Bogotá, dimanche 16 au soir.
Voilà 19 jours et 18 nuits que Jean Bourgeois, l’ambassadeur de Suisse en Colombie, est retenu en otage par les guérilleros du M19 à l’intérieur de l’ambassade dominicaine à Bogotá.
Depuis la libération de l’ambassadeur d’Autriche, jeudi 6 mars, Jean Bourgeois reste avec, comme seul otage européen, le nonce apostolique. 440 heures d’inquiétude, de peur, de découragement, partagées avec 17 autres diplomates, 13 latino-américains, un Israélien, un Égyptien, l’ambassadeur des États-Unis et le nonce.
Jean Bourgeois n’a jamais vu le visage de ses geôliers, une vingtaine de jeunes gens, dont quatre femmes, qui portent cagoule, passe-montagne foulard pour que, même au téléobjectif, la police colombienne ne puisse les identifier. Mais il a vu leurs armes. Fusils US M1, Kalachnikov et trois grenades défensives par personne.
Notre ambassadeur sortira-t-il vivant de cette poudrière ? Si oui, quand et dans quel état physique et nerveux ? Les négociations sont toujours rompues depuis jeudi matin. Après 92 minutes d’entretien, la négociatrice encapuchonnée nous a crié, à nous journalistes, qui sommes parqués à 50 m de là : « notre consigne est de vaincre ou mourir ». Vaincre, c’est obtenir la libération de 311 prisonniers politiques. Mourir, c’est aussi faire mourir les otages.
De son côté, le gouvernement colombien ne veut pas entendre parler de libérations de prisonniers politiques d’ailleurs, il n’y en a pas trop… Et l’armée a, par avance, déclaré qu’un tel geste serait anticonstitutionnel. Le président Turbay, chef d’une démocratie plutôt musclée, n’a qu’à bien se tenir s’il veut rester en place.
Si le M19 abat un premier orage pour faire pression, l’armée attaquer à l’ambassade. Ce sera le carnage. Sinon, l’attente risque d’être encore longue et angoissante.
Les appels téléphoniques directs des otages à leurs proches ont été suspendus. Pas par les guérilleros, comme le dit la presse, mais pas le gouvernement. Les épouses des ambassadeurs doivent maintenant se rendre au ministère des affaires étrangères pour pouvoir appeler leurs maris.
Mme Bourgeois a pu joindre son mari ce dimanche matin. Il se porte bien. Dans l’ambassade, balayé de courants d’air (toutes les vitres ont volé en éclats lors de l’attaque), il a désormais moins froid. Il a reçu le poncho que sa femme lui a fait passer par la Croix-Rouge. Il a reçu aussi les jeux de cartes, de la vitamine C et de la pâte d’amandes. Mais il n’a pas reçu les journaux. Interceptés. Pour la première fois, il a pu parler en anglais avec sa femme. Jusque-là, les guérilleros l’obligeaient à converser en espagnol. M. Bourgeois dit, pour s’en convaincre, qu’il sortira bientôt. Cet espoir, encore vague est menacée, pourrait bien passer par Cuba.