b. L’œuf unique du flamant rose

 

A la fin du printemps, 20 à 30 000 flamants roses, venus de tout le pourtour méditerranéen pour nidifier en Camargue, se rassemblent autour de l’étang du Fangassier, proche de la pointe de Beauduc. Jambes rose vif, corps clair aux nuances roses, long cou flexible, bec rose et bossu à la base, noir à la pointe, ces gros oiseaux piétinent la fange des étangs peu profonds à la recherche d’«artemia saliva», petits crustacés qui leur confè­rent, justement, la couleur rose du plumage.

Dès le mois d’avril, d’étonnantes parades nuptiales ont lieu sur les îlots. Battant des ailes bruyamment sans pour autant décoller du sol, agitant le cou à tout va, effectuant d’incessants piétinements circu­laires, les oiseaux se choisissent et s’accouplent en quelques jours.

Peu de temps après, mâles et femelles se retrou­vent cri un lieu géographiquement très circonscrit, un îlot en forme de croissant, au milieu de l’étang du Fangassier. Et là, le piétinement reprend. Mais il ne s’agit plus, ni de nourriture, ni de parade amoureuse. Il faut construire – ou reconstruire -les nids. A fleur d’eau, les couples se relaient pour fabriquer, à l’aide des pattes, un tronc de cône qui s’élève rapidement tandis que se creuse, tout autour, un fossé qui s’emplit d’eau. Cette cons­truction, dont le diamètre à la base approche les 40 cm, peut avoir une hauteur de 30 à 50 cm, selon l’humidité du terrain.

Lorsque le nid est prêt, la femelle pond un œuf -un seul par an! – sur le haut, légèrement évidé, de la pyramide. Ensuite, pendant 28 à 32 jours, cet œuf unique sera couvé, alternativement, par le mâle et la femelle, l’un gagnant les étangs voisins, en quête de nourriture, tandis que l’autre reste accroupi sur le nid, pattes repliées avec tant de précision qu’il devra s’aider de son bec pour se remettre debout.

A la naissance, l’oisillon est blanc mais un second duvet gris foncé remplace rapidement le premier. Ensuite, la couvaison ayant eu lieu simultanément sur les milliers de nids (plus de deux au mètre-carré!) et les naissances s’étant produites à quel­ques jours d’intervalles, les jeunes flamants sont regroupés en bandes de plusieurs centaines, gardées par quelques adultes seulement. C’est le système de la «crèche». L’homme n’a rien inventé! Deux mois plus tard, les jeunes flamants sont aptes au vol et partent avec leurs parents pour piétiner les étangs voisins. Enfin, lorsqu’ap­prochent les rigueurs de l’hiver, la plupart des fla­mants mettent le cap sur des rivages plus chauds, au sud du pourtour méditerranéen.

La Camargue constitue le seul lieu de nidification en Europe occidentale. C’est dire si les conditions en sont exigeantes. Aussi toute atteinte, toute agression humaine pourrait-elle réduire à néant les efforts des différentes associations de protec­tion de la nature, auxquelles on doit le maintien et le renouveau de la nidification des flamants roses en Camargue. Pourtant, à condition de s’imposer la plus élémentaire discrétion, le visiteur pourra contempler le vol étonnant des escadres de fla­mants. Il lui suffira de se rendre, de préférence à pied, sur l’une des digues qui cernent l’étang du Fangassier. Et là, au crépuscule, il pourra observer la silhouette rectiligne de ces oiseaux hors du commun, cou, corps et pattes dépliées dans un seul axe horizontal, qui le survoleront d’un essor majestueux et lent. Un privilège rare, qui se paie de patience et de respect.

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