La table bretonne

Le plateau de fruits de mer / La cotriade du pêcheur / Galettes et crêpes bretonnes / Le far d’Angèle / Chouchen, cidre et lambig  

La gastronomie bretonne est à l’image du pays, chaleureuse, inventive, confortable et multiple. La table de la mer et celle de la terre cohabitent et se rencontrent rarement. Pourtant, à l’échancrure des abers, là où l’océan s’insinue dans le conti­nent, il arrive parfois que le lard et la langouste s’épousent, le temps d’un plat ou d’un repas. Mais, le reste du temps, ce sont deux cuisines bretonnes qui se répondent et se complètent. C’est ainsi que nous avons composé ici un menu, mi-chair, mi-poisson, que personne ne pourrait ingurgiter d’un seul trait, mais où chacun puisera à l’envi, selon son inspiration, ses moyens et les disponibilités de l’instant. Il n’est pas inutile, pourtant, de rap­peler que la première qualité de la cuisine bre­tonne tient à celle de ses produits, et qu’il serait vain de prétendre recréer, avec des denrées de conserve, de surgélation ou d’industrie, ce que seuls le terroir ou la marée sont à même de pro­poser.

Le plateau de fruits de mer

Une douzaine d’huîtres et quelques langoustines posées sur un lit de goémon constituent déjà un plateau de fruits de mer. Mais les richesses de l’océan proposent un tel choix que chacun, au gré de l’approvisionnement du jour, aura à cœur de le composer selon son goût. Une seule certitude, le plateau doit comporter des produits crus et cuits. Tous doivent être à température ambiante et il vaut mieux renoncer aux denrées surgelées.

Parmi les fruits de mer à manger crus, les huîtres sont indispensables. On choisira des huîtres plates de pleine mer (ou belons) spécifiquement breton­nes, ou des creuses, dites portugaises, dont la pro­venance est plus diversifiée. On pourra y ajouter des praires, des amandes de mer, des palourdes, des moules de bouchots (petites), éventuellement des oursins. Ces fruits de mer seront consommés avec un assaisonnement de citron ou de vinaigre à l’échalote, selon les goûts, et escortés par de fines tranches de pain de seigle recouvertes de beurre salé.

A l’exception des bulots et des bigorneaux, escar­gots de mer de plus ou moins grande taille, les fruits de mer à manger cuits sont essentiellement des crustacés. Sur les tables les plus riches, on trouvera de la langouste ou du homard, mais de simples crevettes, roses ou grises, des langousti­nes, un crabe ou une araignée de mer feront par­faitement l’affaire. Pour la cuisson, on préparera un court-bouillon dont voici les éléments princi­paux: eau (salée au sel de mer), vin blanc sec (de préférence Muscadet ou Gros-Plant nantais), oignon, girofle, bouquet garni (thym, laurier, fenouil, persil), poivre, goémon (qu’on obtiendra auprès du vendeur d’huîtres).

Ce court-bouillon ayant frissonné pendant une bonne demi-heure, on le fractionnera selon le nombre de crustacées et mollusques devant cuire séparément: bulots et bigorneaux (20 minutes), crabes et araignées de mer (20 minutes), langous­tines (15 minutes), crevettes (10 minutes).

Pour assaisonner ces produits cuits, à manger froids en même temps que les coquillages présen­tés avec eux, on proposera du citron et de la mayonnaise, ainsi que du pain de froment.

La cotriade du pêcheur

La cotriade est à la mer ce que la fricassée est à la terre. On y utilise tout ce que la préparation de la pêche (comme la fabrication du cochon) a laissé de comestible, étant entendu que les espèces les plus nobles ou les meilleurs morceaux sont réser­vés à la vente ou à la conserve.

Voici la recette de la cotriade de Brigneau, petit port de pêche de la côte sud, telle que la livre Louis Le Cunff dans Cuisine et gastronomie de Bretagne.

Dans un chaudron de larges dimensions, faire revenir de la panne de lard salée. Y jeter des oignons jusqu’à les faire dorer. Y jeter ensuite des pommes de terre pelées et lavées, ainsi que du congre coupé en morceaux. Recouvrir totalement d’eau. Saler et poivrer abondamment. Laisser bouillir un quart d’heure, puis ajouter les autres poissons (aiguillettes, maquereaux, vieilles, labres), puis les poissons blancs plus tendres (tacauds, merlans, sardines). Interrompre la cuis­son après une durée totale de trois quarts d’heure.

On salera et poivrera ensuite une partie du bouil­lon, dans lequel on fera mijoter le poisson, et ce à deux reprises. Le poisson sera alors égoutté et servi avec une vinaigrette. Le reste de soupe, qui constituera la seconde partie du repas, sera servi chaud, avec de croûtons frits.

Galettes et crêpes bretonnes

Suivant qu’ils habitent la Bretagne bretonnante ou la Haute-Bretagne, les Bretons appellent crêpe ou galette ce qui n’est, en fait, qu’un seul et même mets.

Il s’agit, avec de la farine de blé noir (sarrasin), de l’eau, du sel et un oeuf, de confectionner un liquide pâteux et consistant, qu’on laisse ensuite reposer pendant quatre heures dans le pot de terre cuite ayant servi à la préparation. Puis, à l’heure du repas, il suffit (mais ce n’est pas une mince affaire…), d’étaler en couche fine la pâte sur la galettière brûlante (lourde plaque circulaire métal­lique, enduite de saindoux ou frottée au gras de lard pour éviter que la galette attache ou fasse des trous).

En Haute-Bretagne, la galette se mange avec des saucisses chaudes. En Basse-Bretagne, elle peut se manger seule, à peine égayée d’un peu de beurre, et accompagnée d’un bol de lait caillé. Mais elle peut aussi receler de 1’œuf, du poisson, des crusta­cés.

Il ne faut pas la confondre, même si elle porte alors le nom de crêpe, avec la crêpe au froment (blé blanc), qui est un dessert. On la prépare selon la même méthode, mais les ingrédients sont diffé­rents: le sucre remplace le sel, la farine de sar­rasin fait largement place à celle de blé, l’eau se renforce de lait. Toutes les maîtresses de maison savent confectionner la crêpe et la galette. De nombreux restaurants, attentifs au folklore et aux goûts de leurs clients, proposent l’une et l’autre. Et la crêpe sucrée est même devenue un produit commercial qu’on retrouve, à l’abri de boîtes de fer blanc, dans les confiseries de Bretagne et d’ail­leurs.

Le far d’Angèle

Nous n’insisterons pas ici sur les recettes à base d’agneau de prés-salés, tels qu’on en mange encore, parfois, à Ouessant. L’essentiel de la réus­site tenant à la qualité du produit de base, et cette viande bien particulière étant trop rare pour être exportée vers des contrées éloignées, un voyage sur place reste la seule occasion de les découvrir. Nous n’insisterons pas non plus sur certains plats, pour lesquels la présence de lard ou d’autre viande de porc, dans une pâte que nos goûts appa­renteraient plutôt au gâteau, aurait de quoi décon­certer nos palais, du moins s’ils sont consommés hors de Bretagne.

Mais il est un dessert, au moins, que chacun pourra confectionner sans difficultés, et qui pourra servir d’initiation aux simples délices de la Bretagne. Cette merveille du quotidien se nomme le far.

Le fart fore (ou fars breton) nécessite deux œufs, huit cuillerées de farine de froment, six cuillerées de sucre en poudre, un bol de lait, 100 grammes de raisins ou de pruneaux secs, un verre de rhum ou d’eau de vie, du beurre. C’est dire qu’il vaut mieux ne pas arriver ventre plein au dessert. Tous ces ingrédients seront lentement mêlés en une pâte liquide et lisse, qu’on répartira sur un moule bien beurré, avant de l’enfourner, à feu doux, pen­dant une trentaine de minutes. C’est un régal tel que, froid, il peut être consommé seul, au petit matin ou au beau milieu de l’après-midi. Angèle Kerisit, qui me le fit découvrir sur la lande d’Esquibien, a droit à ma reconnaissance éternelle…

Chouchen, cidre et lambig

A l’exception de la région nantaise, la Bretagne ne cultive pas la vigne et n’élève pas le vin, même si elle a su l’apprécier dans ses voyages au long cours ou dans ses exils intérieurs, puis l’apprivoi­ser au point de l’inviter à la plupart de ses tables.

Le chouchen est la boisson des dieux, des bardes, des amoureux et des poètes. Cet hydromel, né de miels de bruyère ou de sarrasin, possède une saveur incomparable. Il avait tendance, depuis le début du siècle, à disparaître des lieux publics et des réunions familiales. Mais il bénéficie aujour­d’hui, heureusement, d’un regain d’affection, si bien que la production régionale de miel n’y suffit plus et qu’il a fallu dénicher en Galice et au Ca­nada des abeilles habituées à se nourrir des mêmes pollens. Avis aux amateurs: celui qui abuse du chouchen risque fort de tomber à la renverse, d’une seule pièce, sans même s’en rendre compte…

Si la Bretagne n’a pas de vignes, elle a des vergers et les anciennes variétés de pommes donnent un cidre solide, équilibré, avenant et guilleret. Ce devrait être la boisson de l’été, si la bière indus­trielle et les sodas de fantaisie ne lui faisaient pas déloyale concurrence. Mais qu’importe. Le cidre qu’on ne boit pas est distillé, le plus souvent dans des alambics à l’ancienne. Il en coule une eau-de-vie, proche de celle du Calvados, mais qu’on garde blanche et qui se nomme lambig. Ainsi boit-on au plus fort de l’hiver ce qu’on a négligé au plus fou de l’été.

Un mot encore pour dire qu’un pays comme la Bretagne, celtique et fière de l’être, se devait de produire, comme les cousins insulaires, du whisky. C’est chose faite. Une entreprise d’Ille-et-Vilaine fabrique, à base d’orge et de blé bretons, un whisky très honorable, qui a été baptisé «Biniou» pour bien crier ses origines. Après des débuts modestes, l’usine a fermé mais… la télévi­sion a retransmis de Paris une réception présiden­tielle où une bouteille de biniou figurait en bonne place. Depuis, les clients recherchent le biniou avec autant de ferveur que les Chevaliers de la Table Ronde recherchaient le Graal. Aussi est-il question d’en relancer la fabrication.

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