Les élections sont chose trop sérieuses pour qu’on n’en rie pas. Tel était en substance le message de Ferdinand Lop, éternel candidat à tous les postes de la République. Contre le boire, le manger et les honneurs, il se déplaçait volontiers dans les coins les plus reculés de l’Hexagone. La preuve : il vint jusque chez nous.
Ferdianand Lop, disparu en 1974 à Paris, était un habitué de la région lémanique. Il revenait souvent à Thonon, où il écrivait ses « manifestes politiques » destinés à changer la France et à faire de lui, Ferdinand Lop, le plus grand et le plus illustre des Présidents de la République.
Je l’avais revu à Paris, quelques années avant sa mort, aux Deux-Magots. Il souffrait de n’être plus reconnu des nouveaux clients, germaniques pour la plupart, de ce mythique café parisien, cher à Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, et il rayonnait dès qu’un chaland, fût-il ironique, l’identifiait et l’interpellait.
Pour ce septuagénaire usé et malingre, Saint-Germain-des-Prés constituait alors les ultimes limites d’un immense royaume, la France, réduit par les ans à ces quelques arpents de Quartier Latin. A l’évocation de Gex, de Ferney, il se souvint alors avec tendresse des semaines triomphales qu’il avait vécues dans le Pays de Gex.
C’était dans les années cinquante. Les Gessiens sortaient à peine de l’isolement et des restrictions mais le rire et le canular y étaient plus cultivés qu’aujourd’hui.
Ferdinand Lop, qui avait déjà été à plusieurs reprises candidat à la Présidence, faisait le tour de France avec des slogans dignes d’Alphonse Allais. Il proposait ainsi, pour faire baisser le prix des produits laitiers, de remplacer les vaches par des tôles, puisque » les tôles on-du-lées « … Cela ne l’empêchait nullement de prendre son rôle très au sérieux et il arborait, outre le chapeau noir, le parapluie en fourreau et la lavallière.
C’est ainsi qu’il avait débarqué, un soir de l’immédiat après-guerre, à Gex. Le garagiste Louis Husson, qui venait tout juste d’entendre parler de lui, lui sauta au cou en le tutoyant. A Ferdinand Lop étonné, il expliqua qu’il le connaissait du Quartier Latin. Flatté, Lop fit à son tour mine de le reconnaître. Ce fut le début d’un séjour épique en pays gessien. Il se créa très vite un « comité lopiste » qui organisa conférence sur conférence. La première eut lieu à la mairie de Gex. Etait-ce du lard ou du cochon, nul ne le savait vraiment. Lop proclamait sa volonté, dès qu’il accéderait au poste suprême, de nationaliser tous les trusts, des Pétroles à Saint-Gobain.
« Pour Saint-Gobain, d’accord, on leur cassera les vitres, répliquaient dans la salle Husson et ses compères, mais pour les pétroles, pas question. L’essence aux garagistes ! » La séance fut houleuse et, le lendemain, Lop cédait: Husson était pressenti pour le ministère des Transports. Jean Grosgogeat recevait les Colonies (il avait été en poste à Madagascar..), André Boccard l’Intérieur. Plus tard, à Ferney, Maurice Décotte, mon père, se vit attribuer les Affaires Etrangères « du fait des liens qu’il avait tissés de part et d’autre de la frontière ».
L’étape de Ferney fut d’ailleurs agitée : Albert Hécler, le maire de l’époque, avait d’abord refusé de diriger le débat contradictoire, puis il avait accepté, sur l’insistance de mon père, qui lui avait promis de porter la contradiction » à ce rigolo de Lop « .
Le » maitre » – puisqu’il aimait qu’on l’appelât ainsi – débuta de manière abrupte: son gouvernement aurait besoin d’argent et tout particulièrement de devises étrangères. Lop proposa donc à l’assemblée – composée de Lopettes et d’Antilopes – de vendre la statue de Voltaire aux Suisses. Seul serait conservé le château, qui pourrait lui servir de résidence d’été dès après son élection à la présidence … On imagine le tollé. D’aucuns criaient à la dictature et certains ne s’aperçurent qu’à la sortie de l’immense canular qui avait été monté à leur intention.
Divonne ne reçut pas Ferdinand Lop. « Il y a déjà assez de fous ici », avait déclaré péremptoirement le député-maire d’alors, Marcel Anthonioz alias Tonio-du-Lac, bien placé pour le savoir. Gex, en revanche, eut droit à une seconde conférence-débat, dans la salle du cinéma Lux bondée. Une dame perdit tout son maquillage, emportée par les larmes de rire. Un diplomate belge, venu pour assister à une vraie réunion politique, ressortit en s’exclamant : « Il n’y a qu’en France qu’on puisse voir ça ».
Effectivement, le spectacle était pour le moins inattendu, mais pas autant que le surlendemain, lorsque tous les complices gexois de Ferdinand top organisèrent la marche triomphale du maître. Le parcours était certes court puisqu’il se limitait au tronçon allant de l’hôtel du Jura (où résidait le futur président) à la gare de Gex (où il devait prendre la micheline pour Bellegarde). Mais les fastes furent grandioses. La voiture présidentielle, prêtée par le Ministre des Transports, Husson, et marquée du nom de Ferdinand Lop, ouvrait le cortège. Il y avait aussi une garde d’ honneur tout à fait authentique et on avait même demandé à Anaïs Paulme (tiens, il faudra qu’un jour je vous conte les aventures d’Anaïs) de chanter la Marseillaise. Le maître se déclara enchanté de sa visite et son dernier souvenir sonore fut la voix du conducteur de train à qui Louis Husson avait demandé si le convoi était en état de transporter un futur Président de la République et qui, peu familiarisé avec la pratique du canular, s’était contenté de répondre: « spèce de con ! »
Alex Décotte, descendant direct du Ministre lopiste des Affaires Etrangères