08 Le mythe et la mode

 

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Ce qui différencie le cowboy du simple quidam, c’est évidemment la monture. A pied ou à cheval, un homme n’est pas le même. Pourtant, même provisoirement séparé de son cheval, le cowboy reste un être à part, reconnaissable entre tous à sa manière de parler, de se taire, d’écouter, d’observer. De se vêtir aussi. Des bottes au chapeau, de la chemise au pantalon, le cowboy arbore des vêtements et des objets qui font du mythe une mode. Puisque la légende, les livres, les chansons, les films, les bandes dessinées et les séries télévisées disent le cowboy bon, honnête, intelligent et courageux, tout le monde – ou presque – veut lui ressembler. Au point qu’au cowboy des champs et à celui des arènes, il faut aujourd’hui ajouter le cowboy des villes. Qu’il porte les bottes les plus pointues, les talons les plus hauts, les jeans les plus serrés, les chemises les plus chatoyantes, les ceinturons les plus artistiques, ou qu’au contraire il dissimule bottes et ceinturon sous les attributs civilisés d’un costume de ville, du moins ne se séparerait-il jamais de son chapeau s’il ne devait parfois se glisser dans l’habitacle d’une voiture ou d’un avion. Bref, il ne lui manque que l’essentiel: le cheval!

A l’origine, les vêtements et le harnachement du cowboy ne devaient pourtant rien au hasard et tout à la nécessité. Aujourd’hui encore, les cowboys travaillant dans les ranches et ceux qui participent aux rodéos savent qu’il n’existe qu’une bonne manière de se vêtir et de s’équiper, basée sur l’expérience, la qualité et la tradition.

La selle

« Il a vendu sa selle », dit-on d’un rodeoman fini ou d’un cowboy qui a tout perdu au jeu. La selle, c’est le bien le plus précieux. Le cheval appartient au patron, la selle au cowboy. Issue de celle qu’utilisèrent les conquistadores espagnols au Mexique, la selle western puise des racines plus anciennes encore dans la tradition des cavaliers arabes.

Comme son ancêtre, la selle américaine se caractérise par le troussequin et le pommeau. Le troussequin assure le confort et la stabilité. Le pommeau permet d’arrimer le lasso. Une bonne selle coûte, aujourd’hui encore, plusieurs mois du salaire d’un cowboy. Elle doit donc être résistante et pouvoir durer plusieurs dizaines d’années. Elle doit aussi être confortable, pour permettre un travail quotidien de dix, voire quinze heures. Elle doit enfin être bien asservie au cheval, pour que la force d’un bouvillon arrêté en pleine course par un lasso maintenu au pommeau ne projette pas le cavalier vers l’avant. Inutile de le préciser, la selle anglaise n’a pas sa place dans la vie d’un cowboy qui, par dérision, la surnomme « timbre-poste ». La selle western n’a pratiquement plus subi d’évolution depuis la fin du XIXè siècle.

Le cowboy doit pouvoir se tenir debout sur les étriers, aux moments les plus denses, ou s’assoupir au creux du siège, lorsque le troupeau avance sans rechigner. Il doit aussi pouvoir, au moyen de lanières latérales, arrimer tout ce dont il aura besoin pendant sa longue journée de travail: lasso, hache, capote, carabine Winchester, sac de couchage et même poêle à frire.

Le lasso et les éperons

Originellement fait de cuir ou de fibres tressées, le lasso est aujourd’hui fabriqué à base de matières synthétiques mais sa fonction n’a guère varié. Long d’une douzaine de mètres, il permet d’aller au matin, à pied, attraper la monture de la journée. Ensuite, attaché à l’avant de la selle, il doit pouvoir être dégagé et lancé en un instant pour aller tournoyer au-dessus d’un animal fuyard. Il doit aussi pouvoir, comme le pommeau auquel le cowboy l’arrime alors, résister à la tension créée par l’animal arrêté net en pleine course. Le lasso tire son nom de l’espagnol (lazo: lien, noeud). Les cowboys le nomment encore « lariat » (en espagnol, « la reata » est le nom de la corde qui   maintient ensemble plusieurs chevaux). De plus en plus, les cowboys des Etats-Unis et du Canada disent simplement rope (en anglais: corde). C’est du mot « rope » que vient « Calf Roping ».

Le cowboy d’autrefois se séparait rarement de ses éperons. Ils étaient pour lui l’un des instruments du pouvoir exercé sur le cheval et, en même temps, le symbole d’un métier dont il était fier, voire la preuve de son opulence, lorsqu’il pouvait s’offrir des éperons de parade en argent ciselé, ce privilège étant ordinairement réservé à quelques rares propriétaires.

L’éperon colonial espagnol, tel qu’il est encore parfois utilisé au Mexique, comporte une impressionnante molette à pointes. Le cowboy lui préfère un éperon moins agressif, le « OK » ou, pour le travail du ranch, un éperon plus simple, porteur d’une modeste étoile aux pointes limées, afin de ne pas blesser le cheval.

Lors des rodéos, les éperons sont plus inoffensifs encore, peut-être grâce à l’insistance des sociétés de protection des animaux. A noter que le choix des éperons peut revêtir une importance capitale, surtout lorsque cet objet constitue pratiquement le seul moyen de contact avec l’animal. Tel est en particulier le cas pour les concurrents du « Bronc Riding ». On raconte ainsi l’histoire d’un ancien « Bronc Rider », Pete Grubb, qui est resté deux ans sans gagner aucune épreuve parce qu’il avait perdu ses éperons favoris et n’en n’avait pas retrouvé d’aussi sensibles. Ne dit-on pas la même chose d’un violoniste ou d’un pianiste?

Autrefois, le cowboy gardait les éperons aux pieds bien après avoir laissé son cheval à l’écurie et son arrivée dans un bar était facilement signalée par le tintement de la chaînette de dessus de pied. Aujourd’hui, même les meilleurs cowboys se déplacent en voiture. Or, essayez donc de conduire, une voiture, même automatique, avec des éperons….

Le  chapeau

La forme de chaque pièce de vêtement correspond à une fonction bien précise. Le chapeau sert d’abord à se protéger du soleil. Plus le chapeau est haut et plus le crane est au frais, d’où les respectables dimensions des chapeaux mexicains (« pain-de-sucre ») ou texans. Hélas, un grand chapeau est très sensible au vent et, dans les plaines, le vent souffle fort et souvent. D’où la forme plus plate du « Plainsman ». Le chapeau doit encore être résistant (pour frapper le museau d’un animal rétif) et à peu près étanche (pour se protéger de    la pluie ou … transporter de l’eau).

Un cowboy ne quitte (presque) jamais son chapeau. Il le porte à cheval (bien sûr), à pied, à table, au dancing et jusque dans sa chambre à coucher, où il ne le pose qu’après s’être entièrement déshabillé. Et jamais sur le lit, cela porte malheur. Une exception tout de même, le cowboy se découvre lorsqu’il franchit le seuil d’une église. Il faut donc pratiquement attendre le jour du Seigneur pour apercevoir entièrement le visage si particulier du cowboy, d’un hâle cuivré au-dessous du nez et d’un blanc laiteux au-dessus, comme l’ombre et la lumière dans une arène.

Le plus connu et le plus classique des chapeaux western est certainement le Stetson mais il existe des dizaines d’autres manufactures de chapeaux. Si on tient compte des différences de teintes et des modifications infinies qu’y apportent l’usage et la volonté du propriétaire, on peut dire qu’il existe autant de chapeaux de cowboys.

Les bottes

Comme le chapeau, les bottes répondent d’abord à une nécessité. Au début du XIXè siècle, les bottes du cowboy ne se différenciaient guère de celles d’un fermier de l’Est américain, avec talon plat et lacets. Ce n’est qu’à la fin des années 1850, avec le début des grandes pistes, que le besoin d’une botte particulière apparut. C’est alors qu’éclata la guerre civile. De très nombreux cowboys s’enrôlèrent dans l’armée et, à la fin des combats, beaucoup d’entre eux revinrent à leur activité de cowboy avec leur capote militaire et leurs bottes à talon plat. A l’usage, ces bottes pénétraient trop facilement dans les étriers et, surtout, elles ne permettaient pas à un cavalier, sauté à terre après avoir attrapé un veau au lasso, de s’arc-bouter en plantant les talons dans le sol pour le retenir.

Peu à peu, le talon de la botte se rehaussa, la tige s’élargit, le bout s’aiguisa. La première botte cowboy était née. Un peu plus tard, pour faciliter l’entrée du pied, deux boucles en forme d’oreilles de mule apparurent au sommet de la tige, de part et d’autre. Dans les années 1880, la sobriété du cuir unique fit place à quelques fantaisies telles que des piqûres, des broderies ou même des perforations en forme d’étoiles décorant la tige.

Au début du XXè siècle, la botte devint en quelque sorte le symbole de l’Ouest. La visite des premiers touristes venus des Etats de l’Est, d’abord, les premiers films « western », ensuite, firent la renommée de bottes que les vrais cowboys n’auraient pas osé porter au ranch. En 1923, la Justin Boot Company proposait à sa clientèle 32 variétés de bottes en cuir de kangourou, de chevreau, d’alligator, avec finitions multicolores. Quelques années plus tard, d’audacieux concurrents mirent sur le marché des bottes taillées dans de la peau d’autruche, de  requin, de lézard ou de serpent…

Depuis quelques lustres, la profession est heureusement revenue à de plus sobres productions. Lorsqu’il se rend à son travail, le citadin de l’ouest aime certes chausser les bottes du cowboy qu’il voudrait être mais la tige doit être suffisamment souple pour trouver place sous le pantalon impeccablement repassé et le talon ne doit pas être trop haut pour ne pas jurer avec l’élégance discrète du costume-cravate!

Le jean et  les chaps

Pour le travail du ranch comme pour les exploits du rodéo, le pantalon ne saurait être qu’un jean, d’un bleu généralement délavé. Ce n’est pas par hasard. Le « Lévis », abondamment copié par des dizaines d’autres marques, a été conçu pour l’usage du cowboy. Sa toile est si solide que le pantalon tient quasiment debout tout seul, ce qui permet de se passer d’une ceinture, objet d’apparat plus que de travail, qui risquerait de blesser les chairs lors d’efforts brusques. La couleur bleue est assez fade pour que la poussière ne laisse pas de traces et les rivets de cuivre placés aux points de plus grande tension font du jean un vêtement à toute épreuve.

Aussi résistant soit-il, le pantalon ne serait rien sans les « chaps ». Aujourd’hui comme hier, avant une longue journée dans les collines épineuses ou une brève apparition sur un « bronco » de rodéo, le cowboy prend soin de renforcer ainsi la protection de ses jambes. « Chap » vient du mot espagnol « chappareros ». Les premiers chaps ressemblaient aux deux canons de cuir d’un pantalon qui n’aurait pas recouvert les fesses (« shotgun »). Aujourd’hui, les chaps évoquent plus les deux ailes d’un tablier ouvert sur le devant et seulement maintenu aux cuisses par un rabat sanglé (« batwing »). En hiver, dans le froid du nord, les chaps sont souvent faits de chaudes et épaisses peaux de mouton (« woollies »). Le but reste le même: éviter aux jambes la griffure des arbustes, la brûlure d’un lasso trop vite dévidé et les morsures des redoutables hivers,

Pourtant, comme les autres vêtements du cowboy, certains chaps sont aussi devenus de véritables objets de luxe et d’art. Ben, tailleur à Philadelphie, et Sing Kee à San Francisco, s’en sont fait une coûteuse spécialité.

La chemise et le foulard

Dans les premiers ranches et sur les premières pistes, la chemise du cowboy ne s’achetait pas au magasin. On la fabriquait au ranch. Elle était de couleur grise ou bleue pour permettre une plus longue utilisation sans lavage, ne comportait pas de col et s’enfilait par-dessus la tête pour être ensuite fermée sur la poitrine par deux     ou trois boutons. Les manches étant généralement trop longues, le cowboy se munissait d’élastiques passés autour du bras pour empêcher les poignets de lui tomber trop avant sur les mains. Ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle qu’apparurent les premières chemises de soie brodée. Comme pour les bottes, la mode de la chemise excentrique est aujourd’hui sur le déclin et le cowboy, un rien oublié par le cinéma et les médias, est revenu à une mise plus sobre.

Quant au foulard, il n’était aussi, dans les premiers temps, qu’une simple et utile pièce du vêtement. Comme le chapeau, il avait pour fonction de protéger du froid, de la chaleur, de la poussière, des insectes. Triangle de coton rouge noué derrière le cou, il remontait jusqu’à la bouche, voire au nez, à la première alerte. Ce n’est qu’avec le cinéma et la mode western qu’il se hissa parfois jusqu’au front, enroulé en bandeau pour retenir une chevelure qui s’était allongée en même temps que la gloire du cowboy.

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