Par la fenêtre

Il était minuit 41, six heures quarante et une, heure suisse, lorsque l’ambassadeur d’Uruguay, Fernando Gomez Fyns, s’est jeté par la fenêtre du deuxième étage de l’ambassade dominicaine. Dans sa chute, il s’est cassé un bras mais surtout il s’en est fallu de peu qu’il soit abattu, non par des guérilleros mais par un soldat qui montait la garde à proximité de l’ambassade M. Gomez, qui a la cinquantaine passée, a dû son salut à la voiture d’un des otages, toujours stationné devant l’ambassade. Il s’est protégé derrière cette voiture et a crié : – ne me tuez pas, je suis l’ambassadeur d’Uruguay.

Quelques secondes plus tard, des policiers des services secrets le tiraient de là et, aussitôt une voiture l’emmenait vers une destination inconnue, sans doute l’hôpital militaire. Pour des soins aux bras mais aussi pour sa propre sécurité. Il est vraisemblable que ces premières révélations n’iront ni à sa famille, ni à la presse mais aux services de renseignements colombiens qui n’avaient plus reçu d’informations sûres quant à la vie à l’intérieur de l’ambassade de puis la libération de 13 personnes, le 29 février ou, éventuellement, de puis celle de l’ambassadeur d’Autriche, le 6 mars.

Il semble que le guérillero chargé de la surveillance de la pièce dans laquelle se trouvait l’ambassadeur Gomez se soit assoupli. C’est possible et même vraisemblable. Mais il est bien certain que la chute de M. Gomez, puis s’écrit, ont ensuite été remarqué par d’autres guérilleros Pourquoi ne l’ont-ils pas alors abattu ? C’est sans doute le signe, déjà pressenti depuis quelques jours, qu’ils n’attenteront pas à la vie de leurs otages, même en cas de fuite, pour autant que le gouvernement donne suite à leurs revendications.

C’est une indication qui redonne espoir quant à la suite des événements. D’ailleurs, M. Bourgeois, notre ambassadeur, que sa femme a pu joindre hier matin par téléphone, étaient en bonne santé, de bonne humeur et confiant dans sa libération prochaine.

Les guérilleros du M19 accepteront-ils de quitter l’ambassade, avec les otages mais sans les prisonniers dont ils réclament la libération, c’est désormais sinon certain, du moins possible. La proposition d’asile provisoire, présenté au gouvernement colombien par l’ambassadeur de Cuba, pourrait avoir deux buts : d’une part montrait à l’opinion mondiale que Cuba n’est pas le boutefeu et le trouble-fête de l’Amérique latine. D’autre part, peut-être d’adresser une espèce de messages codés, de signal d’alarme aux guérilleros, pour leur dire : si nous intervenons, c’est que nous sommes maintenant certains que le gouvernement colombien ne lâchera pas. Il vaut donc mieux décrocher à temps. Vous vous êtes fait trois semaines de publicité mondiale. N’allez pas tout gâcher par un bain de sang.

Il pourrait y avoir une troisième raison est lié celle-là. Même si le M19 se dit nationaliste, socialiste n’est pas marxiste, il n’est pas impossible que le commando du M19 comprenne un ou plusieurs Cubains. Pour l’instant, on n’en a pas la preuve mais s’il y avait tuerie dans l’ambassade, l’identification de ces guérilleros pourrait être accablante pour Cuba.

En proposant l’asile politique, La Havane fait donc une quadruple opération : elle sauve des diplomates étrangers, ce dont on lui sera reconnaissant, elle oblige le gouvernement colombien qui, jusque-là n’avait guère manifesté, c’est le moins qu’on puisse dire, de sympathies communistes, elle tire d’un mauvais pas des guérilleros qui pourront un jour lui servir ou lui resservir et elle donne au monde une leçon de sagesse qui ne peut que rehausser son image de marque. L’opération est bonne, encore faut-il qu’elle réussisse.

Au 19e jour de cette affaire, on a l’impression que la balle a changé de camp. Les guérilleros n’ont pas osé, par peur, ou pas voulu, par ce sentiment humanitaire, lancer d’ultimatum au gouvernement, avec la vie des otages pour enjeu. La nuit dernière encore, ils n’ont pas tiré sur l’ambassadeur d’Uruguay, qui s’enfuyait. C’est tout à leur honneur mais c’est une preuve de faiblesse dont profite le gouvernement. Désormais, plus question de libérer des prisonniers que réclament le M19, plus question de remettre une rançon. La requête d’un manifeste sur les droits de l’homme et oublier et le gouvernement colombien n’envisage même plus de mettre à la disposition du M19, s’il veut partir pour l’étranger avec les otages, un avion colombien. Il faudra que les Cubains eux-mêmes viennent les chercher, avec un de leurs avions. Sinon, on attendra jusqu’à ce que les guérilleros hissent le drapeau blanc sur l’ambassade.

On a rarement l’impression que le pouvoir va gagner ce combat à l’usure. Les guérilleros avaient frappé très fort les premiers jours mais on ne croit plus, ici à leur devise voler 10 mai vaincre mourir ».

On a peut-être tort. S’ils sont acculés à l’échec, ils sont encore capables de tout. Et la vie des otages, parmi lesquels Jean Bourgeois, n’est pas encore à l’abri d’un geste de défi, d’inconscience ou de désespoir. De toute manière, la liberté des otages n’est sans doute pas encore pour demain.

 

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