d. Moustiers Ste-Marie

 

Rares sont en Haute-Provence les villages qui peuvent prétendre à la dimension de cités. On citera pourtant Digne et Sisteron, gros bourgs qui doivent l’essentiel de leur prospérité à des activités de marchés, liées à la vente de fruits et à la com­mercialisation des moutons élevés dans les mon­tagnes environnantes. Draguignan, qui fut préfec­ture du Var jusqu’à la fin des années 1970, a perdu cette charge au profit de Toulon et risque fort, dans les années à venir, d’en ressentir le contre­coup économique.

Moustiers-Ste-Marie, qui n’a pas dépassé la taille d’un honnête village, mérite une attention particu­lière, tant à cause de ses activités propres que du fait de la proximité des Gorges du Verdon.

Comme son nom l’indique, Moustiers fut, d’abord, le lieu d’élection de monastères appartenant à différents ordres, qui y firent aussi construire des chapelles. Au temps des grandes épidémies, les habitants des basses vallées abandonnaient leurs terres et venaient se réfugier au sanctuaire de Notre-Dame-de-Beauvoir, à qui l’on attribuait maint miracle. Plus prosaïquement, il est certain que le climat sain et vif de cette contrée de moyenne altitude fut pour beaucoup dans certai­nes guérisons.

Le site de Moustiers est étonnant. La rivière Maire ayant largement entaillé la falaise qui domine la bourgade, deux promontoires semblent veiller sur le sort des habitants. Est-ce, comme le dit la légende, pour remercier le sort d’avoir vu revenir de captivité un certain chevalier de Blacas, longtemps retenu aux Croisades, toujours est-il qu’une chaîne de fer forgé, longue de 227 m, est tendue entre les deux pitons. Une étoile dorée y est suspendue et confère au lieu une aura presque magique, digne d’une crêche de Noël, grandeur nature.

Mais la célébrité de Moustiers vient d’ailleurs. De Faenza (Italie) si on en croit la tradition. Telle était en effet l’origine d’un moine arrivé à Moustiers on ne sait par quel chemin, et qui apprit à un potier du lieu l’art d’obtenir l’étonnant blanc laiteux de l’émail. Ce blanc, auquel serait ajouté le dessin en «bleu de Moustiers», allait faire florès dans toute la France et déborderait même les frontières de l’Hexagone.

Ce succès n’est pas étranger aux difficultés pécu­niaires du Roi Soleil. Louis XIV, pour renflouer les caisses du royaume, ordonna en effet, en 1672, qu’on fît fondre la vaisselle d’or et d’argent. La vaisselle de faïence, jusque-là traitée en parente pauvre, connut dès lors une grande vogue, au point que le petit artisanat de Moustiers devint, en quelques années, une véritable industrie. De plus, la qualité des poteries et, plus encore, de leur décoration, atteignit alors à des critères réellement artistiques. Cet essor, ces exigences, sont liés à la famille des Clérissy. Né en 1651, Pierre figure au registre notarial, avec la profession de faïencier, à partir de 1679. Il fut longtemps le seul à fabriquer de la faïence décorée. Pourtant, à sa mort, il avait déjà sept ateliers concurrents. Son fils, puis son petit-fils, surent cependant conserver ce petit quel­que chose qui différenciait leurs dessins de tous les autres. Les familles Olérys et Laugier réussirent néanmoins, quelques années plus tard, de très bel­les pièces, dont certaines sont aujourd’hui visibles dans le musée de la poterie de Moustiers.

Le XVIIIème siècle vit une évolution de l’art, des formes et de la décoration. Les techniques évo­luant, des dessins polychromes trouvèrent place sur l’émail blanc. Les sujets, eux aussi, évoluèrent et les faïences dites «aux grotesques» étaient empreintes d’une verve facétieuse qui fleurait bon la Provence.

Pourtant, en 1873, le dernier four s’éteignait. La mode de Moustiers était finie. A tout jamais? Non, grâce à Marcel Provence, écrivain attaché à la tradition, qui rêvait de voir renaître l’art de la faïence décorée. En 1927, il fit construire un four à bois et invita une excellente potière originaire de Digne, Simone Garnier. Tous deux commencèrent par retrouver et amasser les pièces nécessaires à la création d’un musée de la faïence. Le four à bois n’était alors qu’un objet folklorique, utilisé seule­ment pendant quelques mois d’été.

Pourtant, en 1947, Simone Garnier s’installa défi­nitivement et ouvrit son propre atelier. Depuis, plus d’une douzaine de bons artisans l’ont imitée. La cité revit et, si les sujets ne sont pas tous d’ins­piration traditionnelle et de goût sûr, le meilleur de la production locale reste parfaitement digne des Clérissy… et de la Cour de Louis XIV.

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