Dans le 747 qui nous ramène en Europe, le jour se lève au-dessus de l’Irlande ou du pays de Galles. Voilà pas si longtemps, les premiers « Constellation » franchissant l’Amérique sur la plus courte distance possible faisaient escale en Islande. Tout se simplifie, tout se banalise. Aux deux bouts de la course les mêmes produits, les mêmes publicités et, de plus en plus, les mêmes visages.
L’aventure n’est plus au coin de l’oreille. Les derniers aventuriers, s’ils existent, se cachent bien. Ou alors ils font profession d’aventure, voir Nicolas Hulot, Paris Dakar et tutti quanti. L’aventure de demain, si elle doit voir le jour, sera intérieure. Malraux disait que le XXIè siècle serait mystique. Peut-être, bien que ça n’ait rien de rassurant. Intellectuel, sage, profond, curieux de soi et des autres, ce serait mieux.
L’Amérique, sous ses aspects accueillants, est le domaine de l’égoïsme et du chacun pour soi. Nous avons de la chance, en Europe, d’avoir dans la plupart des pays réussi le mariage de la chèvre et du chou, de la libre entreprise et d’un certain socialisme. Pourvu que les inévitables chaos de l’Europe de l’Est ne viennent pas faire tomber cet encore fragile château de cartes.
Nous nous acheminons vers de nouvelles ségrégations. Les townships noirs se reforment. Noirs? Non, seulement sombres d’une obscurité qui vient de l’absence de culture et de formation. Ceux qui n’auront pas réussi à s’agripper au radeau de l’informatique, de la bureautique et de l’automatisation tomberont du panier. Les autres les maintiendront quelque temps à leurs côtés, puis les relégueront avec un maigre subside. Chaudrons dont le couvercle se soulèvera parfois, dans l’indifférence ou la peur générales.
Nous allons entrer dans l’ère d’un nouveau puritanisme. D’un côté ceux qui travaillent et, à l’écart, ceux qui ne veulent ou ne le peuvent. Notre monde est assez riche pour les nourrir de surplus, mais ne dispose plus d’assez de place pour les loger et, surtout, d’assez de coeur pour leur donner la culture et l’espoir.