04. Gorée

 

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Lundi 17 juillet

C’est une île de rien du tout, moins d’un kilomètre sur à peine plus de trois cents mètres, une misère. Mais Gorée est si riche de souvenirs, de symboles et de mythes qu’en y abordant, on se sent envahi par la beauté, la curiosité et le respect. Par Gorée ont transité, pendant trois siècles, des milliers d’esclaves noirs, razziés à l’intérieur des terres africaines, revendus par des roitelets locaux aux honorables représentants européens de la Compagnie des Indes puis embarqués à fond de cale, les fers aux pieds, sur les bateaux négriers venus du Portugal, de Hollande, de France ou d’Angleterre.

« Arrachés à leur sol natal, transportés dans un pays étranger, sans langue commune, répartis entre des maîtres au hasard des ventes, accablés de travail et sans autre instruction que la discipline et les coups, ces Noirs étaient réduits à l’état d’individus égarés. » Ainsi s’exprime Joseph Ndiaye, le conservateur de la « Maison des Esclaves », construite en 1776 et dans laquelle maîtres et esclaves, séparés par un seul étage, étaient pourtant promis à des destinées opposées, la fortune ou l’humiliation.

Des « captiveries » comme la « Maison des Esclaves », il y en avait des centaines sur la côte africaine, du Sénégal jusqu’en Angola mais, construites en bois, elles ont pratiquement toutes disparu alors que, bâtie en pierre à la mode européenne, la « Maison des Esclaves » subsiste et témoigne de la plus grande déportation humaine jamais perpétrée sur la planète.

A l’étage dansaient les maîtres blancs et leurs belles « signares », métisses issues des mariages « à la mode du pays » de nobles blancs et de jeunes esclaves que leurs charmes avaient soustraites à leur destin. Au rez-de-chaussée, dans des cellules sordides, s’entassaient plus de cent Noirs assis dans leurs excréments, fers aux mains et aux pieds, attendant le jour où, après la douche et le pesage, ils seraient présentés à leurs acquéreurs, palpés, auscultés et échangés selon leur état contre des barres de fer ou un assortiment convenu de verroterie, de tissus, de colifichets, de fusils et d’alcool.

Sang-mêlé, les « signares » de Gorée avaient délibérément choisi le camp des maîtres, qu’elles distrayaient de leurs jeux amoureux le temps de leur séjour et dont elles héritaient ensuite la fortune acquise sur place. Elles-mêmes disposaient d’esclaves « de case », dévolus à leur service. La « signare » la plus célèbre fut sans doute Anne Pépin, pour les beaux yeux de qui le chevalier de Boufflers transporta de Saint-Louis à Gorée, le temps d’un grand amour, le siège du gouvernorat français du Sénégal.

Aujourd’hui, les Goréens se souviennent encore du temps de l’escla­vage et des belles « signares ». L’île, cependant, a perdu de son éclat. Les anciennes demeures coloniales sont à l’abandon et, sur ce rocher aride, seule la pêche permet d’assurer la subsistance de la population. Heureusement, une chaloupe relie plusieurs fois par jour l’île à Dakar. Les petits Goréens y vont à l’école. Les adultes y cherchent du travail. Les vieux y trouvent une sépulture. Dans l’autre sens, la chaloupe apporte son lot quotidien de touristes pour lesquels, après le passage obligé à la « Maison des Esclaves », la douceur idyllique de la minuscule plage, les charmes peu farouches des « signares » d’aujourd’hui et le fumet subtil des poissons grillés sont autant d’éléments revigorants. Ce qui explique peut-être, a posteriori, la devise de l’île : « Toujours revit Gorée. »

Située à l’autre bout de l’île par rapport au débarcadère, l’école de Mariama-Ba tient à la fois de l’internat et de la colonie de vacances. Nul doute que, pour des enfants sénégalais, ce soit un privilège que d’étudier ici, pendant toute une année scolaire, loin du tapage de la ville, de la pauvreté des faubourgs et de la précarité de l’arrière-pays. Mais, pour les quatorze passagers du Messager de Nantes et la cinquantaine d’autres gosses venus les rejoindre en provenance des quatre coins du monde, c’est une autre affaire. Les navigateurs ont appris à respecter la discipline de la mer parce que son évidence ne souffre aucune contestation. Quant aux autres, en attendant le bateau, ils ont passé plusieurs jours dans un hôtel de la côte sénégalaise. Pour les uns comme pour les autres, le changement est complet.

Les matinées sont et seront régulièrement consacrées au travail en groupe, dans le gymnase de l’école. L’après-midi, des visites sont prévues sur la terre ferme. Il faut s’embarquer sur la chaloupe à moteur pour gagner le port de Dakar en une vingtaine de minutes. Là, deux autobus attendent les enfants pour les emmener à la découverte, sommaire et hâtive, du Sénégal. Aujourd’hui, visite d’un village SOS Enfants où sont concentrés des orphelins et des gosses abandonnés. Hélas, la rencontre se passe au pas de charge, un peu comme un car de Japonais découvrant Paris, d’autant plus qu’au dernier moment, un ministre sénégalais a fait savoir qu’il acceptait de recevoir les enfants à son bureau. Tout notre petit monde n’a eu que le temps de remonter dans les autobus. Combien de jours tiendront-ils à ce rythme, combien de jours accepteront-ils d’être ainsi les jouets d’un programme qui les dépasse ?

Le soir, après le retour à Gorée et le repas à l’école, quelques enfants du bateau se retrouvent autour des petites tables des bistrots de la plage. Je les retrouve, le temps d’un Coca. Il y a là Fox, un adulte avec une queue de cheval poivre et sel, qui est venu à Gorée pour animer les ateliers vidéo : une grande partie du tournage a pu ainsi être réalisée par les enfants.

Il y a aussi Hieng, Sami, Karine. Et aussi Carlos, l’un des leaders des enfants venus en avion, qui les accompagne. Sami confirme son amertume, il ne comprend pas pourquoi, sur l’île, la liberté des enfants est si restreinte. Certes, il a entendu les conseils du seul policier de l’île lui expliquant les dangers, en tout cas pour les plus jeunes, de circuler librement, surtout dans certains endroits près de la mer. Il est vrai aussi qu’entre la maturité de Sami, ayant vécu les dangers de Beyrouth, et de Yassira, bout de chou de 12 ans, il est difficile de donner une même recommandation.

Un soir, ils font la connaissance d’un griot de huit ans. C’est le début de la vraie rencontre avec les habitants de l’île. Le garçon passe devant les tables, joue de la kora, chante et fait la manche. Qui le lui a demandé ? Ses parents ? Où va l’argent ? Que se passe-t-il s’il ne rapporte pas assez d’argent ? Lui fait-on des reproches ? Le bâton ? Pourquoi lui et pas les autres ? En période scolaire, qui est aussi la saison touristique, va-t-il à l’école ou continue-t-il à faire la manche ?

Dans les jours qui suivent, tout finit par s’organiser et chaque soir, par petits groupes, les enfants se retrouvent avec leurs copains goréens. Il aura fallu le temps que l’île se laisse apprivoiser et que les enfants imposent aux adultes une réunion pour exprimer leurs revendications et leurs « droits » ; nous étions là pour cela après tout.

Mercredi 19 juillet

A l’arrivée à l’école, je croise Anne-Laure et Ambre, qui sortent en compagnie de Sophie, la photographe de Sygma qui vient d’arriver de Paris et doit me remplacer à bord du Vendredi 13 pour l’étape de Gorée à Fort-de-France. Elle accompagne les deux filles dans une famille goréenne où une vieille femme doit leur faire des tresses. Sophie en profitera pour les photographier.

L’après-midi, les enfants reprennent la chaloupe pour Dakar. Une nouvelle visite les attend. Au pas de course, comme la veille. Retour à la nuit tombante, peu avant 19 heures. Après un bref passage à l’école, tous se regroupent à la terrasse du Chevalier de Boufflers, l’unique restaurant, dont le patron, Thierry, les a tous invités, et où ils sont fastueusement servis par des garçons stylés.

Il est prévu que, vers 21 heures, les enfants doivent regagner le collège pour assister à la projection d’un film dont l’auteur, Claude Sauvageot, est venu en personne à Gorée. Mais, depuis la réunion du début de l’après-midi, il est bien évident pour chacun que, ce soir, les enfants ont envie de faire la fête. Ils veulent se sentir vraiment en Afrique. Ils rêvent de voir s’avancer la nuit, s’éclairer le ciel, au rythme rassurant des vagues. Les adultes devront-ils recourir au fouet ? Ou infliger à Claude Sauvageot la cuisante expérience d’une salle quasi déserte ?

Une heure plus tard. Comme l’humour, l’imagination vient en mangeant. Venus par les ruelles sombres qui mènent à l’école, Claude Sauvageot, Fox et un autre des adultes se faufilent en direction de la plage, porteurs qui d’une table, qui d’un écran roulé, qui d’un projecteur. En quelques minutes, tandis que quelques enfants ont abandonné la terrasse pour le bord de l’océan, voilà l’écran suspendu contre les remparts, le projecteur posé sur une chaise, elle-même installée sur la table. Un vieux film d’actualités, noir et blanc, sert de test et attire quelques premiers spectateurs, gosses et vieux de Gorée d’abord, enfants de Médecins du Monde ensuite. Bref entracte. Et début de la projection de l’excellent reportage de Claude Sauvageot, Avoir seize ans en apartheid. Plus de deux cents spectateurs se sont installés le dos à la mer, les uns assis en tailleur dans le sable, les autres de guingois sur le rebord d’une pirogue et les plus vieux, côté village, sur les bancs qui longent le chemin menant à l’embarcadère.

C’est un peu La Fiancée du pirate, version africaine et océane. Splendide, chaleureux, complice. Un très beau moment. Les enfants sont ravis. Et les adultes, cinéastes et animateurs en tête, ne doivent pas regretter d’avoir été un rien bousculés par plus petits qu’eux.

Jeudi 20 juillet

A la fin de la matinée, dans le jardin de l’école, rencontre avec Grégory. Je ne l’avais pratiquement pas revu depuis notre arrivée. Il est vrai que les activités sont si nombreuses, le rythme tellement soutenu que chacun vaque comme il peut à ses occupations.

Les enfants du bateau ont été répartis à deux par groupe, parmi les autres. Hier, nous avons formé un premier groupe. Je m’occupe des raisons qui font que certains enfants ne vont pas à l’école. Alors bon, il y a ceux qui préfèrent aller au cinéma, ou dans les rues, des cancres quoi. Mais il y en a d’autres et nous avons essayé de trouver une solution à ce problème. Nous avons fait des paroles écrites et nous allons les présenter sous plusieurs formes d’expression, chanson, poésie, écriture, dessin et théâtre. Moi, j’ai choisi le théâtre. Nous allons faire un formidable sketch, qui durera dix minutes. Ce sera un arbre avec des branches. Chaque branche représentera un problème lié aux droits des enfants. Il y aura un oiseau, la colombe de la paix — c’est moi qui jouerai ce rôle — et cet oiseau ira se poser sur chaque branche et dira : « Ô belle branche, dis-moi, que dois-je faire pour que ma vie soit belle ? » Et la branche lui répondra, soit par un article de la future Convention des droits de l’enfant, soit par un texte que nous avons préparé. C’est encore un peu un secret.

Et ici, après une petite semaine, as-tu l’impression d’avoir pu découvrir Gorée et son passé d’île aux esclaves ?

A vrai dire, nous n’avons pas eu le temps de visiter l’île. On nous interdit un peu de sortir de l’école. Il y a des vols et le chef de la police de Gorée est venu nous avertir que certains Goréens voulaient nous voler et nous attaquer. Alors, nous n’avons pas le droit de sortir sans un adulte faisant partie des encadrants. Ça me semble normal. Mieux vaut une sécurité barbante que se faire voler.

Quand tu seras rentré chez toi, as-tu l’impression que ta vie sera différente ?

Oui. Je vais me comporter mieux à l’égard des autres enfants. Je veux apprendre à communiquer avec les gens. Ça va aussi m’aider pour l’école. Je serai plus curieux de géographie et j’aurai plus envie d’apprendre les langues.

L’après-midi, les enfants vont à Dakar, où ils sont reçus par le maire. Resté à Gorée, j’en profite pour partir à la recherche du petit joueur de kora que j’avais aperçu le premier jour. Mais il semble n’être plus sur l’île. Peut-être un hôtel dakarois a-t-il loué ses services, le temps d’un congrès d’hommes d’affaires ou d’une visite de touristes. Un autre enfant, plus âgé, le remplace aux terrasses de Gorée.

Je m’appelle Boubakar Sissoko. Je ne suis pas bien grand mais j’ai tout de même dix-sept ans. Je ne suis pas de Gorée, je suis de Dakar mais je suis né en Casamance, à Ziguinchor. Ma mère est restée là-bas et je vis ici avec mon père, à Pikine. Je suis un griot. La kora, c’est mon sang. J’en joue depuis que je suis tout petit. Celle-ci, c’est moi qui l’ai fabriquée, avec une calebasse séchée au soleil, une peau de boeuf, un bout de bois pour le manche et des fils de métal pour les cordes. C’est avec la kora que je gagne ma vie. La kora fait vivre toute la famille. Mon papa était griot et, quand j’aurai des enfants, je crois qu’ils seront griots aussi. Filles ou garçons, c’est pareil. Moi, j’ai deux sœurs qui sont griots. Elles chantent, elles jouent, comme moi.

Et l’école dans tout ça ?

J’y suis allé jusqu’en CM2 mais je me suis arrêté, parce que ça ne marchait pas très bien et qu’il fallait gagner de l’argent pour la famille.

Le soir, nouvelle projection sur la plage. Un film malien, drôle mais très long. Luan a un grand coup de blues. Sa copine Djamila vient me chercher pour le consoler. Il est tout près de l’eau et pleure à gros sanglots. Lorsqu’on essaie de l’approcher, il se bouche les yeux. Et, si on lui parle, il se bouche les oreilles. Toute la soirée, Carlos, Mohammed et la petite Algérienne se succéderont auprès de lui. Il paraît que Luan a rêvé qu’il ne reverrait plus jamais sa maman, restée au Vietnam.

Vendredi 21 juillet

Le matin, à l’école, groupe de travail vidéo. Mohammed est assistant-réalisateur d’une œuvre de génie.

POÈME D’ENFANT

Je veux une vie en forme de fleur Je veux une vie en forme de ciel Je veux une vie en forme de soleil Je veux une vie pleine de joie Je veux une vie de paix. Je veux une vie pleine d’amour Je veux une vie en forme de toi, Maman.

A la fin de la matinée, en compagnie d’une demi-douzaine d’enfants du bateau, Jérôme et moi avons décidé de filer à l’anglaise. A midi, nous embarquons sur la chaloupe, cap sur Dakar. Là-bas, une voiture devrait nous attendre. Nous allons chez Mamadou qui, ce soir, reçoit dans sa famille tous les enfants et tous les marins du bateau. Mais nous sommes quelques-uns que la curiosité tarabuste et qui craignent de ne rien voir de son quartier en arrivant après la tombée de la nuit. D’où cette expédition méridienne.

Luan a encore le blues. Ambre, Sami, Mohammed, Anne-Laure sont en pleine forme. Au bistrot de l’embarcadère, où nous attendons le minibus, quelqu’un nous fait passer un exemplaire de VSD avec la photo des gosses à l’Elysée. La patronne le montre aux clients et nous voilà vedettes, surtout Luan, qui en profite pour reprendre goût à la vie.

Peu de temps, hélas, pour cette première visite chez Mamadou. A 17 heures, nous devons être à l’ambassade de France, un peu plus tard à la Chambre de commerce pour une conférence de presse, puis à nouveau chez Mamadou pour le repas proprement dit. Dans son quartier de Sombeul, il a tout de même le temps de nous présenter sa maman et une de ses sœurs. Ambre apprend à porter un bébé attaché sur son dos. Anne-Laure est littéralement enlevée par un groupe de gosses sénéga­lais. Dans les ruelles, notre passage crée d’invraisemblables attroupe­ments. Déjà, il est temps de repartir. Mais Mamadou tient absolument à nous montrer encore le centre culturel où il va, le soir, étudier et faire ses devoirs. Petit bâtiment dans une rue sans asphalte. Un étage. Des salles de lecture. Dans ce pays à majorité musulmane, c’est une église luthérienne allemande qui a fait don de ce centre et qui le gère discrètement. De la coopération sans esbroufe, utile. Si Mamadou réussit un jour à échapper à l’inexorable fatalité de la misère, c’est à ce centre qu’il le devra. Et un peu aussi au voyage du Vendredi 13…

A Gorée, dans les groupes de travail, la faim est sans doute l’un des sujets qui ont fait le moins recette. Peut-être parce que rares étaient, parmi les passagers du bateau comme parmi les autres enfants invités par Médecins du Monde, ceux qui ont réellement connu la faim. Ce soir, la famille de Mamadou a mis les petits plats dans les grands en notre honneur. Mais il arrive trop souvent, en Afrique, que le plat soit vide. La faim, Mamadou et Stéphanie, une jeune fille portugaise, ont essayé de la cerner par des mots :

40 000 enfants meurent de faim chaque jour par manque de nourriture. Il faut donc faire face à ce problème en essayant d’y remédier.

Les hommes des nations favorisées doivent aider les plus démunis en mettant de côté leur égoïsme, ainsi ils essaieront d’améliorer les échanges import-export en ce qui concerne la technologie et les problèmes financiers.

La faim s’implante souvent par manque d’outils modernes, de pratique et de théorie, c’est sur cela que la technologie d’aujourd’hui doit se baser pour essayer de réparer les dégradations de l’agriculture, la maîtrise de l’eau et la conservation de la nature qui est l’élément essentiel pour répondre à nos besoins vitaux.

La faim est provoquée dans certains cas par une explosion démogra­phique menant à une surpopulation. La conséquence de l’inégalité qu’il y a entre la quantité de nourriture et le taux de la population est la supériorité de la population.

Également, par manque d’hygiène et de responsabilité, la pollution s’installe parmi nous en envahissant les mers de produits chimiques et de ce fait toxiques, tout en contaminant les richesses aquatiques qui nous permettent de nous nourrir.

Sur le plan agricole, il faudrait prendre des mesures pour diversifier et encourager les cultures vivrières qui se font souvent devancer par les cultures destinées à l’exportation, en aggravant encore plus les condi­tions locales des rations alimentaires.

Il faut aussi préserver nos zones vertes, riches en oxygène, en réduisant les possibilités de feux de brousse qui ne font que faciliter l’avancement du désert.

Que chacun mette un peu de lui-même pour mettre un terme à la destruction de la nature, car si elle venait à disparaître, nos rations alimentaires s’épuiseraient et la FAIM aurait GAGNÉ!!!

Samedi 22 juillet

Dernier jour à Gorée. Sénégalais ou Européens, tous ont la gorge serrée, d’autant que les manifestations du départ sont empreintes de solennité. Elles se déroulent à l’université des Mutants, un bien grand nom pour un modeste bâtiment qui doit tout au symbole. C’est l’heure du départ et c’est un peu triste. Mais les enfants sénégalais sont là, sur la plage, pour faire oublier la tristesse.

Venus des quatre coins du monde, les enfants du bateau vont maintenant poursuivre le chemin qui les mènera à New York. Ils peuvent partir la tête haute. Ils ont bien travaillé. A Gorée, ils ont élaboré un pacte qui concentre l’essentiel de leurs réflexions et qui, peaufiné sur le Messager de Nantes puis à la Martinique, devrait constituer la base des doléances et des souhaits qu’ils entendent présenter à l’ONU.

C’est le moment du départ. Dans quelques instants, les enfants monteront à bord d’un Zodiac qui les mènera jusqu’au trois-mâts mouillé dans la baie de Gorée. Pour cette étape, il y a un adulte de moins, deux enfants de plus et, pourtant, ils ne sont toujours que vingt et un au total. Hieng a définitivement décidé de renoncer à la traversée et deux garçons ont rejoint le groupe, au dernier moment. Un Israélien de quatorze ans, Shuki, et un Palestinien de treize ans, Ammar.

— Mon père a quitté la Palestine vers l’âge de dix-huit ans. Il a dû employer des moyens vraiment pas très commodes, de Palestine en Belgique, à pied, en bus, en camion, en stop, enfin tout quoi, parce que, si jamais il avait pris l’avion, il aurait eu de sacrés problèmes. Il a dû quitter la Palestine parce qu’il ne voulait pas collaborer avec les Israéliens, alors, ils ont fait sortir toute la famille, ils ont laissé les meubles et ils ont fait exploser la maison. Quelques années après, mon père s’est marié et je suis né. Mes parents sont retournés, provisoire­ment, en Palestine, et ils sont revenus. Mon père n’a pas voulu m’emmener, c’était bien trop dangereux. Mais mon père a dit qu’un jour, dès que ça sera rétabli, on ira tous ensemble en Palestine. On est huit, mais il a dit que ce n’était rien, on ira quand même. Parmi les enfants qui sont ici, il y a un petit Israélien. Il a quatorze ans, il s’appelle Shuki et c’est mon ami. On lui a peut-être dit que les Palestiniens étaient des salauds. Moi, on m’a dit la même chose des Israéliens. Mais moi je dis que ce ne sont pas tous les Israéliens, seulement le gouvernement, pas les habitants. Shuki est très gentil avec moi. Il ne veut jamais me parler de la guerre, il a raison. Il trouve ça vraiment affreux. Ça se passe devant chez lui et il en a marre. On est vraiment amis. Je me suis fait un ami israélien et, après, je veux correspondre avec lui.

Si le père de Shuki rencontrait ton propre père, crois-tu qu’ils parviendraient à se parler, eux aussi ?

Je ne sais pas. Ça dépend comment son père voit les Palestiniens, comment il voit la guerre. Une guerre, ça peut changer beaucoup de choses. Mais moi, mon père m’a dit : « Si jamais il y a un Israélien dans le groupe, fais-toi ami avec lui. » Mais ça ne se décide pas comme ça. Ça doit aussi venir du cœur, hein ?

 

 

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