Chants et danses des gauchos

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Le gaucho fait partie des mythes de l’enfance. Dans la galerie des héros, il arrive en troisième position, juste après le cowboy et l’Indien. La pampa, elle, évoque l’immensité des terres australes et la démesure de toutes les libertés. Mais, parce que l’avion a fait de la planète une peau de chagrin, parce que l’Indien et le cowboy ont disparu à l’instant même où littérature et cinéma les fixaient en gros plan, on imagine aussitôt que le gaucho, lui non plus, ne vit plus que dans le souvenir et l’imaginaire. Erreur.

Le gaucho, inséparable de son cheval, de sa guitare et de la solitude, continue de hanter les plaines d’Argentine. Pas question, bien sûr, de le rencontrer à Buenos-Aires, le gaucho ne professe que mépris con­descendant pour ces citadins, ces « portenos », qui vacillent en selle et n’ont pour tout folklore que ce mielleux tango, « lamentation de cocus » comme dit le gaucho.

Ne pas attendre de la musique populaire et champêtre argentine les accents d’un complet dépaysement. Sauf quelques métissages épisodiques, le gaucho est de race blanche, même si le soleil, les jours et la peine ont parfois hâlé son teint, tiré ses traits. L’exotisme est plutôt, entre pampa et hauts plateaux, celui du temps retenu. Car la plupart des danses, des rythmes, sont ceux de la vieille Europe, glanés dans les salons de Paris ou de Madrid par un quelconque aventurier en mal de voyage, chantés sur un bateau hoquetant, débarqués avec armes et bagages sur les rives du Rio de la Plata, acclimatés à la bonne société du lieu, dérobés par un gaucho égaré à la ville, pieusement – mais pas toujours fidèlement – rapportés dans les communs d’une estancia perdue et, dès cet instant, figés dans les consciences, les mémoires, les cordes et les tambours, figés parce qu’on ne vit pas sans tradition et que, faute d’histoire et de monuments, il fallait bien ériger en valeur commune le seul bien que pouvaient alors partager les gauchos : la musique.

Après huit ou dix heures quotidiennes à cheval, après les galops pour cerner les troupeaux, le lasso qui tombe juste, le couteau dégainé dans un éclair, après toutes les rudesses du jour, le gaucho aime apprivoiser la nuit. Assis près de la grande cheminée où patien­tent les reliefs d’un demi mouton léché de flammes et irradié de braises, la gaucho extirpe donc une guitare et improvise en vers sur les joies et les peines, l’amitié et la solitude, l’amour et la mort. Alors, pour lui répondre, s’élève le chant d’un autre gaucho et la joute peut durer fort avant dans la nuit, jusqu’à ce que tarisse l’ins­piration.

Chacarera, gato, bailecito, escondido, cueca, firmeza, chaque danse a son pas, ses règles, ses entrelacs et entrechats. Toutes sont nées de modes européennes vite disparues, toutes ou presque ont trouvé en terre sud-américaine un second souffle, une nouvelle âme, une autre famille. On ne chante ni ne danse de la même manière au sud, dans la Province de Buenos-Aires, en Mésopotamie argentine ou dans les vallées pelées du nord-ouest. Au sud, le rythme n’est donné que par la guitare, parfois rehaussée d’un bandonéon ou d’un harmonica. Dans le nord-ouest, influence des cultures indiennes et proximité des tropiques, le sang est plus chaud et bout au martèlement du « bombo ». tambour de peau de chèvre qui scande les sérénades amoureuses comme la folie débridée des décades carnavalesques.

Musique de la pampa. Chansons des gauchos. Reflets de l’aventure toujours vivante, de la tendresse, de la dignité, du panache. Peu ou pas de transistors, moins encore de télévision. La vie entre rien et rien. Milieu privilégié pour la conversation et la renaissance des traditions musicales. Expression populaire par excellence. Chaleur humaine pour apprivoiser les étoiles et chanter la vie. Une autre vie.

 

 

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