Kant bro, karst giz. Autant de paroisses, autant de guises. Dans les villages, on vit à sa guise et la guise, c’est d’abord la coiffe. Noire et sage à Sein, haute, blanche et brodée en pays bigouden, la coiffe est signe de différence, de fierté et d’identité. Le vêtement des hommes avait autrefois la même fonction: se faire reconnaître et proclamer son orgueil car l’orgueil ici n’est pas péché, mais antidote au mépris dont l’étranger – à commencer par le Français – a toujours toisé le Breton.
Baragouiner: parler une langue en l’estropiant, user d’un langage incompréhensible, précise le dictionnaire. Mais sait-on que baragouiner vient de bara, qui en breton signifie pain, et de gwynn, qui veut dire vin? Aux oreilles françaises, lorsque les Bretons évoquaient simplement le pain et le vin, ils « baragouinaient ».
La Bretagne, intégrée par ruse au royaume de France, n’a jamais été véritablement française. Même dépourvue de frontières, d’armée, de constitution, elle forme un pays et un peuple,
Complice de ses cousines celtiques d’Irlande ou de Cornouailles, la musique bretonne porte elle aussi les vertus enracinées et proclamées de ce recoin de planète. Pas plus qu’il n’y a de petits et de grands Bretons, il n’y a de petites et de grandes musiques bretonnes. Il n’y en a que de bonnes et de mauvaises, et plus souvent de bonnes que de mauvaises, même si elles nous déconcertent autant et parfois davantage qu’elles ne nous charment.
Chère à Merlin l’Enchanteur, la harpe bardique est douce mais le biniou, cornemuse bretonne, grince, et la bombarde, cousine de la raïta arabe, transperce. Origines orientales et méditerranéennes mâtinées de chant grégorien, les sonorités vous prennent aux tripes en même temps qu’elles vous chantent au coeur. Les soirs d’été, lors des Fest Nozou en plein air, Bretons du pays et Bretons de l’exil se retrouvent sur le pré pour danser tous ensemble, l’oeil vif et la tête haute.
Les Bretons ne sont jamais vaniteux mais, en secret, ils sont orgueilleux. Ils ont pour eux leur conscience et toutes ces consciences mises bout à bout, aussi hétéroclites, aussi différentes, aussi bariolées soient-elles, ont donné naissance à une âme. Ernest Renan l’écrivait voilà plus d’un siècle mais cette particularité, suffisamment rare aujourd’hui pour être signalée, n’a pas pris une ride. La Bretagne non plus, d’ailleurs.
Esquibien, août 1994