b. Abbayes de Jeunesse, fiançailles et mariage

 

Des associations d’adolescents ont tenu le haut du pavé jusqu’à la Révolution de 1789 et renaissent, çà et là, sous des formes nouvelles. Ce sont les Abbayes de Jeunesse, sans rapport, malgré le terme, avec un quelconque ordre religieux.

Des Abbés de Jeunesse étaient élus par les adoles­cents de seize à vingt ans dans pratiquement tou­tes les villes et bourgades. Cette corporation tenait registres, portait étendard, disposait d’une caisse extra-légale et semait tellement la terreur parmi les adultes que de nombreux édits locaux en avaient interdit l’existence. Mais les bandes renais­saient, reformaient milice et en arrivaient, par leurs exigences, à mettre en péril l’ordre public. Sarabandes, fêtes immenses, chahuts, mais aussi menaces et intimidations, étaient leur apanage. Il était rare de voir plusieurs Abbayes dans une même cité, sauf dans les grandes villes où l’Abbé de Jeunesse était plutôt le chef des jeunes paysans et artisans, le Roi de la Basoche étant celui des jeunes bourgeois et le Prince d’Amour celui des jeunes nobles. Entre villages voisins, les Abbayes s’affrontaient durement et de véritables expédi­tions punitives étaient parfois entreprises.

Les Jeunesses existent encore, sous d’autres for­mes, particulièrement en Camargue. Là, ce sont elles qui, souvent, organisent et paient les mana­diers pour venir organiser dans leur cité des cour­ses de taureaux. Ce sont elles aussi qui tentent de perturber les défilés en jetant des sacs de farine sur les participants, elles encore qui mettent sur pied, dès le matin, de «petits déjeuners aux champs» faits de grillades, de musique et de jeux, elles enfin qui, et on est proche de l’esprit d’antan, sèment la terreur à bord d’immenses et vieilles voitures américaines, pétaradantes et multicolo­res, transformées pour permettre le transport de deux ou trois douzaines de jeunes en folie. Malheur à celui qui s’oppose à leurs excès et tant pis pour le cheval qui se trouve sur leur route.

Avec le temps des fiançailles, les jeunes revien­nent à une relative raison. La timidité n’est incom­patible ni avec les vantardises ni avec la faconde. L’approche du prétendant est longue et, lorsqu’il a confirmation que ses sentiments sont partagés, il lui faut encore franchir la porte des parents avant de pouvoir présenter l’aimée comme sa fiancée. Autrefois, pour cause de querelles de clans, de différences sociales ou de trop grande jeunesse de la fille, il arrivait que les parents refusent. Le soupirant ne se le tenait pas pour dit. Il pratiquait alors «lou roubatori», le rapt. Le jeune homme se hâtait ensuite de convoquer deux témoins, qui devaient déclarer l’enlèvement aux parents ou au notaire, en précisant que c’était la jeune fille qui avait enlevé le jeune homme. Ainsi, toute poursuite en justice était impossible. Les promis rentraient au bercail après trois jours et se mariaient aussitôt, sans tambour ni trompette. La pratique du «roubatori» était parfois encouragée par les parents, un mariage à la sauvette per­mettant d’éviter les dépenses d’un mariage tradi­tionnel.

J’emprunte à Claude Seignolle, auteur de l’excel­lent «Folklore de la Provence», deux passages consacrés au mariage traditionnel dans les Alpes de Haute-Provence:

«Le jour de la noce, au moment de se rendre à l’église, le père, ou à défaut le plus proche parent de la nouvelle épouse, présente à celle-ci un verre plein d’eau et dans lequel il a jeté une pièce d’or ou d’argent pour lui marquer que ce sont les der­niers soins qu’elle recevra de lui. La jeune fille boit l’eau, prend la pièce de monnaie et se met à pleurer, circonstance d’obligation, parce que ces pleurs doivent témoigner le regret qu’elle a de quitter ses parents pour suivre un étranger ( … ).

Doivent figurer au repas les fameux raviolis, la tête de veau, le rôti de mouton avec les lentilles, la crème à la neige et les beignets. Un rite assez dra­conien exige que l’on ne rie pas avant que les deux époux aient mangé à tour de rôle, et dans la même assiette, la soupe de lentilles ( … ).»

La nuit de noce était ensuite troublée par la jeu­nesse du village, qui s’efforçait par tous les moyens d’empêcher les jeunes mariés de se retirer en paix. Des soupes de courge poivrée, de vin ou d’oignon leur étaient apportées dans la chambre, à l’improviste, lorsque les jeunes avaient réussi à localiser leur refuge. Des aubades matinales leur étaient ensuite données. Et ce n’était rien com­paré au charivari que devaient endurer les veufs ou divorcés qui se remariaient au village, surtout avec un étranger, cette expression concernant toute personne venant d’un autre bourg.

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