Des esprits et des Loas

 

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23.02.1988

A l’hôtel, une simple discussion avec Ruth, la représentante d’Hotelplan, me met en alerte. Il y a, l’après-midi même et pour la seule fois de la semaine, une excursion « Vaudou ». Que je m’en méfie est peu dire. J’ai en mémoire certaines cérémonies « authen­tiques » auxquelles les touristes se pressaient en Haïti. Et même le Péris­tyle de Max Beauvoir n’était pas exempt de compromissions de ce genre. Mais je sais que le temps ici m’est compté et que la présence d’Amalric risque de limiter mes aventures. Ruth précise que c’est Moïse, son compagnon togolais dont j’apprécie le contact fin et direct, qui assure l’excursion. Moïse arrive d’ailleurs sur ces entrefaites et m’affirme que le lieu n’est nullement factice. Les cérémonies ont lieu de toute manière, que des touristes soient présents ou non.

Que faire d’Amalric ? Le laisser avec Mathias, qui doit aller avec chauffeur et voiture, à seize heures, acheter quelques souris vivantes dont sont friands ses pythons ? Ou l’emmener avec moi, au risque qu’il s’ennuie, qu’il ait trop chaud ou, même, qu’il prenne peur. Finalement, nous tombons d’accord. Mathias et Amalric viendront avec moi dans un premier temps mais le chauffeur reviendra les prendre pour les emmener au magasin de souris. Affaire conclue.

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Quatorze heures précises. Vacarme d’un grand autocar bleu dont le pot d’échappement est manifestement percé et dont le régime est plus qu’hésitant, en particulier au ralenti. A bord se trouvent déjà une demi-douzaine de touristes en shorts, bermudas et T-­shirts, boursouflés, appareils photo en bandoulière. L’air de gens qui se rendent à la cérémonie vaudou pour pouvoir dire, à leur retour en Europe, qu’ils y étaient. Et que tout ça, mes bons amis, est très surfait !

Sur les bas-côté, un groupe de maisonnettes dont certaines sont faites de plots plutôt que de banco, le pisé local. Une ceinture d’arbustes chétifs et desséchés. Le bus s’arrête à deux pas de la première maisonnette et dé­verse son chargement, votre serviteur, Mathias et Amalric compris. Des enfants rieurs et épanouis nous attendent sans un geste de mendicité. Quelques femmes aussi, plutôt replètes et souriantes. Sur le banc de pierre dont les deux éléments entourent la seule porte de la première maisonnette, un homme sans âge fume la pipe.

Le linteau de la porte est orné de divers éléments d’origine animale, crânes d’oiseaux, mâchoires de chèvres, tibias d’origine indéterminée. Un à un, chacun des touristes entrera dans ce lieu que le hougan du vaudou haïtien nommerait la caye-mystère et qui se nomme ici sanctuaire. A l’intérieur, dans une presque obscurité atténuée par la grisaille claire d’un crépi  très occidental, une gerbe centrale de grigris, très gris eux aussi, éléments plus végétaux qu’animaux, enduits de poussière et marqués, çà et là, de duvets et de petites plumes. Pas de taches de sang, mais des touches de peinture colorée, bleu, blanc, rouge, sur, le ciment des murs.

Une vasque à l’eau douteuse et, adossées à la gerbe des objets centraux, quelques bouteilles avant un jour contenu du gin, du whisky ou d’autres alcools internationaux, mais qui ont certainement dû contenir depuis lors des potions autrement magiques, si magiques que, vides aujourd’hui, ces bouteilles semblent encore emplies d’une force occulte et inquiétante. Je sors avec Amalric, qui n’a pas lâché ma main mais ne manifeste aucune peur, afin de permettre à une maman touriste, particulièrement enveloppée, de photographier au flash, posant devant les objets du culte, sa fifille déjà aussi difforme qu’elle.

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A la lisière d’une esplanade grande comme un terrain de boules, des bancs et chaises de bois forment rectangle. Dans l’angle opposé à l’arrivée, quatre musiciens ont déjà pris place. Trois d’entre eux tiennent chacun, devant leurs jambes, un tambour. La forme, évasée sur les deux premiers tiers et resserrée sur le troisième, me rappelle celle des tambours haïtiens, avec tout de même quelques nuances. Ils sont peints alors que ceux d’Haïti sont de bois brut. Mais il paraît qu’autrefois, les tambours d’ici étaient eux aussi de bois brut. L’angle entre évasement et resserrement est plus marqué, les tambours haïtiens étant à la fois plus puissants et plus harmonieux. De plus, la différenciation des trois tambours togolais entre eux me semble moins apparente dans la forme comme elle me semblera, ensuite, moins évidente dans la consonance.

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A noter que, selon certaines sources, la peau de tels tambours serait parfois d’origine humaine. Mais un de mes informateurs, à qui je rapporte ce fait, relève que la peau humaine serait sans doute trop fragile.

– Peut-être pour des tambours de décoration, suggère-t-il.

Le fait qu’on puisse utiliser ainsi de la peau humaine ne le choque donc ni ne le surprend. Simplement, pour des  raisons strictement techniques, il ne pense pas que l’utilisation de peau humaine pour la fabrication de tambours ait jamais été très répandue.

Le quatrième musicien  joue d’un instrument plus rudimentaire, double clocheton de métal dont on frappe alternativement les deux éléments qui, au toucher d’un court bâton, donnent deux sons,  l’un grêle, l’autre plus suave. Cet instrument se nomme gongon ou gakakoé.

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Près des musiciens, quelques gosses sont venus s’agglutiner puis des femmes, dont certaines avec leur bébé dans les bras, ont pris place sur les bancs qui tournent le dos au village. Un couple de touristes file déjà vers les maisonnettes de l’intérieur. Évariste les rattrape et les retient. On n’entre pas ainsi chez les gens. Il faut attendre que le chef du village nous ait souhaité la bienvenue ou plutôt, comme on dit au Togo, la bonne arrivée. Pour cela, il faut lui laisser le temps de se mettre à son avantage. C’est une des premières règles de voyageur que m’ait apprise Maximilien Bruggmann, peu après que nous avons fait connaissance et alors qu’il revenait à peine de plusieurs longs séjours en Afrique, Mali, Niger, Tchad.

Le voici, le chef. Long boubou – j’ignore si le terme convient à un vêtement de couleur crème unie, capet rond de trois centimètres d’épaisseur, de couleur identique. Il a aux pieds des mules claires, qui font un peu penser à celles des pays maghrébins. Son visage est de sagesse bienveillante, son regard de tendre ironie. Il arbore une petite barbiche. J’apprendrai plus tard qu’il a une cinquantaine d’enfants et, actuellement, trois épouses.

Sur le chemin qui mène au village, le voici entouré de tout son conseil, une dizaine de personnes parmi lesquelles une bonne partie de femmes. On apporte au chef une calebasse qui semble ne contenir que de l’eau. Mais, lestement remué du bout des doigts, le liquide prend une teinte blanchâtre due à de la farine de maïs qui se trouvait au fond du récipient. L’homme profère quelques incantations, fait   tourner le mélange dans son récipient et l’envoie d’un jet abreuver la poussière rougeâtre du sol. La forme de la flaque dit que nous sommes les bienvenus. La visite peut commencer.

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Je n’ai pas trop l’instinct grégaire. Je retourne donc à proximité des musiciens. Aux rythmes des tambours sont maintenant venues se joindre les voix des femmes. Il me semble que les tonalités, les syncopes, les respirations et jusqu’aux silences à peine parsemés du cliquètement de cauris sur une calebasse, ressemblent à ceux que j’avais enregistrés en Haïti. Mais je ne pourrai vraiment comparer qu’à l’écoute juxtaposée   des documents d’alors et de ceux que je grave maintenant sur la fine bande magnétique de mon mini-nagra.

L’escouade des touristes est restée pendant plusieurs minutes dans l’enceinte de bambous dont la végétation entoure le premier lieu du culte, représentation de la forêt sacrée. L’une de ces forêts se trouve à Bé, à l’intérieur même des limites de la ville de Lomé. L’autre se trouve à Togoville. On se dirait au pays d’Astérix et des Celtes, dans la forêt de Brocéliande. Lorsque la horde a tourné les talons,  Moïse vient me chercher. Nous allons faire  le tour des lieux.

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Et d’abord la forêt sacrée. Un autel à même le sol, assez semblable à celui du premier sanctuaire, n’était un monticule de terre pareil à la moitié d’une termitière et placé sur l’arrière des fétiches. Les femmes viennent s’y coucher, ventre à terre, pour demander aux esprits fertilité. Il y a aussi, au pied des deux jarres traditionnelles et de leur immuable eau saumâtre, des traces de sang. Ici, on sacrifie des animaux et les participants, initiés ou demandeurs, ne peuvent se retirer qu’après la manifestation des esprits. Cela peut durer de très longues heures, les cérémonies les plus graves et les plus secrètes n’ayant lieu qu’en pleine nuit.

Cette forêt sacrée symbolique comporte une jarre dans l’eau de laquelle les malades, ou leurs parents capables de se déplacer, doivent puiser à l’aveuglette un élément. Pierre, leur santé reste solide; bois, ils doivent craindre la mort.

Dans l’eau de ces jarres comme dans toutes celles que nous découvrirons au fil de la promenade, des objets à première vue hétéroclites, mais qui représentent et matérialisent les éléments principaux de la nature, bois plus ou moins pétrifié, éclats de marbre, objets métalliques et aussi deux statuettes d’une vingtaine de centimètres de hauteur, plongeant jusqu’aux épaules dans l’eau brunâtre: des jumeaux, qui symbolisent certes les forces de la vie. Mais, tout nouveau-né étant selon la croyance la réincarnation d’un ancêtre, les jumeaux posent problème. Dans lequel des deux jumeaux l’ancêtre s’est-il réincarné et quel avenir pour l’autre ? Pour n’avoir pas à répondre à cette difficile question, la tradition voulait qu’à la naissance on tuât l’un des jumeaux.

Mais les jumeaux sont aussi un signe porte-bonheur. Comment interpréter dès lors, souvenir de deuil ou amulette de     chance, les représentations de jumeaux que portent à la ceinture, sur les reins s’il s’agit d’un seul des jumeaux, sur le ventre aussi lorsqu’il s’agit des deux, de nombreuses femmes que j’ai observées au marché de Lomé ? A noter que les statuettes représentent toujours, j’en aurai la confirmation au marché aux fétiches, des jumeaux des deux sexes.

Confirmation aussi, comme en Haïti, de ce que les  esprits nichent généralement dans les arbres. Mais la  localisation  semble plus vague. En Haïti, c’est seulement à la première fourche des grosses branches. Ici, ce serait aussi dans le tronc, l’écorce, peut-être même aussi les feuilles et les racines.

Nous voici maintenant au coeur du vil­lage. Côte à côte dans ce qui ressemble à la façade d’une placette, diverses entrées dans des maisonnettes juxta­posées aux couleurs et aux formes dif­férentes. Ces lieux à entrée étroite et unique sont dédiés chacun à un esprit particulier,  Hébiesso, Legba, Agboé ou Sakpaké, qu’on nomme aussi Anigbato, ce qui signifie, en langage Ewé, propriétaire de la terre. A noter que Sakpaté-Anigbato est reconnu comme soignant ou prévenant la variole.

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La couleur prédominante de chacun de ces lieux détermine s’il s’agit avec chacun de ces esprits d’affronter un danger (rouge), de faire ou de restaurer le bien (blancs) ou de quêter le bonheur (bleu). A l’intérieur, comme dans les sanctuaires précédents, des fétiches généralement d’origine végétale, et des bouteilles d’alcool aux étiquettes occidentales mais au contenu mystérieux. Au-dessus de la porte, côté jour, divers fétiches animaux, crânes de volatiles, mâchoires de rongeurs, reliquats de serpents, ainsi que, peints en bleu sur le mur blanc et accompagné de leur signification en langue locale, écrite en caractères latins à l’exception d’un ou deux plus proches du cyrillique, des symboles aux formes de fusil, de maison, de serpent, de couteau, de sirène. Le fusil se nomme Etu, le siège ancestral Togbui Zigpoe,  le serpent Eda, le couteau Egou et la sirène Mamie-Wata, une divinité extrêmement importante, en rapport avec l’eau.

La maison aux cérémonies se trouve au sud du village, au bord de la seconde place, légèrement en décrochement. Ici comme partout, une seule porte de bois, pas de fenêtre. Le sol est de béton. Il n’y a pas de fétiche central mais, contre le mur du fond, quelques   bouteilles adossées  (gin, whisky) au-dessous de grandes affiches polychromes mais affadies relatant, l’une en français, l ‘autre en anglais et suivant le mode de la bande dessinée et de l’image d’Epinal, les vertus de Dieu. Le nôtre. Enfin, celui des chrétiens.

Sur le sol de béton, un tapis sur lequel s’ est déjà installé un autre homme. C’est lui qui a la fonction divinatoire et qui, pour ce faire, jette sur  le tapis un double réseau de seize graines de bois d’ébène, plates et lisses comme des galets polis par la vague, mais d’ une couleur beau­coup plus foncée, et qui sont retenues par groupes de huit le long d’un filin végétal. Cela forme, une fois jeté au sol, un ensemble carré de quatre graines de côté et, les nuances du des­sin permettent à l’oracle de deviner l’avenir du visiteur. Pendant la sé­ance, l’homme jettera les graines à deux reprises, en m’observant à la dérobée, mais ne dira rien de ses obser­vations.

Moïse et moi avons pris place près de l’entrée, le dos à la porte ouverte. Survient, le chef, qui s’installe le dos au mur de gauche. La conversation s’engage entre lui et moi par le truchement de Moïse, qui fait office d’interprète en langue ewé. Le chef explique qu’il a été un des premiers « chercheurs » reconnus par le gouvernement. Un diplôme récent, affiché au-dessus de lui, l’atteste. Voilà vingt ans qu’il est chef. Il connaît les méthodes qui permettent de capter l’énergie vitale et de s’opposer aux forces du mal. A la différence du christianisme, le Vaudou considère que ce n’est pas le Bien, mais le Mal qui gouverne le monde.

Le vaudou,  bien employé, permet de s’opposer aux forces du Mal. Il permet aussi de se servir de ces for­ces tout en les servant.  C’est la magie noire. Officiellement, aucun des prêtres ou des initiés n’est au service du Mal et la découverte d’une telle allégeance pourrait  entraîner l’exclusion du village.

Pour me prouver son pouvoir, le chef me montre et me fait toucher une cicatrice oblongue qu’il a juste au-dessous de la lèvre La trace d’une balle, me dit-il. Une balle tirée sur lui et qui n’a pas pu pénétrer au-delà de la peau. On n’est pas loin du druide Panoramix et de sa potion magique… Mais le chef y croit et Moïse ne  semble pas mettre en doute non plus la réalité de la chose. Ne comptez pas sur moi pour manifester le plus petit étonne­ment dubitatif.

Devant la porte, quelques femmes mais surtout des enfants, qui s’agglutinent pour observer le sort réservé au Blanc. Le chef, d’un geste débonnaire et néan­moins décisif, les fait déguerpir. On lui a apporté une petite bouteille de verre blanc sans étiquette contenant du vin de palme. Le chef la débouche et en verse dans un verre de faible contenance une première rasade. Il saisit, à l’angle du tapis, un gros objet noir en forme de poire, bosselé et orné de cauris, eux aussi noircis par l’amalgame séché qui entoure d’une gangue molle et sombre une moyenne calebasse. Tout cela a les allures d’un poron espagnol à la source duquel, à distance, on boit le vin frais. Ou d’une réserve de poudre au  temps des premiers lansquenets.

Le chef renverse la pointe au-dessus du verre. En sort une poudre noirâtre, charbon pilé de quelque arbuste secret, la mélange en un tournemain au liquide et le projette sur le sol. Le deuxième verre sera pour le chef, le troisième pour moi, le quatrième pour Moïse. Sur la  langue, l’alcool  est fort,  le charbon granuleux et sans  goût particulier. Suite de  la discussion. Nous ne nous dirons plus rien d’essentiel mais il est important d’être là, assis près du chef, comme pour recevoir de lui les forces qu’il représente.

Je reviens avec Moïse vers l’emplacement du début, d’où proviennent maintenant des rythmes plus soutenus, avec une participation plus active des voix de femmes. Au passage, sur le seuil de la dernière maison, j’observe deux hommes dans la quarantaine, vêtus de complets identiques, d’un bleu qui me rappelle furieusement celui des Tontons Macoutes d’Haïti. Renseignement pris, rien à voir. Ce sont simplement deux candidats à l’initiation, tout juste arrivés d’un village éloigné, et qui se sont mis sur leur trente-­et-un pour l’occasion.

Il y a maintenant foule autour de l’esplanade. Une petite moitié du groupe des touristes, mais surtout de très nombreuses femmes et leurs enfants. Certaines portent  leur progéniture dans le dos. D’autres allaitent. Sur la piste, une vieille femme, dents en avant, petits yeux de tristesse, porte toute la misère du monde et, en s’approchant de la transe, la transfigure. Elle porte dans les bras, bien à plat, ce qui ressemble à une courte balayette, mais qui doit symboliser un enfant mort, ou un enfant jamais né. Elle virevolte d’une jambe sur l’autre. Son visage est enduit de farines colorées, jaune, blanc, un peu de bleu.

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Elle croise parfois, sans vraiment le rencontrer, un homme d’une quarantaine d’années, au visage également travesti, et dont la transe grandissante s’assortit de soubresauts, de hoquets, de râles. D’autres hommes, dont seule la poitrine est enfarinée de blanc, sont venus disposer au centre de la piste trois plots de mauvais ciment, disposés en étoile. Au centre, ils ont mis le feu à un cageot de brindilles, puis de branchettes. Puis ils ont posé sur les trois pointes des trois plots, au-dessus des flammes, une calebasse de terre cuite rougeâtre, qu’ils ont laissé chauffer avant d’y déposer, du bout des doigts, quatre cauris sont. la surface blanchâtre s’est comme écaillée, avec de petits crépitements aigus.

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Ensuite, sur les cauris et la terre cuite brûlants, ils ont déversé quelques jets successifs d’un alcool incolore, sans doute de l’alcool de palmes. L’alcool a d’abord pénétré la matière puis, quelques éclaboussures ayant débordé des limites du récipient, des flammes ont jailli. Tandis que deux autres relançaient encore le feu, un troisième versait alors consciencieusement dans le réceptacle brûlant une huile rouge qui, aussitôt, s’est mise à frissonner puis à bouillonner.

De quelques phalanges, puis de la main entière, les officiants se sont alors mis à fouiller l’huile brûlante, saisis­sant au passage un ou cieux cauris, les retournant un instant dans la paume, les replongeant. A pleines mains maintenant, ils plongeaient, replongeaient. L’huile rouge bouillonnait de plus belle et 1’alcool qu’on y ajoutait s’enflammait aussitôt. Les hommes, parfois, retiraient à la fois les deux mains, se les frottant comme on le fait lorsqu’on se savonne. Puis les paumes, plus jaunes que rouges, et les   doigts, retournaient dans l’écuelle fumante.

Finalement, un à un, les cauris ont été retirés et déposés dans un petit récipient de métal émaillé où, dans une eau froide et claire,  sommeillaient quelques feuilles vertes et molles, indéfinissables. Peut-être pour calmer l’inévitable douleur.

La cérémonie du feu est terminée. Des mains sont venues retirer les trois plots de ciment, des pieds ont dispersé sur le sable les résidus de braise et de branchettes. Les rythmes des tambours, qui s’étaient apaisés – à moins que l’attention réclamée par la cérémonie du feu les ait fait passer au second plan – ont repris. Sur la piste, outre la mère inconsolable et le hagard enfariné, une femme plus robuste, potelée, vêtue sous son pagne kaki, s’est mise à tourner, débordant parfois sur les spectateurs et les musiciens, se heurtant aux arbres et aux êtres, soubresautant, saisie de vertige, tournoyant, tombant sur le sol, s’y cambrant,    le martelant de ses mains ouvertes, se roulant dans la poussière, saisissant des poignées de sable et s’en aspergeant le torse, le visage, les cheveux.

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Spectateurs africains admiratifs et envieux. Spectateurs touristes indifférents et blasés. Ils n’y croient pas.

Un autobus s’est arrêté sur la route, de nouveaux visiteurs locaux vien­nent se joindre à la cérémonie. Ce matin, certains ont sans doute assisté à la messe mais cet après-midi, grâce au vaudou, ils échappent à une religion venue d’ailleurs pour se replonger dans les racines de la leur. Une femme tient à la main, par les pattes, deux poulets gris. Quelques instants plus tard, les poulets ont été sacrifiés. Cela s’est fait discrètement, loin de l’esplanade et de ses touristes trop sensibles, à l’abri d’un boqueteau. La femme ve­nait sans doute demander la guérison d’un proche. L’aura-t-elle obtenue ? Elle repart. Deux hommes descendent d’une camionnette. Ils viennent de loin pour être initiés par le chef.

Par l’intermédiaire d’un homme que je n’avais pas vu jusque-là et qui s’exprime difficilement en français, le chef me fait savoir qu’un cadeau lui ferait plaisir. Une pipe de bois. Pas une, deux, précise l’inter­prète, que je soupçonne de vouloir en garder une pour lui. C’est entendu.  Je vais, par Jacqueline et Olivier, essayer de faire passer les deux pipes dès le prochain vol de Suisse, qui arrivera vendredi soir et repartira presque aussitôt, avec Amalric et moi à bord.

 

 

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