De Magellan à Thomas Bridges

Rendons à César…

Size: H36.9 x W41.6 cm

La Terre de Feu existait avant Magellan et, si les Indiens y vivaient de longue éternité, d’autres marins avaient croisé au large du détroit, d’autres aventuriers s’étaient intéressés à cette île du bout du monde, d’autres géographes en avaient esquissé les contours, bien avant que Magellan, le 1er novembre 1520, ne découvrît ce passage entre Patagonie et cap Horn, et ne lui donnât son nom (la vérité oblige à dire que Magellan le nomma détroit «de Tous les Saints» et que l’appellation «Détroit de Magellan» ne fut utilisée que bien plus tard).

Au deuxième siècle de notre ère, déjà, des marins égyptiens parviennent jusqu’aux abords de ces contrées et la côte de Terre de Feu apparaît sur la carte de Ptolémée.

En 833, Al Ouarismi dessine à Bagdad une carte du monde sur laquelle figure le détroit de Magellan et, en 1487, Enricus Martellus Germanus note l’existence de la Terre de Feu sur ses relevés.

Quatre ans plus tard, Christophe Colomb «découvre» l’Amé­rique et, en 1501, Amerigo Vespucci croise dans les eaux de Patagonie.

En 1515, le globe terrestre de Johann Schöner situe un détroit au niveau du 45e degré de latitude sud et indique une île au sud de ce détroit. Quant à la carte de Martin Benhaim, que Magellan compulse à la cour du roi du Portugal, elle fait, elle aussi, mention d’un détroit. Il ne reste plus à Magellan qu’à entreprendre son expédition.

C’est donc à la Toussaint 1520 que les caravelles s’engagent entre Patagonie et Terre de Feu, sur la route des Indes. Instant historique, prémices d’autres voyages.

Le premier contact avec les habitants revient à Francis Drake qui, en 1578, franchit le détroit à la tête de cinq navires et 164 hom­mes. Sur la côte pacifique, il est drossé sur les rochers qu’il nomme «Ile Ultime», sans doute à proximité du cap Horn. Après Magel­lan, il est le second Européen à faire le tour du monde et il par­vient, malgré les accidents de parcours, à ramener un bateau – le «Pélican» – et 56 hommes en Angleterre.

Deux ans plus tard, Pedro Sarmiento de Gamboa fait prison­niers deux Alacaluf, les baptise Francisco et Juan, et les amène jusqu’à la cour du roi d’Espagne. De retour dans les parages, il fonde deux colonies au nord du détroit. Mais la Terre de Feu se venge et tous les marins, à l’exception d’un seul, meurent de faim. Ce sont là les premiers d’une longue, très longue liste…

Il faut avoir à l’esprit la personnalité des capitaines, et surtout des marins, qui s’embarquaient pour de telles expéditions, pour comprendre la suite – inéluctable – des événements. Les capitai­nes étaient généralement des ambitieux, fous de pouvoir ou d’or, et les marins en s’embarquant échappaient souvent à leur destin de sac et de corde. A cela s’ajoutaient le fanatisme religieux, conviction ou prétexte, et la certitude que les indigènes rencontrés ne pouvaient être qu’Infidèles, incultes et barbares. Les aventu­riers ne les épargnaient donc, lorsqu’ils les épargnaient, que dans l’espoir de les utiliser, de les tromper, de les voler, de les convertir ou de les ramener, captifs, en terre européenne, histoire de faire la preuve, à leur retour, de leurs inimaginables découvertes.

Heureusement, il y avait alors en Europe quelques aventuriers de la connaissance et de l’esprit. Certains se firent une petite place sur les navires en partance et, s’ils n’étaient généralement qu’à peine tolérés par les équipages, c’est à eux qu’on doit les pre­mières descriptions de la Terre de Feu, avant que les intérêts et les passions l’aient transformée en terre complètement blanche.

Ainsi Schapenham, à qui l’on doit le premier «reportage» ethnographique sur les Yaghan. Ainsi George Handisyd, auteur du premier herbier fuégien. Ainsi les compagnons de Cook, Joseph Baks et Daniel Solander. Ainsi, surtout, Charles Darwin, qui accompagna le capitaine Fitzroy de 1831 à 1836, et estima la population indigène à quelque trois mille hommes.

Le premier vapeur était déjà passé par le détroit, les baleiniers américains doublaient le cap Horn, chaque navire, ou presque, déposait sur la terre ferme un petit contingent de missionnaires dont on retrouvait invariablement les squelettes, quelques mois plus tard, au débarquement du groupe suivant. Flèches ona, scor­but, faim ou maladie. Mais personne n’avait encore passé une année complète en Terre de Feu. Prudemment, les Européens avaient établi leur poste avancé sur les îles Malouines et ne s’aven­turaient que pour un temps, à la belle saison, dans les terres inhos­pitalières situées au sud du cinquante-deuxième degré.

Pendant ce temps, en Angleterre, le Révérend Despard, homme de foi et de bonté, adoptait un gamin aux yeux sombres, trouvé sur un pont. Il fallait le baptiser, mais le gamin était trop petit pour pouvoir dire son nom, si jamais il en avait eu un. Le révérend le prénomma Thomas, car il portait au cou un médaillon marqué de la lettre T et le nomma Bridges, à cause du pont.

En 1856, à l’âge de treize ans, Thomas accompagne son père adoptif à la mission évangélique installée aux Malouines. L’année suivante, il joue avec des enfants yaghan qu’une mission a amenés de Terre de Feu. Il apprend ainsi leur langue, tandis que le révé­rend dresse un premier lexique yaghan. Trois ans plus tard, un autre missionnaire anglais, Stirling, parvient à vivre six mois avec les Yaghan, tandis que les échanges vont bon train entre indigènes et Anglais venus des Malouines. Bridges suit désormais les mis­sionnaires qui se rendent en Terre de Feu puis, en 1869, il rentre en Angleterre. Pour y être consacré à la prêtrise. Et aussi pour se marier.

Réussir à trouver une compagne acceptant l’idée d’aller passer les jours de sa vie, loin des siens, à l’autre bout de la planète, parmi les sauvages, n’est pas chose facile. Thomas essuie rebuffade sur rebuffade. Il est vrai que son adolescence aux antipodes ne lui a pas enseigné les manières d’un joli coeur. Pourtant, sur la recom­mandation de la paroisse, il fait la connaissance de Mary, l’une des trois filles du sieur Varder, habitant du Devonshire.

A peine Thomas a-t-il épousé Mary que le couple s’embarque pour le long voyage qui mène aux Malouines. De là, les Bridges gagnent la Terre de Feu où, près de l’embouchure du canal de Bea­gle, ils fondent la première estancia, l’estancia Harberton, qui est aujourd’hui encore propriété des descendants de Bridges et où allait naître, le 18 juin 1872, le premier enfant blanc de l’île, Thomas Despard Bridges.

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