American Indian Movement

 Dia012.0010015

Où étiez-vous lorsque nous avions besoin de vous ?

Où étiez-vous lorsque nous vous voulions frères ?

Maintenant vous vous dites Sioux ou Cherokee

Mais où étiez-vous aux instants les plus durs ?

Notre terre a été volée, vous n’avez pas bougé

Nous avons été massacrés, vous n’avez pas crié

On  nous a mis dans des réserves, vous dormiez

Nous étions moribonds, vous mangiez

La parole nous était interdite, vous vous taisiez

Nous vous appelions, vous n’entendiez pas

Notre liberté est morte, vous n’en aviez cure

Et toujours quand nous avions besoin d’aide le puits était sec.

(Texte de Floyd Westerman)

Aujourd’hui, avec la musique des Blancs, les disques des Blancs, les mots des Blancs, l’Indien chante à  la radio des Blancs sa chanson amère et désillusionnée, grinçante et agressive. Mais cela suffira-t-il ?

Aujourd’hui, l’Indien investit Alcatraz, occupe le Bureau des Affaires Indiennes, s’empare de Wounded Knee, Mais cela suffira-t-il ?

Aujourd’hui, l’homme blanc écoute la chanson indienne, assiste aux Pow-Wow rituels, cherche la nature pour fuir la mort, redécouvre la sagesse des anciens. Il applaudit même, parfois, à la révolte de  l’homme rouge. Mais cela suffira-t-il?

A ma gauche, 850.000 Indiens issus d’une centaine de tribus aux coutumes et aux langues différentes. A ma droite, 200 millions de Blancs-anglo-saxons-protestants (WASP)et leurs anciens esclaves noirs. Début  du premier round et que le meilleur gagne!

Le meilleur ? Ou le plus fort ? Cette démesure de  leur combat, les Indiens la connaissent bien, mais ils se battent pourtant. Aux Etats-Unis, ils ont enfin réussi à mettre sur pied une organisation efficace groupant les chefs de réserves et les leaders de ghettos urbains. L’AIM (American  lndian Movement), né en 1968  dans les bidonvilles de Minneapolis, est aujourd’hui le creuset des revendications et des révoltes, une minorité rouge agissante au sein de la majorité blanche repue.

Mais si AIM organise des occupations de terres, des manifestations, des meetings, il ne déterre pus pour autant le tomawak : l’issue de la lutte ne ferait aucun doute. Non. Ce que veut  AIM,  c’est rallier à la libération indienne un certain nombre de jeunes Blancs, et aussi l’opinion internationale.

 Dia012.0010018

Il s’appelle Waubum New Wi Nini mais son passeport américain porte le nom de Vernon Bellecourt. Leader de AIM. La quarantaine, domicilié à Denver Colorado. Sioux. Ses  tresses ne font plus rire. Le  Blanc commence à en avoir peur et il réagit. L’autre jour, alors que Waubum tenait meeting dans  une petite ville proche, sa voiture a été piégée. Elle a explosé quelques instants avant que le chef indien remonte à bord.

Qui est donc cet homme qui oblige les Blancs à  remplacer le mépris par la violence ? Bellecourt-Waubum propose l’utopie. Et si c’était là l’unique alternative à la mort ? L’homme blanc est venu en 1492 avec des prières. « Tu ne tueras point » disait-il. Et il nous a tués. Il a banni nos coutumes, nos langues, nos religions, mais ce crime aujourd’hui se retourne contre lui : avec la langue du Blanc, nous pouvons communiquer entre tribus et crier la vérité au monde.

Ce que nous voulons, c’est la liberté,  toute la liberté. Bien sûr,  ne  nous rendra pas l’Amérique. Mais nous voulons créer un Etat indien souverain, parcellisé, comme les raisins sur un gâteau, à l’intérieur même des Etats-Unis. Formé des centaines d’enclaves que sont actuellement nos réserves. Avec en prime quelques terres rétrocédées par les Blancs. Nous prévoyons dès maintenant notre représentation aux Nations Unies.

En 1952 était créé le Bureau des Affaires Indiennes (BIA). Officiellement, pour étudier les 371 traités « conclus » entre colons et colonisés. Mais la première constatation du BIA fut pour le moins bizarre: « La pauvreté des Indiens, c’est la faute des réserves. Qu’ils aillent donc à la ville ». Du coup, aujourd’hui, 50 % des Indiens vivent dans les ghettos urbains. Niveau de vie, un cinquième de la moyenne blanche. Alcoolisme. Criminalité, 10 à 30% des effectifs des prisons. Suicide infantile, 10 fois plus que les Blancs.

La culture indienne ne prépare guère aux métiers de la technocratie. Dans sa tribu ou sa famille, l’enfant étudie la nature, le cours des saisons, la communication avec les aïeux, le culte des ancêtres. Aussi les seuls emplois en ville se limitent-ils à l’humilité du sous-prolétariat: nettoyage, entretien, manutention. Chômage. Le Noir se révolte mais l’Indien, de philosophie non-violente, se réfugie souvent dans le désespoir et la résignation. Pourtant, AIM  modifie très vite  l’état d’esprit de  l’homme rouge.  Il lui apprend à reconquérir sa dignité, à regarder l’homme blanc sans crainte. Un jour, dit Waubum New Wi Nini, lorsqu’il aura tout détruit sur la planète, le civilisé se tournera vers nous qu’il appelle sauvages  et comprendra pourquoi, depuis toujours, nous vivons en harmonie  avec la nature. Ce jour-là,  nous  lui ouvrirons les  bras.

Combien y a-t-il d’Indiens au Canada ? L’estimation  est difficile. 300.000 à peu près. Le gouvernement a établi une distinction entre ceux des réserves, reconnus  comme  tels, exempts d’impôts et de droits civiques, et les Indiens venus  en ville, qui ont perdu du même coup le droit de retourner  dans une  réserve,  le droit à leur identité. Ces derniers, comme  les métis, sont considérés comme Canadiens. Le  décompte est malaisé. Pourtant, depuis quelques années, la Fraternité des Indiens du Canada a mis les différents groupes en contact. Le combat est cependant est en retard sur celui des Etats-Unis, et les conflits plus localisés.

A la baie de James, au nord du Québec, des industriels veulent construire un barrage hydro-électrique. Les forêts seront inondées, les rivières détournées. Les Crees de la région ne parlent ni anglais ni français. Ils ne savent que pêcher, trapper et chasser. On imagine leur sort si le projet se réalise. Sur la côte ouest, des pêcheurs indiens se voient interdire leur métier: Le gouvernement en a vendu le monopole à  une société des Etats-Unis.

Au village Huron de Loretteville près de Québec, le chef Max Gros-Louis a organisé la vie des 1200 Indiens. Fabrique de canots. Artisanat local. En quelques années, le  chômage  a disparu. Des  Blancs  viennent même   travailler dans  les entreprises indiennes. Mais le cas est isolé, et les Indiens du Canada sont finalement plus déshérités, plus méprisés, plus méconnus, que leurs frères des States. Et leur qualité de « sujets de la Majesté la  Reine d’Angleterre » ne suffira pas à  les consoler. L’injustice créé la violence. Mais nul ne peut dire aujourd’hui si cette violence sera constructive ou suicidaire.

(1980)

 

Lettre  reçue  début  septembre de la bande du chef Small Boy, tribu des Crees

Cette nuit,  il y eut tout à côté d’Edmonton  le plus  grand  rassemblement indien  de  l’été. Il y avait aussi  bon nombre de métis,  tellement contents  de   se  balancer au  rythme  des tambours,  tellement  heureux de faire un tour de piste, tellement  heureux d’oublier,  de  s’oublier.  Des gueules tordues, mal  foutues, des gueules de  chez nous  avec  des coups de serpe indienne et un relent de pinard dégueulasse. Mais des gueules  si émouvantes  au  rythme  du  tambour de  leurs  cousins  de  la  réserve. Quitte  à  te décevoir, l’affaire de Wounded  Knee  n’a plus  la cote ici. L’Indien du Canada,  qui connaît huit mois  d’hiver,  et quel hiver, a trop le sens du rapport de force pour ne pas  savoir qu ‘un petit feu de  camp indien ne  suffira pas  à faire  fondre  l’ immense  calotte de glace blanche  qui l’étreint si cruellement. Il ne  se  fait pas  d’illusion. Sur place,  il voit les prospecteurs de pétrole  s’affairer follement,  avec  leurs engins chenillés. Le  gibier est terrorisé. Les Indiens ne s’étonnent de rien. C’est cela l’homme blanc Il détruit peu à peu tout ce qui lui tombe sous la main. L’homme blanc est fou.

Laissez un commentaire. Merci.