iPhone Vs Blackberry

Publié le 02/08/2012 par alexadmin

Bucarest, place Amzei. Restaurant Harbour. Ils sont là, côte-à-côte. Beaux. Presque appétissants. Je les observe de trois quarts arrière, dans ce café dont les baies sont largement ouvertes pour laisser passer un peu d’air et apaiser, timidement, la touffeur du dehors. Le tenancier a fait installer une batterie de brumisateurs qui envoient à intervalles réguliers des nuages perlés et rafraîchissants. On pourrait se croire en Bretagne.

Ils sont assis côte à-côte, face au panorama, à deux tables jointes. Il porte un débardeur bleu tirant sur l’ocre. Elle arbore une petite robe de coton brodé, très décolletée parce qu’il fait si chaud. Qu’ont-ils mangé, qu’ont-ils bu ? Qu’importe ? S’aimer, c’est regarder ensemble dans la même direction, disait Saint-Ex. Ils regardent dans la même direction. Il doit avoir la trentaine, le début d’une barbe sauvage de baroudeur. Elle doit avoir cinq ans de moins, cheveux châtain clair retenus sur la nuque par un simple élastique. Elle sourit parfois. Ils ont le monde et l’avenir devant eux. Certes, la rue est sale, disgracieuse, les immeubles gris et décatis. Mais ils regardent ailleurs, au-delà.

Sa main droite à lui avance sur la droite du bois brillant de sa table à lui, presque jusqu’à la commissure avec sa table à elle. Sa main gauche à elle avance simultanément sur la gauche du bois brillant de sa table à elle, presque jusqu’à la commissure de sa table à lui. C’est très simple, très pur, très beau. Dans un même geste, ils posent doucement les doigts sur un petit objet noir et plat. Son objet à lui est entièrement lisse. Son objet à elle comporte plusieurs rangées de légers renflements. Ils s’en saisissent, chacun de son côté. Soulèvent les deux objets, chacun le sien. Je vois ses cils à elle vibrer. J’entrevois sa barbe à lui frémir.

Leurs mains à eux ne tremblent pas. Son index à lui glisse comme un habile patineur sur la vitre de son objet à lui. Son index à elle se pose se pose plus décidément sur un des renflements, puis un deuxième, de son objet à elle. Leurs deux visages se tournent légèrement l’un vers l’autre mais leurs regards ne se croisent pas. Ils chuchotent quelque chose, que je n’entends pas. Je les sens émoustillés mais déjà un peu déçus. Leurs objets ne communiquent pas l’un avec l’autre, ne réagissent pas l’un à l’autre. Son index à lui file plus brusquement sur la vitre noire de son objet à lui. Son index à elle appuie presque rageusement sur un puis deux autres renflements de son objet à elle. Leurs visages se tournent à nouveau l’un vers l’autre et leurs deux chuchotements se croisent sans s’entendre.

Ils regardent presque dans la même direction puisque leurs deux objets sont si proches l’un de l’autre. Il demande l’addition. Elle replace son objet à elle dans son sac à main à elle. Il enfouit son objet à lui dans la poche de sa chemise à lui. Ils se lèvent d’un seul mouvement et se dirigent vers la sortie. Debout, il a davantage encore l’aspect d’un homme libre, d’un presque aventurier. Debout, elle a davantage encore la silhouette diaphane de la féminité naissante. Mais le courant, les ondes ne sont pas passés entre eux et leur chemin commun,  jamais vraiment commencé, va s’arrêter là, au franchissement de cette porte.

Ils ne sont définitivement pas faits l’un pour l’autre. Il possède un iPhone. Elle possède un Blackberry. Ils ne sont pas parvenus à les faire communiquer l’un avec l’autre. Et la technique a toujours raison.

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