Vivre avec une momie

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Vivre avec UNE momie, c’est le lot de nombre d’entre nous mais nous ne  sommes  pas, pour autant, archéologues! Vivre avec DES momies,  la chose est plus rare et combien plus passionnante. Ils  sont actuellement une douzaine – tous Français – à fouiller  un site extraordinaire dans le désert libyque égyptien, quatre cents kilomètres  à  l’ouest  de  la vallée du Nil.ivre avec UNE momie, c’est le lot de nombre d’entre nous mais nous ne  sommes  pas,  pour autant, archéologues! Vivre avec DES momies,  la chose est plus rare et combien plus passionnante. Ils  sont actuellement une douzaine – tous Français – à fouiller  un site extraordinaire dans le désert libyque égyptien, quatre cents kilomètres  à  l’ouest  de  la vallée du Nil.

Aventure à nulle autre pareille car, à la différence de ce qui   s’est   passé   dans  la vallée du Nil (où la vie – grâce au fleuve – a continué, bousculant les témoignages  du quotidien pour ne  préserver que les édifices sacrés), ce site de Balaat recèle aujourd’hui encore la vie quotidienne d’il y a plusieurs  millénaires.

Le désert était vert. La vie y était calquée sur celle des pharaons et de  leurs  sujets,  au point qu’on avait construit pour les maîtres  d’alors arc de triomphe  et  ponton d’abordage. Au beau milieu des terres! Balaat (c’est le nom  du site) grouillait  de vie, de petits marchands , de magasins, de maisonnettes , de fabricants d’amulettes  et  de  cimetières sur  les  tombes   desquels étaient peintes les vertus de tel boulanger, de tel scribe, de tel musicien . La belle vie, en somme.

Il n’a plus plu. Soudain. D’un jour à l’autre, ou presque. Et la vie s’est  arrêtée  à  mesure que le désert avançait. Il y a six mille ans de cela. Le vent a poussé les  dunes.  Le  sable s’est infiltré chez le boulanger, le scribe, l’épicier,  le prêtre, le nanti. Tout  a  été  recouvert, figé. Protégé aussi. Caché aux yeux du monde jusqu’à ce jour d’entre-deux-guerres où la tourmente bouscula  les  dunes et fit apparaître aux yeux d’un des rares habitants de cette région, Mohammed Fakhri, le fantôme  squelettique  d’une ville.

Le boulanger pouvait attendre. L ‘Egypte manquait d’argent mais, échaudée par le pillage de  chercheurs étrangers, elle  ne  voulait  pas  se dessaisir  des sites archéologiques.  Rien ne  se  fit. Puis  la guerre. Puis Nasser. Tout le désert libyque interdit aux étrangers. Et enfin, depuis trois ans, les chercheurs de l’IFAO (Institut français d’archéologie orientale, Le Caire) qui fouillent patiemment, à la brosse, à la balayette, au tamis, les superstructures de  Balaat.

Il faudra des années avant que la fouille ait atteint le niveau des ruelles. Monsieur Dupont-Durand pharaonique vivait dans des maisons de boue séchée – comme aujourd’hui – et, pour l’archéologue, chercher signifie détruire, à jamais. Seuls ses croquis, ses  notes, ses photos subsisteront. Les objets importants (poteries, bijoux, colliers) iront dans les musées, le reste redeviendra poussière. Quant à Monsieur Dupont-Durand, momifié, exhumé,  inventorié,  il retournera à la terre, dans un grand ossuaire près de là, transporté en brouette par un grand fellah musulman recruté dans  la Vallée  des Rois …

Tenir  la   mort   par   la   main. L ‘apprivoiser.  Evoquer   celle des ancêtres  et  préparer  la sienne.  Préoccupation  de  toutes  les  civilisations.  Aujourd’hui encore, les Cairotes vont habiter,   pour   les   cérémonies du souvenir, la  cité  des  Morts. Ils y apportent le pique-nique pour le défunt et pour les vivants. Ils festoient et dorment près des anciens, après avoir bousculé  ceux   qui  – réfugiés du Sinaï – n ‘ont pas trouvé au Caire d’autre logement  que  celui  des  Morts.

Dans l’archipel des Soulou (nord de Bornéo), les Badjao­laut ne touchent pas terre. Peuple nomade, ils vivent sur des barques à balanciers et passent  allègrement d’île en île. Leur seule existence terrestre débutera avec la mort, à vingt mètres de la plage, sous les cocotiers.  Quatre  branches et un tissu sommaire constitueront le baldaquin de leur lit de sable. Et les générations, entre pêches et fêtes,  se feront  joie de mouiller  dans la baie.

Le sexe et la mort. Ingrédients du drame  de vivre. L ‘Occident a longtemps caché le premier et ne s’en sert encore qu’avec réticence. Quant à la deuxième, elle est plus ignorée (parce que plus crainte) que jamais. Au point que la mort •du père, de la femme, de l’enfant doit rester inaperçue. La mort n’existe pas. Et, puisqu’il ne peut l’empêcher, le  médecin de chez nous assomme de valium les survivants. Pour qu’ils passent à côté de la mort sans la voir.

 1978

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