Honolulu, île d’Ohahu, archipel des îles Hawai. Territoire américain, à mi-chemin entre la Californie et le Japon, six ou sept mille kilomètres au Nord de Tahiti … On y vient des quatre points du monde et quand je dis on, je veux surtout parler des grands et des riches de ce monde. Rappelez-vous, n’est-ce pas là que les princes qui nous gouvernent se retrouvent sous les cocotiers, histoire de parler politique monétaire ou planétaire entre sable et corail ?
Les îles de l’archipel ont de bien jolis noms. Kooaï, Nihahu, Maui. Molokai. Même les quartiers de Honolulu trouvent la source de leur nom dans la langue locale. Moilili. Palama. Et surtout Waikiki. L’une des plages les plus prestigieuses du monde, avec Copacabana et une demi douzaine d’autres.
Aujourd’hui, à Waikiki comme dans toute l’île, les indigènes m’ont plus grand chose à dire. D’ailleurs, s’ils veulent s’exprimer, il ne le font qu’en anglais. Pardon, en américain.
Rolls, Cadillac, Hamburger, écopes de souvenirs , banques et agences de voyages se disputent avec les innombrables hôtels la rive de Waikiki . Et on y vient du monde entier, la bourse pleine, de préférence.
Pourtant, hier soir, à Waikiki, alors que je rentrais à pied à mon hôtel, mon attention a été attirée par la présence d’une vingtaine de voitures, pas toutes rutilantes, stationnées dans l’ombre près d’un de ces rest areas comme on en trouve dans tous les Etats-Unis, préau de brique équipé de toilettes et de tables fixes, pour le pique nique. Quand je me suis approché, une bouffée d’ailleurs m’est montée aux yeux et aux oreilles.
Pagne multicolore, veste brodée, bras et jambes nues, chevillères faites de chaînettes et de fleurs, une jeune femme danse au milieu d’un groupe. Sa coiffe porte des antennes venues d’une quelconque galaxie. Et son corps, oint d’eau de mer, est tout recouvert de billets d’un dollar que les spectateurs viennent coller, d’une tape chaleureuse, sur ses épaules, sa gorge, ses mollets. Des gamins se bousculent pour décoller ces précieuses vignettes et les apporter à un homme dans la cinquantaine, amical et vociférant, tandis que cinq autres bonshommes, sur le banc voisin , continuent de faire vibrer le banjo, la guitare et la glotte.
Personne ici ne semble parler anglais. Du moins pas ce soir. Ce sont les premiers habitants de l’île. Les plus pauvres aussi. Leurs enfants vont à l’école, mais ils ne connaissent même pas les îles de l’archipel, sinon sur les cartes de géographie. Alors qu’on vient chez eux, d’un coup d’ailes, en provenance du monde entier, leurs parents n’ont pas de quoi leur faire visiter leur île. Du coup, cette fête, qui est celle de l’amitié et de l’identité indigène, est aussi destinée à offrir un petit voyage en bateau aux enfants des écoles. D’où les dollars.
A cent mètres, les grappes de touristes continuent d’étaler consciencieusement leur ketchup sur leur hamburger tout en rédigeant d’une main grassouillette quelques cartes postales à l’effigie et à la gloire des indigènes. Ils n’en auront vu qu’en photo, alors qu’à quelques pas, ce qu’il reste de la vie originelle tente de survivre. En l’absence de tout Blanc. Excepté votre serviteur.