse. A la différence qu’ici, la plupart sont entrés aux Etats-Unis sans papiers.

Peu à peu, ils ont repris les tâches rudes des Texans d’origine qui, eux. se sont rapprochés des villes. Houston. Dallas. La manne du pétrole, des affaires. Rapprochés de la fortune. Ils ont gardé le chapeau, la ceinture et les bottes mais ils vivent désormais là-bas, à la ville, et leur saloon se trouve au soixante-sixième étage d’un building opaque et climatisé. Lorsque leur route passe par Willys, ils ne s’arrêtent plus dans la cabane sombre sur laquelle flottent deux banderoles, Beer et Open. Sur le mur de la gare abandonnée, il est écrit: Willys, 340 pieds d’altitude, 1742 habitants. Un plaisantin a remplacé le mot habitants par celui de Chicanos.

 

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