a. Buffalo Bill

 

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De part et d’autre, la Guerre de Sécession avait suscité de nombreux actes de bravoure. Les affrontements avec les tribus indiennes furent le prétexte de nombreux récits, pas toujours authentiques. Les vingt années de pistes laissèrent des souvenirs glorieux et les bagarres des cowboys dans les villes à vaches furent rapportées dans des journaux déjà avides de sensations. Dans les villes de l’Est, on prit conscience de l’existence de l’Ouest et, après avoir méprisé les humbles vachers du désert, on se mit à les admirer en les parant de toutes les vertus du cowboy. De grandes manifestations s’adjoignirent aux foires des premières grandes villes de l’Ouest. On y vint de loin pour applaudir la dextérité des cavaliers et leur habileté à lancer le lasso. Le spectacle qui fit le plus pour la renommée de l’Ouest et la gloire du cowboy fut sans nul doute le « Buffalo Bill’s Wild West », dont la célébrité déborda largement et durablement les frontières de l’Amérique.

S’il n’y avait pas eu les pistes à vaches et le Pony Express, le cowboy n’aurait sans doute jamais éprouvé de fierté particulière à faire son métier de pousseur de bétail ou de cavalier solitaire. S’il n’y avait pas eu la Guerre civile, l’Amérique n’aurait pas fait du cowboy le héros nécessaire à l’identité unique de deux camps meurtris. Et s’il n’y avait eu des hommes comme Buffalo Bill, personne n’aurait su, dans les villes de l’Est et dans les capitales européennes que l’Amérique avait donné naissance à un homme nouveau, intrépide, agile, indépendant et généreux: le cowboy.

Il est bien difficile, avec Buffalo Bill, de faire la part du mythe et de la réalité. Sans doute exceptionnel et exem­plaire jusque dans ses défauts, le personnage fut certes l’authentique protagoniste de quelques-uns des récits qui installèrent sa notoriété. Pourtant, très vite, Buffalo Bill se contenta de ne pas contredire les exploits imaginaires que lui inventèrent les auteurs de « nouvelles de quatre sous ». Il entra donc, en chair et en os, dans la peau d’un héros vivant, plus imaginaire que réel.

Né en 1846 dans l’Etat d’Iowa, William Cody avait onze ans lorsque son père mourut à la suite d’une rixe. Onze ans. A l’âge où d’autres jouent aux cowboys et aux Indiens, le petit William devint ainsi chef de famille. Il trouva bientôt du travail dans une compagnie de diligences. Pour 40 dollars par mois, il escortait à cheval les premiers voyageurs en route vers l’Ouest. Et c’est ainsi qu’une nuit, il tua son premier Indien.

Il participa ensuite à la fantastique et éphémère aventure du Pony Express, dont il devint à quatorze ans le plus jeune messager. Un jour, il découvrit ainsi un relais d’étape incendié. Il poursuivit au galop, découvrit un second relais également incendié, galopa encore et finit par atteindre, après une éprouvante chevauchée, un poste gardé.

Pendant la Guerre de Sécession, il s’engagea dans les rangs de l’Union et effectua en zone sudiste plusieurs missions secrètes. La paix revenue, il servit comme scout dans quelques forts dont l’un, celui de Hays, était commandé par le général Custer. Mais le futur Buffalo Bill ne se nommait toujours que William F. Cody.

C’était l’époque où le « cheval de feu » faisait avancer ses rails d’acier en direction des Montagnes Rocheuses. Les ouvriers du « Kansas Pacifie Railroad » réclamaient de la nourriture. Cody proposa ses services et se mit à chasser les bisons dans la prairie. De là lui vint le surnom de Buffalo Bill, surnom d’ailleurs convoité par un autre chasseur, Bill Comstock. Il fallut un match pour décerner au vainqueur le titre envié. Ce fut Cody qui l’emporta, avec soixante-neuf bisons tués en une journée, contre « seulement » quarante-six à son challenger !

Peu de temps après, en 1869, un reporter du New York Weekly, Ned Buntline, entendit parler de Buffalo Bill et fit sa connaissance. La vapeur venait de modifier complètement l’aspect et la fonction de la presse. C’est en effet grâce à la vapeur qu’on exploitait désormais un mode d’impression nouveau, la rotative, capable de produire à grande vitesse de grandes quantités d’exemplaires. C’est encore la vapeur qui, propulsant les locomotives sur les nouvelles lignes de l’Ouest, permettait de vendre des journaux à des colons pour qui la culture classique n’était pas la préoccupation majeure. Des journaux comme le New-York Weekly s’étaient donc fait une spécialité de récits romancés et spectaculaires, assortis de nombreuses illustrations à l’intention des illettrés, qui représentaient une bonne partie de ces nouveaux acheteurs.

Buntline trouva Buffalo Bill « vaniteux comme une jolie femme ». Il ne fit donc que flatter cette vanité en écrivant, dans son journal, un long récit dans lequel il concentra dans la personne de Buffalo Bill tous les exploits dont se paraient les hâbleurs de l’Ouest – et ils étaient nombreux La concurrence se hâta d’en rajouter, tant et si bien que, très rapidement, Buffalo Bill devint une vedette et un mythe. On publia des livres sur lui. Une légende était née.

Ned Buntline ne limitait pas ses talents à la seule presse. En 1872, il écrivit une pièce, « The Scouts ouf the Prairies » et confia l’un des rôles principaux à Cody, qui s’y révéla particulièrement médiocre mais remporta néanmoins un franc succès à Chicago. Mais Cody s’ennuyait. Il revint donc bientôt dans l’Ouest. Inscrit sans son accord sur une liste électorale du Nebraska, il fut élu député. La politique ne le retint pas plus longtemps à Washington que le théâtre ne l’avait retenu à Chicago. De retour au Nebraska, il s’enrôla dans la guerre contre les Sioux. Après la défaite du Général Custer à Little Big Horn (25 juin 1876), Buffalo Bill se retrouva face à un groupe de Cheyenne en marche pour rejoindre les guerriers du chef Sitting Bull. Défié par l’un d’eux, Buffalo Bill parvint, surprenante inversion des rôles, à lui prendre son scalp.

Mais Buffalo Bill songeait toujours à monter un grand spec­tacle dans lequel il pourrait, pour mieux authentifier les exploits imaginaires que continuait à lui attribuer la presse populaire, réaliser effectivement les faits de bravoure qu’on lui prêtait.

Pourtant, en 1883, son premier « Wild West » ressemblait plus à une épreuve pour cowboys qu’à une fresque historique. On y voyait surtout des éléments propres au rodéo, tels que la monte de mustangs ou le lancer du lasso, ainsi que le marquage du bétail, avec en alternance des courses et des parades. Ensuite, d’année en année, Cody ajouta des scènes qui trouvaient le coeur d’un plus large public. En cinq ans, il mit au point un spectacle entièrement original dans lequel de vrais Indiens jouaient le rôle d’Indiens et de vrais cowboys celui de cowboys. Il reconstitua l’attaque de la diligence, la bagarre d’ivrognes, le relais du Pony Express et la chasse au bison qu’il avait organisée, en 1872, à l’intention du Grand-Duc Alexis de Russie.

La recette de Cody était de reconsidérer chacun de ces faits au travers de lentilles déformantes, afin qu’ils ressemblent le plus possible à l’image excessive et romancée qu’en avait donnée la presse populaire et dont il était souvent devenu le héros imaginaire. Pour conférer à de tels fantasmes des allures de vérité, il s’assura le concours de personnalités reconnues, telles que le major North, le sheriff Con Groner ou le chef indien Sitting Bull.

« La plus extraordinaire contribution de Cody réside dans le fait que ses prétentions didactiques furent prises au sérieux, et ses manipulations d’illusionniste reçues comme authentiques » (Richard Slotkin in The Wild West). Dès lors, le Buffalo Bill’s Wild West fut regardé par une majorité d’Américains comme une page vivante et sacrée de leur histoire. Peu importait que Buffalo Bill ait ou non anéanti des hordes entières de bisons, tué quelques poignées d’Indiens, et surtout qu’il n’ait cessé de mélanger à l’envi imaginaire et réalité. Il allait devenir à la fois la (fausse) conscience de l’Amérique et sa meilleure carte de visite à l’étranger. En 1887, Buffalo Bill se produisit même à Londres, pour le jubilée de la Reine Victoria. On le vit ensuite chaque année, jusqu’en 1906, dans la plupart des capitales d’Europe.

Il ne manquait plus à Cody qu’un titre et la reconnaissance de ceux dont, au fond de son coeur, il se réclamait de plus en plus, les militaires. Le grade de colonel lui fut attribué par le gouverneur du Nebraska en 1887 et seize « Rough Riders » du président-cowboy Roosevelt se joignent à la troupe en 1899. La boucle était bouclée…

Hélas, l’aventure se termina mal: faillite d’une compagnie minière dans laquelle Cody avait placé les bénéfices du Wild West; divorce; échec d’une société de production de films historiques; apparitions alimentaires dans d’autres troupes (cirque Sells-Floto, 101 Ranch Wild West). William Cody mourut dans un grand dénuement, à Denver (Colorado), le 10 janvier 1917. Une foule recueillie assista à ses funérailles, particulièrement solennelles. Le mythe, ainsi, survécut et se renforça encore après la mort du héros.

Aujourd’hui, Buffalo Bill reste, pour nombre de cita­dins américains, l’archétype du cowboy. Le président Reagan lui-même s’est réclamé de sa mémoire. Quant aux vrais cowboys, ils ont, de tout temps, affecté d’ignorer celui qui leur a volé leur vie quotidienne pour en faire un spectacle.

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