12. Le trésor était vraiment là

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CHAPITRE XII

Les chameaux de l’équipe de recherche seront choisis parmi les plus vigoureux du troupeau. Outre Saïd, principal intéressé et indispensable témoin, l’expédition placée sous le commandement d’Omrane, second fils d’Abdelkhir, comprendra El Tayeb, étranger au pays, vieux coureur de pistes sahariennes orientales, encore bien valide, membre repenti de différents redoutables rezzous après avoir longuement imploré le pardon divin. Un rezzou est une bande d’hommes armés vivant de vols d’animaux, parfois d’enlèvements d’humains, tel celui dont Saïd fut victime. El Tayeb acceptait d’être le guide d’une opération qu’il qualifiait de jeu d’enfant. Le dernier participant, Gader, solide gaillard, enfant de l’oasis, aura en charge l’ordre en général et très discrètement la surveillance de El Tayeb, si la vue de l’or réveillait subitement les démons sommeillant en lui.

L’équipe se mettra en branle deux jours avant la pleine lune, laissant la possibilité d’allonger la marche de nuit, si besoin était. Quoi qu’il advienne, les recherches ne seront pas poursuivies au-delà de la deuxième étape. En effet, il est impensable qu’un homme, même aussi vigoureux que l’était Saïd à cette époque, ait pu franchir plus de deux étapes alors qu’en franchir une seule, sans boire et sans manger, semble hors des possibilités humaines.

Un camp de base, au terme de la première étape, sera ravitaillé par El Faleh, chef berger connaissant bien l’endroit pour y avoir mené au pâturage les troupeaux de chameaux après une pluie bénéfique qui, hélas, tarde des années à se reproduire. Au fond d’une zone rocheuse, une vasque naturelle, sommairement aménagée conserve parfois un peu d’eau. De toute manière, avec ou sans eau, l’endroit se prête à l’établissement d’une base. En se référant à ses dires, Saïd avait dû passer fort près, soit à l’est, soit à l’ouest.

El Faleh et un aide berger de son choix, faisant route avec l’équipe d’Omrane dans cette première étape, y déposeront le ravitaillement transporté par quatre chameaux et prendront le chemin du retour dès le lendemain matin tandis que par ailleurs débuteront les recherches.

Enfin, dernière décision: le comité sachant que Saïd n’attachait qu’un intérêt de mystique religieuse à la recherche du trésor, en cas de découverte, il en serait fait deux parts d’égales valeur, l’une déposée au consulat du Soudan à l’intention des héritiers du défunt et sinistre intendant, ou à défaut à une activité sociale, l’autre utilisée au bénéfice de l’aménagement de l’oasis.

Le jour prévu, la caravane prit la route, bivouaquant près de la vasque, vide de tout liquide. Aux premières lueurs de l’aurore, El Faleh et son équipe s’en retournèrent tandis que l’équipe d’Omrane entamait ses investigations.

La veille, au cours de la marche conduisant au camp de base, El Tayeb espérant raviver les souvenirs de Saïd l’avait longuement interrogé sur l’impression qu’il gardait de la région quand il s’y fut perdu, puis sur les moindres particularités dont il gardait le souvenir après qu’il eut prématurément bifurqué: temps de marche, nature du chemin, végétation ou absence de végétation, relief du sol… Dans sa mémoire entraînée dès l’enfance, le vieux coureur de pistes reconstituait la région parcourue. Saïd, avant d’enterrer son trésor, prétendait avoir pris des points de repère indestructibles! Quels pouvaient-ils être pour avoir attiré l’attention d’un homme traqué, dans une nature exempte de vie.

Quittant le camp de base, procédant aux premières recherches, tant par ses intuitions de saharien que par déduction des éléments recueillis la veille, El Tayeb, décida d’infléchir plus à l’est que prévu la zone à explorer. Au bout de quelques heures sans indices valables, le regard de Saïd scrutait avec une attention de plus en plus soutenue un paysage ne lui paraissant plus étranger. Le guide, qui le suivait d’un regard amusé, ordonna que l’on fît baraquer les chameaux. Il fit quelques pas avant de se jucher sur une énorme plaque rocheuse incrustée à mi-pente de la dépression et s’y tint debout, telle une statue de la victoire. De là, on apercevait dans les méandres de la dépression une masse rocheuse semblable à une énorme ruine. « La plaque à demi suspendue dans le vide, l’amas rocheux que l’on aperçoit à partir d’elle, ne sont-ils pas les deux indestructibles points de repère de ton alignement? Où sont tes repères secondaires, je ne les vois pas, sont-ils indestructibles et invisibles? »

Après un temps de recueillement, maîtrisant mal son émotion, Saïd répondit: « Dieu est avec nous, oui, c’est bien ici. Louanges à Dieu. Quant à mes alignements secondaires, eux aussi seront indestructibles tant que je serai vivant car ils sont dans ma tête et tu vas m’aider à les établir concrètement. Pars de la faille, fais cent pas dans l’alignement que tu as su découvrir, coupe cet alignement d’un trait à angle droit, prolonge dans la direction nord ce trait de cent pas, plante ton bâton en terre et attends-moi ». A son tour, partant de la faille à angle droit, se dirigeant vers le nord, il fit cent pas, s’arrêta, se tourna vers l’ouest et rejoignit le guide qui à la même hauteur l’attendait cent pas plus loin. Tous deux se trouvaient à l’angle d’un carré parfait qu’ils venaient de tracer. Sauf un écart probable de quelques mètres, le trésor, que nulle trace apparente ne permettait de déceler, gisait sous leurs pieds, dans l’uniformité d’un sol durci par le tassement des siècles. A l’aide de l’outil apporté par Gader, Saïd donnait des coups précis, espacés, en s’éloignant circulairement du bâton planté par El Tayeb. Chaque choc entraînait une résonance nette que Saïd écoutait avec attention. Enfin, une résonance mate indiqua un ramollissement du sol plus récemment remué. « C’est là ». La phrase de Saïd tomba comme une sentence solennelle. Laissant ses partenaires opérer, il se mit dédaigneusement à l’écart.

Le trésor était vraiment là, dans la sacoche emportée jadis par Saïd, l’or et les pierres précieuses scintillaient au soleil devant les spectateurs médusés. Saïd demanda que, sur le trou soigneusement comblé, on disposât une brassée de végétaux desséchés sur lesquelles il posa la sacoche dont le précieux contenu, sous l’oeil attentif de Gader, avait été confié à Omrane. Il y mit le feu et les dernières volutes de fumée entraînèrent avec elles le passé de Saïd. Il se sentit hors de ce monde, déjà. Comme parvenu dans l’Autre.

Tandis qu’un vent léger dispersait les quelques cendres demeurées en surface, El Tayeb s’étant rapproché s’inclina devant Saïd et lui baisa l’épaule en lui disant: « Que Dieu m’accorde la sagesse qui est en toi car tu as compris que l’or et la fumée ont en commun d’être éphémères ».

Chapitre suivant…

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