Lundi 17 mars 7:00
Ce serait pour mercredi. Pas l’assaut de l’ambassade par l’armée, ni l’exécution du premier otage par le M19. Non, mercredi, le départ pour Cuba des guérilleros, des otages et, éventuellement, de quelques prisonniers politiques de deuxième zone.
Ce ne sont que des rumeurs, mais des rumeurs que semblent confirmer quelques points.
D’abord, M. Bourgeois, notre ambassadeur, que sa femme a pu joindre au téléphone via le ministère colombien des affaires étrangères est paraît-il en bonne forme et de bonne humeur j’espère être libéré très bientôt, a-t-il dit en anglais à sa femme. En anglais, c’est la première fois, plus que les guérilleros exigeaient jusque-là que toutes les conversations se déroulent en espagnol. La discipline se relâchera-t-elle à l’intérieur de l’ambassade dominicaine ?
Ensuite, l’atmosphère est particulièrement bonhomme, cette nuit, aux abords de cette même ambassade. Assez peu de soldats, des journalistes joueront au football à la lumière des lampadaires. Rien qui laisse prévoir l’affrontement.
Enfin et surtout, la visite de l’ambassadeur cubain au président Turbay, la semaine dernière, visite qui avait d’abord fait sourire et qui semble aujourd’hui porter ses fruits. Un communiqué commun devrait être publié, dans la journée, à Bogotá et à la Havane.
Que peut bien proposer Cuba ?
Peut-être, simplement, l’asile politique aux guérilleros s’ils obtiennent gain de cause et réussissent à partir avec leurs otages et les prisonniers politiques qu’ils réclament. Mais sur ce point, le gouvernement colombien reste toujours intransigeant.
Peut-être une médiation cubaine. Le M19, qui se déclare socialiste, nationaliste, mais pas marxiste, doit tout de même avoir quelque admiration pour Castro ou l’illustre guérillero que fut Che Guevara. Une médiation cubaine aurait donc quelque chance de succès.
Qu’est-ce qui pousse Bogotá, où le communisme n’est pas particulièrement en odeur de sainteté, a accepté la proposition cubaine? On l’ignore.
Qu’est-ce qui a poussé Cuba à proposer ses bons offices ? Il y a diverses interprétations. Cuba voudrait rehausser son image de marque internationale, montrer qu’il n’est pas le boutefeu de l’Amérique latine mais plutôt le pompier des incendies qui couvent. Peut-être.
On dit aussi que Castro pour et avoir des hommes à lui dans le commando du M19. La proposition cubaine serait une manière de leur faire savoir que le gouvernement colombien est trop fort, qu’il faut lâcher pied. Elle permettrait aussi, en organisant le départ de guérilleros pas encore identifiés, de faire disparaître les preuves d’une éventuelle participation cubaine à la prise de l’ambassade.
On n’y verra sans doute un peu plus clair dans quelques heures. Mais si la proposition cubaine aboutissait, ce serait un soulagement pour Turbay, une échappatoire pour le M19, une chance pour tous les otages et un beau coup d’éclat La Havane.
Le salut viendra-t-il de Cuba ? Il serait paradoxal que la proposition cubaine vient de tirer d’un mauvais pas des guérilleros qui se disent nationalistes mais pas marxistes, un gouvernement farouchement anticommuniste et une vingtaine d’otages, diplomate dont aucun n’appartient à pays du bloc de l’Est.
C’est aller vite en besogne ce qui étonne tout de même, c’est que le président colombien lui-même est reçu l’ambassadeur cubain, pendant près d’une heure, et qu’il ait donné suite à son offre. Il faut que la proposition en vaille la chandelle. D’autre part, si Cuba veut, par cette éventuelle médiation, rehausser son image de marque internationale, ne plus passer pour le boutefeu du tiers-monde, il lui faut être à peu près sûr que cela réussisse.
Si Cuba est si sûr de son coup, ne serait-ce pas parce que les guérilleros, qui se veulent les descendants atypiques de Bolivar, ont tout de même quelques liens avec la Havane et que cette proposition représente pour eux une espèce de messages codés, de signal d’alarme leur disant : le gouvernement colombien ne lâchera pas ! Il faut savoir plier bagage attend. Mieux vaut une demie victoire qu’un carnage qui ne servirait pas la cause de la guérilla en Amérique latine.