i. La Sainte-Victoire de Cézanne

 

L’automobiliste qui, pour gagner quelques dizai­nes de minutes, emprunte la Provençale, l’auto­route reliant la basse vallée du Rhône à Nice, découvre à l’est d’Aix-en-Provence une vision naturelle, quasiment un tableau, qu’il lui semble connaître, même s’il n’est jamais passé par là. Sa perplexité est brève. Un grand panneau, comme il en existe pour signaler les stations-services ou les bifurcations, indique simplement: «Les paysages de Cézanne».

Avant d’être le peintre qu’il est devenu, Paul Cézanne était d’abord un coureur de paysages. Natif d’Aix, issu d’une famille bourgeoise enrichie dans la chapellerie et la banque, Paul entreprit très tôt, avec ses amis ou seul, de longues excursions dans la nature provençale. Il s’est contenté, pour­rait-on dire, de rendre impérissables les lieux qu’il aimait.

Le chemin, cependant, fut long et, parfois, diffi­cile. Louis-Auguste, son père, le destinait à la ban­que et le força pour cela à suivre des cours de droit. Finalement, avec la complicité inlassable de sa mère, Paul obtint pourtant de partir pour Paris, où il s’installa dans un pauvre appartement proche de celui de son ami Zola. Pour Cézanne, Paris n’était pas un reniement de la Provence mais, au contraire, le moyen d’acquérir les techniques et la liberté propres à lui permettre d’y revenir pour mieux la peindre. Ce goût de la recherche, mêlé à la nostalgie du pays, sont bien traduits par les activités parisiennes de Cézanne, qui se partageait entre le Louvre et ses amis aixois exilés dans la capitale.

A peine reconnu de son vivant, Cézanne est désormais considéré comme le personnage-char­nière de la peinture contemporaine, le point de rupture débouchant sur les recherches picturales du XXème siècle. Notre propos n’est pas ici d’in­sister sur ce rôle primordial, qui va de l’étude de Delacroix, Tintoret et Rubens à la simplification géométrique des paysages naturels, en passant par la «loi du contraste simultané» des couleurs, un bref détour impressionniste et le mariage indisso­ciable du dessin et de la couleur. Un livre complet n’y suffirait pas.

Attachons-nous plutôt à ce que Cézanne exprime de totalement provençal. Certes, malgré les sug­gestions de Zola, Cézanne ne s’est jamais attaché à fixer sur la toile la vie matérielle des Provençaux. Pas de petits métiers, pas de marchés colorés. Mais des visages, des expressions et des couleurs, empruntés à son univers quotidien. Du Jas de Bouffan, maison campagnarde de la périphérie aixoise, il contemple la Sainte-Victoire, montagne irremplaçable que jamais, dans ses toiles, il n’égra­tignera de la plus petite présence humaine. C’est que la Sainte-Victoire est un personnage en soi, évoluant et renaissant au fil des heures, des jours et des saisons.

Ses expéditions le mènent dans l’arrière-pays, les rousseurs de la carrière de Bibemus, les arches jetées sur le cours de l’Arc, où il peint ses célèbres baigneuses. Son très beau Golfe de Marseille, vu de l’Estaque, on le doit à la crainte que lui inspi­rait son père: Paul n’avait jamais osé lui avouer la liaison qui, depuis l’époque parisienne, existait avec Hortense Fiquet, qui lui avait pourtant donné un fils. Aussi, lorsque Hortense venait le rejoindre dans le midi, la logeait-il à l’Estaque, dans une maison où il peignait volontiers.

De la Provence, Cézanne a saisi quelques visages, quelques personnages. Il insistait beaucoup pour que la mise, le vêtement, correspondent à la réa­lité du lieu, comme il prenait le plus grand soin du choix des objets destinés à composer les natures mortes. En cela, un pot-à-lait et quelques fruits en disent autant que des joueurs de boules et de car­tes ou des adolescents un jour de carnaval.

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