Deux montagnes dans la mer

 

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Voilà sans doute plus de quatre cent millions d’an­nées que les terres du sud de la Sardaigne (Igle­siente et Sulcis) ont émergé. Et quelque trente mil­lions d’années qu’une formidable poussée, bous­culant de trente degrés l’axe de la Corse et de cinquante-cinq celui de la Sardaigne, fit dériver vers le Sud le micro-continent constitué par les deux îles, l’éloignant ainsi de la côte méridionale de la France (massif provençal des Maures et de l’Esterel) pour l’amarrer d’un peu plus près aux rivages italiens. Terres anciennes que celles de la Corse et de la Sardaigne, mais remodelées, brisées, rehaussées ou usées, c’est selon, au fil des millé­naires. La carte géologique est d’une extrême complexité et, en Sardaigne, le phénomène volca­nique a créé des paysages et des reliefs quasi lunaires. Comme ce devait être, beaucoup plus tard, le cas pour les sociétés humaines des deux îles, il semble que Corse et Sardaigne ont, en quel­que sorte, subi les contrecoups d’événements tec­toniques et géologiques qui se produisaient ailleurs, C’est-à-dire en Europe continentale. D’où cette extraordinaire imbrication de granites, de calcaires, de roches métamorphiques, de laves, de tufs, de marnes, de basalte et d’alluvions qui font qu’au dé­tour de chaque colline, on découvre avec surprise un paysage inattendu et incroyable.

Là encore, relief et comportements humains semblent s’accorder. Alors que les montagnes corses sont vives, élancées, agressives, sauvages et, parfois, un rien fragiles, les massifs sardes mani­festent une sérénité de vieux sages et, même lors­qu’ils frôlent les deux mille mètres, dans le Gen­nargentu, ils restent hospitaliers et rassurants, malgré la pauvreté et les rigueurs du climat.

Car, bien que baignant en pleine Méditerranée, Corse et Sardaigne ne sont pas vraiment des îles.

Ce sont d’abord deux montagnes dans la mer, ce qui signifie, exception faite du littoral où ne vivent que citadins et touristes, que les saisons sont mar­quées et que les hivers sont aussi rigoureux que les étés sont brûlants.

Soleil, mer et montagne sont les ingrédients prin­cipaux. En Corse, il ne pleut vraiment qu’en no­vembre-décembre et février-mars. En janvier, les vents ont tôt fait de balayer les résidus nuageux et un ciel d’une totale clarté éclaire un hiver aux nuits glaciales (sauf aux altitudes inférieures à six cents mètres). Le soleil revient en avril pour inon­der l’île jusqu’à la mi-automne. Seuls, quelques gros orages d’été donnent aux vallées montagneuses des verdeurs alpines.

Si le gris de la roche est, en Corse, égayé par le vert des forêts, ce gris tourne, en Sardaigne, au presque noir, tant le soleil brûle la terre. Et les forêts, quasi inexistantes, font place à de hautes herbes rares, jaunies de sécheresse, et dont la tona­lité est complétée par le lichen verdâtre installé au creux des vieilles pierres arrondies. Oliviers et chênes-lièges, eux aussi, hésitent entre grisaille et couleur et c’est toute l’île, ainsi, qui vit en demi-teinte, sauf en hiver où les pluies, en alternance avec des ciels radieux, colorent d’une fraîcheur pimpante les reliefs et les plantes. Fraîcheur qui éclora, dès le mois de mars, avec un printemps ra­dieux et fleuri.

Au fil des siècles, la faune et la flore des deux îles ont été affectées par les caprices de l’histoire et la présence de l’homme. En Corse comme en Sar­daigne, les nouveaux conquérants voulaient que les îles produisent du blé et que les révoltes cessent. Pour cela, il fallait, de gré ou de force, faire abattre les arbres. Ceux de la plaine pour installer les champs, ceux des montagnes pour anéantir le re­fuge où se cachaient bandits, «barbares» ou ré­voltés. De leur côté, les insulaires assiégés igno­raient la propriété privée et laissaient leurs maigres troupeaux paître en tous lieux, amoindrissant ainsi la flore, tandis que, chasseurs habiles et détenteurs de fusils (pour tuer le gibier ou l’envahisseur…), ils réduisaient la faune à sa plus simple expression.

La végétation Corse, à l’image du climat et de l’alti­tude, présente une certaine constante méditer­ranéenne qui s’estompe lorsque s’élèvent les montagnes. A proximité de la mer, on trouve les tamaris, qui se satisfont d’une eau partiellement salée. Viennent ensuite les arbres et arbustes du maquis: pistachiers-lentisques, myrtes, oliviers sauvages et chênes-lièges. Suivant la nature du sol, on peut découvrir aussi de très vieux chênes verts (épargnés par les incendies) dominant majes­tueusement de maigres maquis épineux où pous­sent les cistaies et où apparaissent parfois, plus feuillus, arbousiers et bruyères.

A flanc de coteau, dès six ou sept cents mètres, apparaissent les châtaigniers, les chênes pubescents, les pins mésogéens et, plus rares, quelques aulnes. Les clairières sont recouvertes de très belles fou­gères.

La montagne, de mille à deux mille mètres, pré­sente des forêts de pins-laricio et de hêtres, parfois de bouleaux et de sapins blancs.

Enfin, au-dessus de deux mille mètres, les forêts disparaissent et font place aux aulnes «basses», couchés sur le sol et, de cas en cas, à des tour­bières. Puis l’aulne disparaît à son tour pour ne lais­ser subsister que de petites variétés d’herbes et de fleurs plus ou moins rares.

En Sardaigne, l’absence d’un climat véritablement alpin, du fait des altitudes moins élevées, et les températures plus «continentales» (hivers très froids, étés très chauds) font que la végétation est différente de celle de la Corse. On notera quel­ques variétés de genêts, les fougères «langue de serpent», la grande gentiane, les oléandres (lauriers roses), les arbouses, les oliviers sauvages, la férule, le chêne vert, la myrte, le genièvre, le chêne-liège, des dizaines de plantes aromatiques ou médici­nales et de nombreuses variétés de chardons.

La faune est assez semblable en Corse et en Sar­daigne. A proximité du littoral, on remarque le puffin cendré, le cormoran huppé et le goéland argenté, le faucon d’Eleonore, la pie-grièche. Plus à l’intérieur des terres apparaissent différentes fau­vettes, le traquet pâtre et les fringilles. Dans les ré­gions marécageuses nichent des canards colverts, le grèbe huppé, le grèbe castagneux, le héron pour­pré. Certains de ces oiseaux, migrateurs, ne font dans les îles qu’une escale entre Europe et Afrique, d’autres vivent ici à année faite. Il faut noter aussi le busard, le milan royal, la corneille mantelée, le grand corbeau et même l’aigle royal.

Parmi les oiseaux très typiques de la Corse et de la Sardaigne, il convient encore de citer l’autour des palombes, la chouette effraie, le troglodyte mignon, le gobe-mouches gris, le venturon montagnard et le bruant zizi, ainsi que, très rares, le gypaète barbu, le balbuzard pêcheur, le goéland d’Audouin, la sittelle corse, le pygargue à queue blanche et, à l’ouest de la Sardaigne, le coq sultan.

Au fil des siècles, soit qu’ils les aient tués pour s’en nourrir, soit qu’en cultivant la terre ils aient modi­fié le biotope, les hommes ont fait disparaître nom­bre de mammifères. Ainsi une variété corse de la chèvre (copra corsica major). Ainsi un petit ron­geur de la taille d’un rat, à l’aspect d’un lièvre, le lagomys corsicanus. Deux variétés de cerfs ont également disparu, de même qu’un petit ours brun qui a vécu en Corse jusqu’au XVIè siècle.

Actuellement, les mammifères sont donc essen­tiellement d’origine européenne, sanglier, renard, chat sauvage, lièvres, rats, loirs. A noter aussi, originaires de deux îles, la boccamelle cyrno-sarde, le mouflon corse et le cerf sarde, ainsi, bien sûr, que les petits chevaux, ânes, mulets servant aux travaux des hommes, et les vaches, chèvres et moutons utilisés pour leur lait ou leur viande. Les porcs, souvent croisés avec des sangliers, sont par­fois élevés en liberté et il n’est pas rare de les ren­contrer sur le bord des routes, surtout en Corse.

Si on ajoute à cette liste des milliers d’insectes, de batraciens et de serpents, dont aucun n’est dange­reux pour l’homme, on comprendra que ces deux pas de Dieu, ces deux montagnes dans la mer évoquent (ou auraient pu évoquer, n’étaient les vicissitudes de l’histoire) le paradis sur terre.

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